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Billet de blog 5 mars 2022

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Chronique d'une guerre annoncée: Réflexions sur le mensonge totalitaire

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Récemment, le romancier russe Vladimir Sorokine a publié dans le Guardian le 27 février ce qui est probablement l'un des meilleurs articles récents sur Poutine et la dérive totalitaire du pouvoir russe. https://www.theguardian.com/.../vladimir-putin-russia...

Le Courrier international a aujourd'hui publié cet article en traduction française: https://www.courrierinternational.com/.../guerre-en... 

Vladimir Sorokine écrit: "Pour Poutine, la vie elle-même a toujours été une opération spéciale. Au sein de l’ordre noir du KGB, il a appris non seulement le mépris pour les gens “normaux”, sorte de matériau jetable pour l’État-Moloch soviétique, mais aussi le grand principe de la Tchéka [première incarnation du KGB] : pas un seul mot de vérité. " Ce qui interpelle aujourd'hui dans les épisodes diplomatiques qui ont précédé le déchaînement de fer, de missiles et de bombes qui pleuvent actuellement sur les villes ukrainiennes, c'est non seulement le mensonge comme stratégie militaire avérée, mais la rupture avec les conditions principielles (ceux qui sont familiers avec les concepts kantiens diraient "transcendantales) de tout dialogue réel, non pas au niveau des situations microscopiques des conflits personnels d'une société, mais sur la scène mondiale.

Cette altération n'est sans doute pas nouvelle dans le cercle du Kremlin où nous dit-on règnent la peur et l'effroi.

L'espace totalitaire n'est pas seulement une inclusion "en oignon" - comme le disait Hannah Arendt - des structures de pouvoir à partir d'un centre, mais le projet délibéré d'étendre le contrôle de son pouvoir central sur les significations du langage, comme sur le droit à mentir, à ne pas tenir sa parole, à violer les contrats, et au fond à considérer les protocoles diplomatiques internationaux et la parole officielle d'Etat comme de simples rouages mécaniques de la volonté de puissance. La sinistre langue de bois de l'époque soviétique semble vouloir réitérer ses méthodes d'altération du sens sur la scène internationale.

Les dernières élections présidentielles américaines nous avaient déjà mis en garde sur les risques d'une emprise du pouvoir sur la vérité, sur la naissance de larges archipels de croyances obscurantistes et autonomes qui s'engendrent, se fécondent et se reproduisent séparément dans une totale rupture avec la réalité. Avec la fermeture de plate-formes de réseaux sociaux et un contrôle impitoyable des médias en Russie, le jeu interactif du conflit des interprétations, qui dans l'espace démocratique, participe tant bien que mal à une régulations des croyances autour d'un socle épistémologique commun, est devenu impossible ou très difficile dans l'espace totalitaire qui bénéficie toujours de la guerre pour renforcer davantage ses pouvoirs et se pourvoir de droits exceptionnels au mensonge. 

Ces processus ne sont pas nouveaux, mais la mondialisation de l'information rend de plus en plus difficile la survie de ces univers schizophréniques engendrés par le totalitarisme. En effet, ils ne peuvent survivre que par la clotûre de leur univers délirant, alors que la mondialisation inévitable des économies, de la politique climatique, du droit international, et de la gestion des déplacements et des migrations impose de plus en plus des échanges d'informations, de biens et de marchandises...et des processus de savoirs et de recherches valides partagés au sein de la communauté scientifique internationale.

L'autisme totalitaire se voue à une radicalisation croissante de la répression nécessaire à sa survie, mais aussi à une dépense d'énergie de plus en plus lourde pour maintenir sa clotûre. Son fantasme d'unité engendre une cohérence délirante, auto-engendrée, puisée dans une Histoire mythifiée. Mais à l'heure de la mondialisation, ces univers fabulatoires totalitaires ne résisteront pas plus que les univers de mythomanes narcissiques qui s'inventent une biographie, mentent à leur propre famille et à leurs amis pendant une période assez longue avec d'indéniables talents d'acteurs et une fictionalisation quotidienne avant d'anéantir leur famille et eux-mêmes pour conclure leur illusion tragique.

Le mensonge de la parole d'un homme d'Etat, le fait de ne pas "tenir" sa parole, publiquement, comme la série de discours versés par les autorités russes pendant plusieurs mois au sujet des mouvements de troupes aux frontières de l'Ukraine, montre que la parole officielle est maintenant menacée de s'auto-détruire, qu'elle ne dissimule même plus que les déclarations et les situations de dialogues internationales ne sont que des armes différentes intégrées à leur arsenal militaire. Mais cette utilisation machiavélienne de la parole ne fonctionne que tant qu'elle ne s'est pas révélée en plein jour. Le masque arraché, elle ruine non seulement  sa propre crédibilité, mais se condamne aux yeux de tous sur la scène internationale, malgré le jeu frénétique des propagandes et des rhétoriques d'Etat qui tentent de la sauver.

Comment aborder une table de négociation avec ceux dont la parole viennent d'enfreindre les principes fondamentaux des possibilités mêmes de l'accord? Cette rupture 'transcendantale" avec les présupposés de toute confiance politique, mais aussi de toute rationalité communicationnelle et diplomatique, signifie une exclusion bien plus profonde que l'exclusion économique, bancaire ou commerciale et ressemble fort à un suicide politique qui laissera une trace profonde dans l'Histoire.

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