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Billet de blog 12 décembre 2021

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La fête, un espace pas si égalitaire

Qu’importe la manière dont la société a évolué, les filles et les garçons ne sont pas sur un pied d’égalité quand il s’agit de faire la fête et de consommer de l’alcool. Même si l’écart semble se réduire aujourd’hui, les normes de genre influencent toujours les comportements festifs.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nota Bene : cet article est une analyse binaire et hétéronormée. Quand nous faisons référence aux deux genres « fille - garçon », cela ne veut pas dire que nous nions l’existence des personnes non-binaires ou ne se reconnaissant pas dans la binarité. Cette étude se base sur des articles théoriques et scientifiques, mais aussi sur une enquête menée auprès de notre entourage.


Fête et alcool, une histoire d'hommes

La différenciation des comportements de genre dans les manières de faire la fête et de consommer de l’alcool provient avant tout d’un long passé historique et traditionnel, restant aujourd’hui toujours bien ancré dans nos inconscients. Dès le XIX siècle, un dualisme est déjà normalisé. Le boire se définit comme un trait viriliste, symbole d’une société ultra-patriarcale. Les hommes boivent plus, du fait des rôles et des représentations sociales qu’ils tiennent en société. Ce sont les hommes qui définissent les contours du boire, selon leur propre manière de s’alcooliser et selon la place que doivent occuper les femmes dans l’espace public. Le boire féminin, quant à lui, reste stigmatisé et sans cesse lié à un déficit de féminité.

Malgré une progression incontestable de la norme égalitaire en matière de boire en soirée, les normes traditionnelles n’en restent pas moins abandonnées. Elles continuent toujours d’influencer les comportements si bien qu’on ne peut aujourd’hui pas parler d’une égalité de genre dans le boire.

 
L'excès, privilège masculin

Selon le sociologue Kim Bloomfield, « la différence des sexes en matière de consommation d’alcool est l’une de ces rares différences qui soit universelle dans le comportement humain ». Mais alors quelles sont les différences de genre dans les usages de l’alcool en soirée ?

Globalement, la consommation en forte quantité arrive plus tardivement chez les filles que chez les garçons. Les garçons commencent à consommer de l’alcool plus tôt, mais aussi en plus grande quantité. Ils testent aussi leurs limites à l’alcool sur une plus longue durée. Encore aujourd’hui, il reste plus acceptable de boire en excès lorsqu’on est un garçon. Lors des fêtes par exemple, où les femmes sont fortement alcoolisées, on leur dira plus facilement d’arrêter de boire contrairement aux hommes ou l’on sera plutôt dans la négociation en leur proposant de ralentir.


Des alcools genrés

En termes de types d’alcools, les hommes consomment des boissons dites « fortes » là où les filles consomment plutôt des alcools dits de table et/ou plus « doux ». Une tendance que confirme notre enquête : les garçons disent consommer davantage d’alcool type rhum, whisky ; les filles quant à elles, font plutôt référence au vin, rosé, blanc, etc. Mais un alcool revient autant chez les garçons que chez les filles : la bière. Elle pourrait être alors perçue comme un alcool universel, qu’importe le genre. Pourtant quand on approfondit le sujet, ce ne sont pas les mêmes bières qui sont consommées. Les filles buvant principalement des bières fruitées ; les garçons se tournant vers des bières plus amères. Chez les étudiants cependant, les alcools forts paraissent consommés à égalité, qu’importe le genre.


La modération, spécificité féminine

Dans le texte Boire, une affaire de sexe et d’âge, 5,6 % des filles disent consommer de l’alcool de manière régulière. Ce chiffre se voit triplé chez les garçons (15,2 %). Comme nous l’avons vu dans notre enquête, la plupart des filles font des pauses plus ou moins longues dans leur consommation. Les garçons quant à eux n’ont jamais évoqué ce type de break. 

Quand bien même nous pouvons croire à un sentiment illusoire d’égalité chez les filles et chez les garçons, on observe bien qu’en termes de quantité, de type et de fréquence, ce n’est pas le cas. Ce n’est pas pour rien que l’on continue de définir les filles qui s’émancipent des normes patriarcales de consommation d’alcool comme des filles qui « boivent comme des hommes ».


