
Se soigner des TCA est un long processus, et, pour la personne défaitiste que je suis parfois, on n’en guérit jamais réellement. Chaque problème dans ma vie a un affect sur ma manière de manger et sur comment je perçois la nourriture. Elle peut être à la fois quelque chose de réconfortant, de culpabilisant, elle n’est que rarement quelque chose qui permet à mon corps de fonctionner correctement. Je suis passée par des phases très différentes, d’une anorexie sévère à une obésité assez forte.
La bulle du confinement 2020
Lors du premier confinement, j’ai repris le sport et suis devenu végane en repensant totalement mon alimentation. J’ai également arrêté l’alcool durant cette période, et par conséquent j’ai perdu beaucoup de poids. Le temps que le confinement offrait m'a donné envie d'essayer des choses, de prendre de nouvelles habitudes, d'avoir le temps d'assimiler de nouvelles pratiques.
À la sortie du confinement j’avais perdu approximativement une vingtaine de kilos, je ne peux pas être plus précise car je ne me pèse jamais à cause de mon passif anorexique (un pacte fait avec ma mère et moi-même). J’ai reçu de nombreuses remarques, toutes très positives et beaucoup de félicitations. J’étais à la fois contente et assez mal à l’aise face à ces remarques. Comme si mon corps d’avant était laid et ne méritait pas d’exister. C'est comme ça que je l'ai interprété, on me félicitait de ne plus être celle d'avant.
La parole des autres
Pourtant, c’était mon choix de me mettre au sport, et cela m’a permis de redécouvrir et d’aimer mon corps. C’est actuellement le meilleur moyen que j’ai trouvé pour l’aimer. Le voir accomplir ces exercices physiques, le voir s’améliorer avec le temps, devenir meilleur, plus fort, est pour moi très satisfaisant. Ce rapport plutôt sain à mon corps que j’avais avec le sport, enfermée dans ma bulle du confinement, a totalement été déséquilibré par les remarques et par le monde extérieur.
Le rejet de mon corps d’avant par l’ensemble de mon entourage me met une sorte de pression sur le fait de retrouver ce corps inesthétique. Ma pratique sportive, qui était saine, est devenue une sorte d’angoisse et de pression si je ne l’effectuais pas. Ce n’était plus sain : pendant une période je me suis remise à compter mes calories, à angoisser à l’idée de manger un burger, à traquer chaque changement dans mon corps dès que je croisais un miroir.

Entre contrôle et obsession
Être dans le contrôle permanent et analyser tout ce que je mange est épuisant. J’ai honte d’avoir ce rapport à l’alimentation et mon corps.
J’ai honte car c’est me rappeler, sans cesse, que j’ai échoué à soigner ce côté-là de moi. Je lisais que les TCA, cette peur de grossir était une forme de "maladie de la séduction", qu'on était à la fois obsédée à l'idée de plaire mais en même temps dans la détestation de cette idée. Ses mots quand je les ai lu m'ont fait du bien. Cette volonté que j'ai de plaire et d'être dans une performance de la féminité ultra stéréotypée mais en même temps je me déteste de jouer ce rôle pathétique.
Je ne me sens donc pas légitime dans mes combats féministes parce qu’en secret je mets tout en œuvre pour avoir le corps le plus normé possible. J’ai honte d’avoir pris plaisir à pouvoir mettre des vêtements que je n’aurai pas osé mettre avant alors que je ne cesse de répéter qu’un vêtement n’a pas de taille. J’ai honte d’être mieux mince alors que je me bats tous les jours contre la grossophobie. J’ai aussi honte de me voir encore trop souvent grosse et prendre part à des combats qui ne sont plus miens car je ne suis plus grosse aux yeux de la société.
Comment vivre sereinement dans mon corps quand je suis prise entre deux parties de moi ? La féministe qui critique les normes esthétiques qui pèse sur les femmes dans nos sociétés ; et la meuf ayant cette volonté interne obsessionnelle d’atteindre ses normes inatteignables de beauté.
Ne jamais guérir
Je ne guéris pas de mes TCA, car chaque jour une nouvelle injonction, une remarque, une photo de moi prise sous un mauvais angle, un essayage de vêtement dans une cabine avec une lumière peu flatteuse me rappelle que je n'arrive pas à atteindre cette norme de corps que je m'exige mais que la société exige aussi aux femmes.
Je n’ai pas de solutions à part écrire sur le sujet : il y a des jours avec et des jours sans. Il n'y a que l'accompagnement d'un professionnel (psychologue, médecin ou toute autre médecine alternative) qui peut réellement aider et soigner. C'est une maladie qui connaît énormément de rechute. Le chemin n'est pas linéaire.
Si vous vous reconnaissez dans ce texte, veuillez consulter un professionnel.
Orsinos - Clémence R
Retrouvez Orsinos sur Instagram juste ICI.