
On ne sait pas grand-chose de Chris Marker. Une date de naissance, un lieu de décès. Entre les deux, un kaléidoscope d’images, aussi belles qu’insaisissables.
On sait pourtant qu’il avait des noms d’emprunt, différentes identités pour mieux cacher la sienne. Ne reste de son œuvre que les images qu’il s'est choisi, qu’il a consenti à laisser au monde. Pour se prémunir de l’autorité de l’auteur. Pour signer sa mort. Le début de son enfance.
De son vrai nom, Christian Bouche-Villeneuve, Chris Marker était curieux du monde, des autres. De cette attention de tous les instants, qui rend avide des nuances du bleu du ciel, ou de la vérité d’un regard.
Pour combler son appétit, il usait de tous les médiums. Ne se cantonnait à aucun rôle, sa créativité n’ayant de prédilection que pour les amours passagers, parfois fugitifs, toujours inoubliables. Il pouvait écrire un roman, réaliser une fiction, un documentaire ou éditer un livre de photographies.
On lui connaît des chefs-d'œuvre : la Jetée (1962) et Sans Soleil (1982), avec leurs images gravées pour l’éternité. Des films plus confidentiels, mais pénétrés par la même soif d’infini : Description d'un combat (1960).
Plus de 10 ans après sa mort, reste de Chris Marker une œuvre traversée de l’une des plus belles réflexions sur le temps. Ses célèbres commentaires où une voix fait écho aux images déployées avec grâce le montrent avec brio.
Déjà dans La jetée, on pouvait entendre cette phrase que seul Marker avait le génie de rendre audible : “Rien ne distingue les souvenirs des autres moments : ce n'est que plus tard qu'ils se font reconnaître, à leurs cicatrices.”
Dans “Les statues meurent aussi”, film coréalisé avec Alain Resnais, on pouvait entendre : "Quand les hommes sont morts, ils entrent dans l'histoire. Quand les statues sont mortes, elles entrent dans l'art. Cette botanique de la mort, c'est ce que nous appelons la culture".
Chris Marker, à l’image de ses textes, reste une énigme. Son habileté à mêler sons, textes et images atteignent leur paroxysme dans son film “La jetée”.

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Une fiction de 28 minutes, réalisée en photos-montages, avec la voix envoûtante de Jean Negroni qui donnent du relief à l’intemporel. La jetée examine la possibilité du voyage dans le temps. Dans un futur post-apocalyptique, un homme mystérieux, fort de la pureté de ses souvenirs d’enfance, est la victime idéale d’une expérimentation sur le voyage temporel.
Pendant l’expérimentation, un choix lui est donné entre la découverte du futur ou la plongée dans le passé. Il choisira d’être envoyé, en permanence, dans le passé pour retrouver la femme de ses rêves.
Ce que nous offre la jetée est une méditation, une prière sur ce qui nous sert de souvenir. Sur l’impossibilité du retour en arrière. Sur le déterminisme du temps, son aspect irrévocable.
Nul n’échappe au Temps. Chris Marker nous rappelle cette évidence amère.
Il dira comme pour avouer son amertume : « J'aurais passé ma vie à m'interroger sur la fonction du souvenir, qui n'est pas le contraire de l'oubli, plutôt son envers. On ne se souvient pas. On réécrit la mémoire comme on réécrit l'histoire. »