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Billet de blog 27 février 2024

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Vers une écologie Potemkine

G. Attal mis en pause, E. Macron tente-t-il un véritable ré-équilibrage entre productivisme agricole et écologie, ou s'agit-il d'un nouvel affichage, tandis que les préfets oeuvrent en local pour de multiples exceptions à la réglementation environnementale ?

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Lors de son concours de présentation avec J. Bardella au salon de l'agriculture, G. Attal a affirmé vouloir arriver à faire "du sur-mesure", pour que la situation de chaque exploitant soit en prise en compte. Mais qu'est-ce que le "sur-mesure" en matière d'écologie, et comment la réglementation le permettrait-elle ?


Pour le comprendre, il faut revenir en 2020, et plus précisément au décret 2020-412, relatif au droit de dérogation reconnu au préfet. En substance, celui-autorise le préfet à prendre des décisions non réglementaires, notamment dans le domaine de l'agriculture et de l'environnement, aux conditions suivantes:

1° Etre justifiée par un motif d'intérêt général et l'existence de circonstances locales ;
2° Avoir pour effet d'alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l'accès aux aides publiques ;
3° Etre compatible avec les engagements européens et internationaux de la France ;
4° Ne pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.

- S'agissant des "circonstances locales", on comprend aisément qu'il doit s'agir de faire du "sur-mesure".
- S'agissant de l'intérêt général, les décisions en matière d'agriculture seraient bien évidemment facilitées si ladite agriculture était déclarée "intérêt général majeur de la nation française", comme annoncé par E. Macron au dernier salon de l'agriculture.
- "Avoir pour effet d'alléger démarches administratives et procédures": n'est-ce pas précisément le credo conjoint du gouvernement et de la FNSEA concernant le fardeau administratif ? Il y a là, cependant, une limitation possible de la dérogation à des normes de fond, sur laquelle nous reviendrons plus bas à l'occasion du rapport d'évaluation.
- Quant aux "atteintes disproportionnées" [aux réglementations auxquelles il est dérogé], c'est là le domaine de l'appréciation du juge. Mais encore faut-il qu'il soit saisi, ce qui ne sera certainement pas le cas pour la multitude de dérogations auxquels les 124 préfets du territoire vont se consacrer.

Bien entendu, de telles dispositions n'ont pas été sans provoquer une contestation en conseil d'Etat par des organisations environnementales. Las, celui-ci a validé le décret, argumentant de garde-fous suffisants à ce nouveau pouvoir. Cependant, il a introduit une nuance importante, en déterminant que les dérogations ne peuvent être décidées qu’afin d’alléger les démarches administratives, dans le cadre du respect des normes de fond. Il s'agit là de précisions qui ne figurent pas dans le décret.

Lorsqu'une législation peut s'avérer particulièrement contestée, quoi de mieux que de l'expérimenter pour en démontrer la totale inocuité ? C'est ce qu'à réalisé l'expérimentation du décret en question, de 2020 à 2022, sur 17 départements.

Sans surprise, le rapport d'évaluation de l'IGA de 2023 de la mise en oeuvre du décret trouve toutes les qualités à ce qu'il qualifie de "volonté disruptive assumée". Les louanges du rapport rédigé par les deux employés de l'IGA auront sans aucun doute été facilités par l'onction déjà octroyée par le Conseil d'Etat. En même temps, ils soulignent la restriction du Conseil d'Etat concernant les normes de fond, qui leur semble être une initiative un peu fâcheuse, mais néanmoins relativement contournable dans le cadre d'une complexité juridique qu'ils détaillent. Ce cadre est ainsi suffisamment flou, pour qu'on puisse par exemple constater que 35% des dérogations environnementales de l'expérimentation autorisent des dépassements de seuils réglementaires.

Les auteurs se lamentent aussi de ce qu'il faille encore aux préfets rendre publics leurs arrêtés dérogatoires. Certes, ce serait le propre d'un état de droit que rendre publiques les décisions réglementaires. Mais comme le notent les rédacteurs, "cette exigence de publication a été jugée contre-productive [par des préfets], alimentant le risque de constituer des précédents ultérieurement opposables au préfet lui-même.". Et encore: "pour les préfets, l'exigence de publication des décisions individuelles peut être source de complexité, voire de risque". Elle risque aussi de porter atteinte au fameux secret commercial et industriel.

Malgré, donc, le constat fait de l'extrême commodité du nouvel instrument pour fluidifier ce qu'il reste d'intolérables freins centralisateurs et normalisateurs, le rapport recommande l'extension sans plus aucune ambiguïté du décret à la dérogation aux normes de fond, ainsi que la suppression de l'obligation de publication des arrêtés préfectoraux dérogatoires.

Tout semble donc prêt, ou presque, pour que de multiples adaptations locales orchestrées par les préfets puissent venir à bout des normes environnementales tant décriées par certains représentants du monde agricole.

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