Oscar Tessonneau (avatar)

Oscar Tessonneau

Fondateur de Rightbrain Media

Abonné·e de Mediapart

180 Billets

1 Éditions

Billet de blog 13 février 2024

Oscar Tessonneau (avatar)

Oscar Tessonneau

Fondateur de Rightbrain Media

Abonné·e de Mediapart

« Nous sommes épuisés »

Des cabinets de conseil et autres job coaches pour profils atypiques sont accusés de pousser des personnes en situation de handicap mental vers l’autoentrepreneuriat, jusqu’à ce qu’ils s’épuisent psychologiquement.

Oscar Tessonneau (avatar)

Oscar Tessonneau

Fondateur de Rightbrain Media

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De nombreux paradoxes

"Le néolibéralisme semble avoir entamé, depuis quelques décennies, une profonde mutation, puisqu'il permet de survaloriser des personnes neurdivergentes s'adaptant au monde de l'entreprise". Ces mots de Gaspard* ont un sens. Après avoir travaillé dans tout type d'entreprises adaptés, comme Les Cafés Joyeux, ou les industriels adaptant leurs méthodes de Lean Management à des profils autistiques, cet autoentrepreneur en situation de handicap invisible se sent submergé par le marketing agressif et hypocrite de ces entreprises. Un constat partagé  Jean-Michel*, ancien cadre dans le recrutement chez Adecco:    " Il est clair qu’avec l’émergence de nouveaux réseaux sociaux comme Linkedin, une entreprise ne rate jamais une occasion de promouvoir les succès des personnes en situation de handicap dans leurs équipes. Je pense que cette approche ne marche plus, et donne une fausse image des profils neurodivergents." Il est convaincu que le capitalisme veut désormais intégrer entièrement les personnes neurodivergentes à sa logique, effaçant toute frontière entre vie privée et obligations professionnelles. « La dernière campagne de communication du cabinet Aspiejob, dont Adecco, EY, LCL ou Le Crédit Agricole étaient partenaires, mettaient en avant des photos de personnes autistes épanouies dans des salles de travail avec beaucoup de monde et de fortes lumière» Indigné par ces campagnes de communication et par les événements organisés par La Maison De L’Autisme autour de l’emploi, Jean-Michel estime que l’évolution du néo-libéralisme conduit de nombreux neuroatypiques à s’épuiser dans l’autoentrepreneuriat. « Les choix des cabinets de recrutement et autres job coaches, prétendument défenseurs de l’inclusion, poussent de nombreux profils neurodivergents à s’engager sans limites dans le travail, avec des journées de 15 ou 16 heures.»

Illustration 1

« La pression constante pour une rentabilité accrue est en train de les tuer psychologiquement. »

En 2024, de nombreux profils divergents, n'ayant ni leur place dans un emploi adapté type ESAT ni dans les métiers de l’informatique, deviennent autoentrepreneurs et s’épuisent à effectuer des tâches inadaptées à leur handicap. « Il est vrai que la majorité des formations proposées aux personnes ayant un trouble du neurodéveloppement sont presque constamment liées aux domaines de l’informatique et de la Data Science, ainsi qu’à quelques métiers en tension dans la restauration ou l’industrie. L’entre-deux n’existe quasiment pas. » nous confie Danielle*, une psychiatre parisienne exerçant en libéral. Depuis quelques mois, elle ne compte plus le nombre d’autoentrepreneurs neurodivergents s’endettant massivement, jusqu’à sombrer sous la pression, lorsque des organisations comme l’Arepejeh ou Aspiejob  refuse de les aider. 

Illustration 2

« Le statut de freelance les oblige à effectuer des tâches inadaptées à leur handicap."   La psychiatre parisienne se dit assez inquiète lorsque nous évoquons le sujet avec elle. "Cela impacte également leur porte-monnaie, puisqu’une consultation chez un psy dans les grandes villes coûte entre 90 et 150 euros. Enfin, je ne vous parle même pas de ceux qui sont pris en charge dans le public, et qui se retrouvent avec des ordonnances de neuroleptiques après chaque consultation dans un CMP. »  Lorsque nous contactons l’Arepejeh, l’un de ces organismes de recrutement pour profil atypique basé à Paris, Servanne Chauvel, la déléguée générale, nous répond. « Il me semble que j’ai été disponible pour examiner vos éléments et ai pris le temps de vous répondre. Est-ce le cas de tous vos interlocuteurs ? Nous accompagnons des projets au quotidien de jeunes entre 15 et 30 ans », en niant que l’autoentrepreneuriat des profils neuroatypiques soit exacerbé par la nature même des tâches demandées dans une économie néolibérale, marquée par une demande croissante de services et de créativité. 

Quand le travail rend dingue

L’ubérisation du travail a bouleversé les codes traditionnels des emplois adaptés. A tel point qu'aujourd'hui,  l’autoentrepreneuriat est la norme. En effet, qui ne rêve pas de devenir « freelance » après avoir vu une publicité de Fiverr ou d’autres entrepreneurs indépendants sur les réseaux sociaux ? Cette quête incessante du capitalisme pour démanteler tout cadre réglementaire dans l’accompagnement des neurotypiques vers l’emploi trouve son apogée dans une vision du travail où le salarié neuroatypique ou autiste est vu comme un génie de l'informatique et de l'entrepreunariat.  Steve Jobs et Elon Musk, eux-mêmes autistes, seraient ainsi les représentations les plus archétypales de l'autiste, apte à s’intégrer dans une économie néolibérale avec des idées aussi géniales qu'originales. Néanmoins, la réalité est tout autre. Au cœur de cette transformation se trouve une profonde modification des désirs et des affects au sein du monde du travail, guidée par une ingénierie des désirs, ou « épithumogénie néolibérale », orchestrée par les projets néolibéraux des entreprises. 

Un épuisement constant 

Ces dernières années, les entreprises investissent plusieurs dizaines de milliers d’euros pour valoriser leurs petites actions en faveur de la neurodivergence sur les réseaux sociaux. « On nous parle d'épanouissement, de réalisation personnelle à travers notre travail », témoigne Mathieu, autiste et ancien développeur Java dans une start-up, passé à son compte après un burn-out. « Derrière ces belles paroles, tenues par différents job coaches et autres cabinets de consulting lors des événements organisés autour de l’autisme et de l’emploi, il y a souvent une pression accrue pour que notre vie entière tourne autour de notre emploi, quel que soit notre statut, salarié ou autoentrepreneur. Je ne compte plus les autoentrepeneurs autistes qui bossent quinze heures par jour et s’endettent lorsqu’ils refusent des emplois adaptés et autres emplois obscurs proposés par les projets inclusion des groupes du Cac40 ».  Selon Mathieu*, cette stratégie, soutenue par plusieurs acteurs à l’Agefiph comme Véronique Bursteel et Christophe Roth, président de l’organisation et régulièrement invité par divers patrons sur des événements, vise à aligner les désirs des employés avec ceux de l'entreprise, non plus par la contrainte ou la récompense matérielle, mais en faisant du travail une source de satisfaction personnelle, un élément central de l'identité et du bien-être de l'individu.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.