Marine Le Pen et Donald Trump ont souvent été comparés ces derniers jours. Quitte parfois à mettre de côté certaines différences importantes et à oublier les travers de notre gouvernement.
Une comparaison séduisante
"Après Trump, Marine Le Pen ?", "Marine Le Pen espère imiter Trump en 2017", "Trump élu les Le Pen ravis". La patronne du Front national doit jublier. Toute la presse, ou presque, s'est transformée en relais de ses ambitions après la victoire de Donald Trump aux présidentielles américaines. Il faut dire que la comparaison est facile pour l'extrême droite. Un candidat se décrivant comme "anti-système", voulant stopper l'immigration, opposé à l'avortement et défendant un certain protectionnisme économique, qui devient président de la première puissance mondiale en prenant à revers tous les instituts de sondage, c'est du pain béni pour Marine Le Pen.
Outre les ressemblances entre les programmes, sur le plan de l'électorat aussi, les similitudes sont nombreuses. Dans les deux cas, les candidats profitent de l'effondrement de la gauche. Le parti démocrate a pris, avec Hilary Clinton, proche des milieux d'affaires, militariste, et favorable aux traités de libre échange, un tournant ultralibéral. Ce tournant n'a pas été sans conséquences. D'après une enquête d'Edison Research pour le New York Times, le Parti Démocrate a perdu 10% de voix chez les personnes gagnant moins de 30 000$ par an entre 2012 et 2016, même si celles ci votent toujours en majorité pour la gauche américaine. En France, le Front National a aussi capitalisé sur ce dégoût des élites politiques chez une part importante des français, et le parti recueille plus de 55% du vote ouvrier. L'impopularité record de François Hollande et de son gouvernement pourraient aggraver la tendance et pousser encore plus une partie de l'électorat populaire vers le FN.
Trump a beaucoup séduit dans les zones rurales, il suffit de voir la carte électorale pour s'en convaincre. En France, le géographe Christophe Guilluy relève également une progression du vote FN chez les classes moyennes des zones rurales qui éprouvent un sentiment de déclassement, et le mot "sentiment" est important. Dans le sondage du Times, les personnes déclarant que leur situation financière est "pire aujourd'hui" ont voté à 78% pour Donald Trump. Il s'agit encore une fois d'un ressenti, et pas necéssairement d'une situation réelle. Une sorte d'adaptation du concept de frustration relative1 à l'électorat d'extrême droite, en somme.

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Enfin, Donald Trump a probablement profité d'une démobilisation d'une partie de la population, faute d'un candidat de gauche suffisamment en phase avec leurs attentes. Selon le journaliste Sylvain Cypel, "Une partie signifiante des jeunes qui avaient voté Sanders ne se sont pas déplacés pour Clinton". L'avance de Bernie Sanders face à Trump dans les sondages était bien plus importante que celle d'Hilary Clinton, et beaucoup de ses militants s'accordent à dire qu'il aurait pu être victorieux, en capitalisant sur la défense des emplois, mais sans l'aspect xénophobe et raciste de son adversaire. C'est en substance ce qu'explique le candidat à la primaire démocrate dans une récente déclaration. Jean-Luc Mélenchon, qui s'est fortement inspiré de Sanders pour sa campagne et ses visuels jouera très probablement sur le même terrain pendant l'élection.
Mais à force de vouloir comparer et rendre similaires deux situations, les analyses en viennent à omettre plusieurs différences importantes.
