Il y a quelques jours, j'étais sur Twitter (personne n'est parfait) et j'ai croisé cette image : un homme escaladant la rambarde d'un escalier plutôt que d'utiliser les marches, car elles comportent un drapeau LGBTQIA+. Que vont lui faire ces marches ? Le rendre gay ? Le déshonorer ? Personne ne le sait vraiment. Ce qui est à peu près certain, c'est que cela ne ressemble pas à la réaction d'un homme sain d'esprit.

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Et il n'est pas le seul à faire ce que chez les jeunes on appelle "une dingz" (une dinguerie). Si ces phénomènes sont particulièrement visibles aux États-Unis, où l'on voit des gens massacrer leur machine à café à la hache ou encore tirer à la mitrailleuse sur des packs de bière parce qu'une personne trans a fait partie d'une de leurs campagnes de communication, il ne vous a pas échappé qu'en France aussi on commence à voir des gens avoir des comportements de plus en plus erratiques. Racontant n'importe quoi, rependant les théories les plus farfelues et agissant même parfois de manières… Franchement irrationnelle.
he destroyed the wrong beer. He broke the busch light cans 😭 pic.twitter.com/6gRr4HOi3N
— Victoria 🎀 (@EuphoriTori) April 18, 2023
La dissonance cognitive c'est avoir dans la tête deux idées en contradiction l'une avec l'autre. Par Exemple : "je pense que la vie est sacrée" mais aussi "je pense que les migrants doivent mourir en mer". Maintenir dans sa tête, sans qu’elle n'explose, ces deux idées contradictoires réclame soit une résolution, soit une rationalisation. Sinon comment pourrais-je énoncer "Je suis une bonne personne, je pense que hommes et femmes sont égaux, mais je ne veux pas qu'une femme prenne ma promotion au boulot et je ne veux pas faire la vaisselle"
- Pour rationaliser cette dissonance, la plupart des gens utilisent l'ignorance délibérée : il suffit de ne pas regarder les migrants mourir pour ne pas les voir. Car rappelons-nous, l’intention n'est pas de réconcilier les deux idées contradictoires (cela voudrait dire changer d'avis sur l'une des deux) juste d'expliquer leur coexistence.
- La résolution de cette dissonance cognitive ce serait soit "depuis 10 ans que je laisse ma femme faire tout à la maison et que je pique le travail de mes collègues féminines je suis pas une bonne personne faut que je change" soit "en tant que bonne personne je rattrape 10 ans de vaisselle et m'assure que mes collègues féminines aient la reconnaissance et les promotions qu'elles méritent". Un des 2 doit céder.
Généralement on trouve ces dissonances là où l'intérêt individuel prévaut sur l'idée qu'on se fait de soi-même. « Je suis une bonne personne pour l’égalité homme-femme » est en directe contradiction avec les 10 années passées à laisser ma femme tout faire à la maison et les quelques fois où je me suis approprié le travail de mes collègues féminines pour avoir une promotion. Pour conserver cet équilibre précaire, il faut fermer les yeux.
Seulement voilà, les féministes, les racisé·e·s, les LGBTQIA+ arrivent et commencent à poser trop de questions, à montrer avec des chiffres et des études que le monde est différent de ma représentation interne. Cela met en évidence cette dissonance cognitive... Que faire ? Eh bien réagir avec beaucoup de violence, car on me menace !
Oui, on ne peut pas comprendre la fascisation des sociétés modernes sans comprendre que pour Jean-Droite, vos demandes d'égalité veulent soit dire qu'il est une mauvaise personne, soit le condamnent à 10 ans de vaisselle et moins de promotions... L'égalité n'est pas anodine pour lui.
Elle n'est d'ailleurs anodine pour personne (lire Le Coût de la virilité de Lucile Peytavin et Backlash de Susan Faludi) mais ça, Jean-Droite s'en fout. Parce que c'est lui qui a le plus à perdre à court et moyen terme. Sur le long terme, une société apaisée et juste serait meilleure pour lui. Mais là, tout de suite, c'est la piscine qu'il veut faire construire qui est en jeu. Et si ce que vous lui proposez c’est échanger l'idée qu'il a été un sale con toute sa vie contre l'espoir d'un monde meilleur, il ne fait pas le pari.