Des disparités chez les jeunes

Quand il s’agit de faire la fête, le milieu dit étudiant semble moins touché par les inégalités de genre et 78 % des étudiants définissent leurs pratiques de fête comme égalitaires. Les inégalités entre étudiants et étudiantes les plus marquantes ne seraient pas une question de genre, mais plutôt une question financière.

Dans les fêtes d’entreprises (pots de départ, soirées d’entreprises, etc.), ces inégalités sont cependant bien plus visibles. Les filles ne jouissent pas des mêmes libertés que les hommes (ces derniers détenant en majorité les postes à hautes responsabilités). S’émanciper des normes du boire féminin et des pratiques festives s’avère être un risque pour leurs carrières. Il est donc plus facile pour une femme de se soumettre à ces normes. Si elles s’émancipent trop, elles diminuent leurs chances d’obtenir une promotion, et dans le pire des cas, risquent de perdre leur travail.

Il est aussi important d’analyser les inégalités de genre en soirées via le prisme géographique : l’opposition villes/campagnes. 


Le Sam est avant tout une femme

Une des différences notables reste le retour de soirée. Dans les soirées en ville, il est plus facile de rentrer avec les transports en commun, en VTC, à vélo ou à pied. À la campagne, on est plus susceptible de prendre sa voiture au retour, car les distances sont plus grandes et les transports en commun inexistants.

Les inégalités filles-garçons se cristallisent autour de qui va jouer le rôle du « Sam ». Sur ce point, les filles ont plus souvent tendance à endosser ce rôle. Dans notre enquête, plus de filles ont avoué faire « Sam » que de garçons. Une tendance encore plus accentuée chez les couples hétérosexuels où dans la plupart des cas c’est la fille qui prend le volant.


Poids des normes sociétales chez les filles

La charge mentale poursuit les femmes même dans les moments de fête, de relâchement et de loisir. Les filles s’enivrent certes plus qu’avant, tout comme elles se permettent davantage de faire la fête, mais toujours pas de la même manière que les garçons.

L’idée intériorisée que la nuit est plus dangereuse pour les femmes que les hommes les oblige à être sans cesse sur leurs gardes. Et cela se ressent sur les pratiques. On apprend très tôt aux filles à analyser leur environnement. Dès le début de leur alcoolisation, on leur enseigne de sans cesse surveiller et garder leur verre à la main. Les filles sont très tôt responsabilisées et éduquées sur les dangers, pourtant aucun travail n’est fait auprès des garçons. L’actualité récente confirme que cette peur est légitime, et encore une fois c’est aux femmes de s’adapter en s’auto-excluant des lieux de fêtes alors que la dérive vient des hommes.

Quand il n’est pas question de « Sam » et que la fête a lieu en ville, le retour de soirée prend une tout autre dimension. Avant même que la fête commence, les femmes doivent déjà penser au retour. Ne pas rentrer seule, mais avec des ami.e.s, s’avère être un choix privilégié. Reste ensuite le VTC si elle en a les moyens. Puis les transports en commun bien que peu sécurisants et amenant souvent à écourter la soirée.

Si les filles doivent rentrer seules, plusieurs stratégies se présentent. La plupart prennent une tenue et des chaussures de rechange plus adaptées pour un retour rapide qui n’interpelle pas le regard. Elles arrêtent aussi de boire plus tôt, pour être non alcoolisées lors du retour comme l’admettent les filles de notre enquête. Ainsi elles peuvent marcher plus vite en étant pleinement conscientes de leur environnement. 


L'inconnu dans la rue, ce mythe patriarcal

Même si ces peurs sont légitimes ; les chiffres d’enquêtes sur les viols et agressions sexuelles montrent que dans 91 % des cas la victime connaît son agresseur ; que seulement 2 % des viols ont lieu lors d’une rencontre avec un inconnu dans la rue ; alors que 68 % des viols ont lieu au domicile de la victime. Le viol est avant tout un crime de proximité.