Une comparaison incomplète
Tout d'abord, il n'est pas juste de dire que l'électorat du Front National est le même que celui de Trump. Là ou en France, le FN fait ses meilleurs scores chez les 18-35 ans, aux Etats-Unis ceux ci votent à 55% pour le Parti Démocrate, et le candidat Républicain était surtout porté par des personnes âgées de plus de 40 ans, toujours selon le sondage publié dans le New York Times. Ensuite, la dimension de classe sociale est importante en France lorsque l'on parle du FN. Celui ci est surreprésenté chez les ouvriers qui ne s'abstiennent pas, et il est également très fort chez les employés. Aux Etats-Unis, le vote républicain, même s'il a progressé chez les plus pauvres, varie finalement très peu avec le niveau de revenu, en oscillant entre 41 et 50%. Le vote pour le "grand old party" est surtout proéminent chez les populations blanches. L'absence de statistiques liées à la couleur de peau en France empêche de prendre en compte cette variable pour l'électorat de Marine Le Pen. Cependant aux Etats-Unis, c'est la question raciale qui semble traverser toutes les classes sociales et influencer toutes les autres variables lorsqu'il s'agit d'un vote Trump. Les blancs ont voté Trump à 58%, contre seulement 8% pour les noirs. La différence ressemble à une plaie béante dans la société américaine.
En France, plus les populations sont éduquées, moins elles votent FN. Dans une enquête de l'Ifop (p.11) publiée en septembre 2014 on observe une baisse constante du vote FN avec la hausse du niveau de diplôme. Celui ci passe de 46% pour les personnes n'ayant pas le bac, à seulement 13% pour les diplômés du supérieur. Aux Etats-Unis, la situation est plus floue à ce sujet. Certes, les plus diplômés votent davantage pour le parti démocrate, mais c'est encore une fois le facteur de la couleur de peau qui entre en compte ici, puisque les personnes sans diplôme votent moins pour Trump que celles ayant au moins un équivalent du bac. La progression du candidat Républicain est la plus forte chez les blancs sans diplôme universitaire.
Mais la plus grande différence réside peut être dans ceux qui sont au pouvoir en ce moment même.
De toutes façons, l'extrême droite est déjà là
En se concentrant sur le FN et sur le risque que celui ci représente, on en vient à oublier ce qui se joue juste sous nos yeux : le virage à droite et à l'extrême droite de la quasi-totalité de la classe politique. Faut-il vraiment revenir sur le fait que nous vivons sous Etat d'urgence depuis des mois ? Sur les arrestations de militants écologistes avec des outils conçus pour lutter contre le terrorisme ? Les perquisitions administratives et les assignations à résidence ? La déchéance de nationalité ? Depuis le discours de François Hollande devant le Congrès de Versailles qui a suivi les attentats de Paris, le gouvernement socialiste joue dans la cour de l'extrême droite. On peut y ajouter la répression ultra-violente des manifestations contre la loi travail, et bien sûr la loi travail elle-même.
Encore plus après Trump, il est toujours de bon ton d'agiter l'épouvantail Marine Le Pen, quitte à distordre quelque peu la réalité. Certes, le risque est réel, et la comparaison efficace, nous l'avons vu. Mais le problème n'est pas 2017. Le problème est là, aujourd'hui. Si Marine Le Pen ne passe pas en 2017, on agitera l'éventualité de son élection en 2022, pour autoriser et permettre toujours plus de politiques iniques. Pour pousser les citoyens à ne pas voter pour autre chose que les deux partis qui se partagent le pouvoir depuis 60 ans. L'extrême droite est déjà là et elle porte le visage de notre gouvernement actuel. Qui aurait imaginé il y a encore 5 ans un premier ministre de gauche justifier la victoire d'un Républicain américain en expliquant que celle ci montrait qu'il y avait un besoin de "plus de frontières" et de "réguler l'immigration" ? Ne parlons même pas du fameux "expliquer c'est déjà un peu excuser". L'extrême droite est partout, dans les discours, dans les projets de loi. Elle est dans les rues, armée et masquée. Le FN, c'est un phare au loin qui nous hypnotise. On se fixe sur lui sans prêter attention à ce qui nous entoure.
Le combat ne commence pas en 2017, il a déjà commencé.
Rémi Liechti
1 : Ce concept développé par le sociologue américain Ted Gurr consiste à expliquer la frustration d'une population relativement à ses attentes. Ce qui peut expliquer que le déclassement ou la peur du déclassement chez un individu de classe moyenne aura davantage tendance à voter à l'extrême droite que chez un ouvrier qui vivra moins bien, mais n'éprouvera pas ce sentiment.