Jean-Droite est là, en paix, la dissonance cognitive plein le crâne payée au simple prix d’un regard détourné, et vous, vous arrivez pour lui casser les couilles avec vos images d'enfants morts, vos statistiques de l’INSEE, vos chiffres, vos études, votre désinvisibilisation des minorités. In ne peux pas supporter ça, il produit une adéquation entre votre discours, votre existence dans l'espace public et une menace immense dressée contre lui. Mais vraiment, contre lui personnellement, en tant qu'homme, en tant que blanc. C’est lui qui n’a pas fait la vaisselle, c’est lui qui a changé le nom du document pour faire croire qu’il l’avait créé. Et en plus de cette attaque personnelle, il est attaqué en tant qu’homme, en tant que blanc.
Jean-Droite, a lu des livres, vu des films, par empathie, il a ressenti ce que c'était de subir des discriminations, d'être désemparé, perdu, acculé face à une machine, un système qui vous broie. Il a vécu avec des esclaves racontés, des prisonniers imaginés l’insupportable brutalité de leurs oppressions. Et ça ressemble à ce qu'il ressent au fond de lui : tout ça, c'est du racisme contre lui. C’est une violence qui lui est faite. Il faut une porte de sortie.
Vous rappelez vous nos deux options : réconcilier ses idées ou ignorer entièrement la dissonance cognitive ? Que faire alors quand la deuxième option n'est plus disponible. Quand on ne peut plus ignorer, à cause des images, d'internet, de la mise en contact avec ces "autres" qu'on voit être des humains sensibles et capables ? Inventer une nouvelle réalité.
Voilà, c'est pour ça qu'on voit des gens faire des dingueries genre flinguer leur machine à café parce qu'elle est trop woke, grimper un escalier sans toucher les marches, utiliser l'IA générative pour créer des fausses situations qui n'existent pas, raconter des bobards incroyables et croire les premiers billevesées qui passent.
Ce monde lue des politiciens pour lesquels Jean-Droite vote depuis des décennies n'ont pas rendu meilleur, il pue la merde, et le changer n’est pas une option. Il faut inventer des choses qui le justifient. On va sortir l'IA, on va faire des montages photoshop, on va s'accrocher au roman national, à la première théorie du complot qui passe sur Facebook. Tout, vous comprenez, tout sauf 10 ans de vaisselle et la réalisation que je suis une mauvaise personne.
Pitié, des passages sur terre, j'en ai qu'un, et si j'arrive devant Saint Pierre et qu'il me dit que j'ai été mauvais, je dois pouvoir lui dire "ah désolé je savais pas". Je savais pas pour les migrants qui mourraient, je savais pas pour les trans que j'ai poussé au suicide, je savais pas pour les blagues racistes, je savais pas pour le harcèlement sexuel, je savais pas que c'était pas bien. J’ai pas vu pour la vaisselle j’ai pas vu pour les promotions c’est pas ma faute.
Au début, gober toutes les sornettes du monde est un tout petit prix à payer pour avoir le droit d'inventer sa propre réalité, de conserver dans sa tête toutes ces idées qui ne sont pas vraies et garder tous ses privilèges... Mais à mesure que le temps passe, si le monde ne s'améliore pas (et Jean-Droite continuera à voter pour qu'il ne s'améliore pas) il faudra inventer un autre monde.
De plus en plus divorcé de la réalité commune. De plus en plus distant du réel.
Et ça ne va pas aller en s'améliorant. Car vous et moi ne sommes pas les seuls à avoir vu ce que Jean-Droite essaye de faire. CNEWS, Valeurs actuelles, bien d’autres ont compris que cette dissonance cognitive était certes un problème social, mais c’est aussi… un marché juteux. Vendre à Jean-Droite une alter-réalité dans laquelle les judéo réptiliens illuminatis de la terre plate sont responsables des malheurs du monde plutôt que lui et ses pairs, c’est peu cher payé.
Si tout ce qu’il faut pour conserver ses œillères bien en place c’est menacer de mort Sandrine Rousseau pour qu’elle ne lui dise pas de regarder en face comment il traite ses collègues et menacer de mort Baptiste Beaulieu pour ne pas réaliser comment il traite sa femme et s’épargner 10 ans de vaisselle ? Il répond présent car le coût à court terme est infime. Il vaut mieux, il vaudra toujours mieux s’enfoncer dans cette réalité alternative que d’ouvrir les yeux. Il vaut mieux grimper la rambarde et passer son pack de bière au peloton d’exécution.
Heureusement, il y a des pistes de réponse à ce divorce, si ça vous intéresse, j'en ferai un autre article, celui-ci est déjà bien long, pour une photo commentée mais merci de l'avoir lu :)