La société patriarcale ne veut pas que les femmes prennent plus de place dans l’espace public, qu’elles puissent profiter et faire la fête comme les hommes. Il y a cette volonté d’instituer la peur dans l’inconscient des femmes. Aucun travail éducatif n’est réalisé auprès des hommes. C’est aux femmes d’avoir peur, de se limiter et ainsi de ne surtout pas s’émanciper des normes que leur genre leur octroie. Il y a cette volonté qu’elle ne prenne pas plus de place.

S’ils ne sont pas agresseurs, les hommes ont tout autant de risques de se faire agresser sexuellement. Il serait donc pertinent d’éduquer les garçons sur les questions du viol. Beaucoup d’hommes se font agresser sexuellement (difficile de quantifier ces chiffres), pourtant on ne leur institue aucunement ce sentiment de peur, de nécessité de ne pas trop boire ou de faire attention.


Les femmes toujours sous contrôle

Le corps féminin reste plus soumis aux normes esthétiques que le corps masculin. Le corps est soumis au contrôle sociétal, ce qui empêche les femmes d’avoir un relâchement total dans les moments dédiés à cela. La plupart des filles dans notre enquête ont admis s’être déjà empêchées de boire pour faire attention à leur poids. Certaines admettent même boire certains types d’alcools, car ils sont moins caloriques. Une tendance confirmée par la presse féminine et le succès des articles sur « comment ne pas grossir en faisant la fête ». Les femmes se restreignent, analysent leur consommation ; les garçons ne sont pas du tout dans cette contrainte. Le poids et la pression des femmes d’avoir un corps normé selon les principes irréalistes de la société impactent tous les aspects de leur vie, même les espaces festifs. Cette problématique n’étant absolument pas évoquée du côté des garçons.

Au-delà des questions esthétiques, la manière dont les filles consomment de l’alcool est plus soumise au jugement que celle des garçons. La peur intrinsèque de « mauvaise réputation » est bien plus présente chez les filles et les comportements extravertis en soirée se définissent comme des traits essentiellement masculins. Lors de notre enquête, les filles admettent s’être déjà senties jugées. Certaines disent avoir eu des remarques si elles consommaient en excès autant de la part de filles que de garçons. Cela démontre que le sexisme et le patriarcat sont autant intériorisés chez les deux genres. Ce type de ressenti ne revient jamais chez les garçons que nous avons sondés. Les filles restent sans cesse au tournant d’un « droit à l’ivresse » et d’une culpabilité d’en avoir osé.


Se réapproprier pour les femmes, éduquer pour les hommes.

Comme nous l’avons vu tout au long de cet article, les hommes et les femmes ne sont pas égaux face à la consommation d’alcool en soirée. Même s’il y a une relative convergence des pratiques, croire en une égalité est illusoire. L’alcool reste un produit genré et les manières de boire et de faire la fête dépendent avant tout du genre.

Il est aujourd’hui important que les femmes se réapproprient l’espace public, qu’elles s’émancipent des normes sociétales et patriarcales d’alcoolisation et des pratiques de fête. Déconstruire l’alcoolisation et les pratiques de fête est un point essentiel pour tous.tes. Il est essentiel de sortir de ces schémas pré-construits pour que tout le monde puisse jouir de la fête de manière bien plus inclusive.

On notifie que l’éducation des garçons est le point déterminant pour une pratique de fête plus égalitaire. Plus que cela, ce sont tous les aspects de la société qui en bénéficieraient. Cela permettrait aux femmes de s’émanciper, mais aussi aux hommes de profiter des espaces de fête différemment, en sortant des normes virilistes qui les contraignent tout autant. Beaucoup de garçons se sentent obligés d’adopter certains comportements, de boire tels types d’alcools et/ou de faire la fête de telles manières. Nous avons tous.tes à gagner à repenser et reconstruire nos pratiques de fête.

François Perdriau & Clémence Rio, 2021 


Sources :

- Boire : une affaire de sexe et d’âge, Marie-Laure Déroff, Thierry Fillaut, 2015 

- Représentations sociales de l’alcoolisme féminin et masculin en fonction des pratiques de consommation d’alcool Elsa Taschini, Isabel Urdapilleta, Jean-François Verlhiac, Jean Louis Tavani
-Mythe sur les viols - Valérie Rey Robert

-Culture du viol - Valérie Rey Robert

-Les leçons de l’affaire Nicolas Hulot - Mediapart

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