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Billet de blog 6 mai 2023

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Philippe Sollers : l’homme qui aimait la littérature

Le monde des lettres est en deuil. Un pilier des mondanités parisiennes s’écroula furtivement ce 6 mai. Les hommages se succèdent, les critiques aussi. Les proches érigent des tombeaux fleuris, les ennemis intimes sortent cracher sur les tombes.

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Illustration 1
Philippe Sollers, à Paris, le 15 janvier 2011 © JEAN-LUC BERTINI / PASCO

Philippe Joyaux est mort. Sollers, lui, n’en finit pas de vivre.

Le monde des lettres est en deuil. Un pilier des mondanités parisiennes s’écroula furtivement ce 6 mai. Les hommages se succèdent, les critiques aussi. Les proches érigent des tombeaux fleuris, les ennemis intimes sortent cracher sur les tombes.

La mort est l’occasion des règlements de comptes, du jugement définitif sur la postérité d’une œuvre. C’est aussi le moment privilégié où la curiosité morbide se défait des conventions de bienséance.

Que restera-t-il de l’œuvre de Sollers ? Qui est l’homme derrière l’écrivain ?

Autant de poncifs, qui alimenteront les colonnes de la presse française.

À défaut de s’intéresser aux livres de Sollers, le journaliste, traque les écarts de conduite, les indiscrétions, les dérapages.

Quand les turpitudes d’une vie sont déjà dans l’œuvre. Soigneusement disséminée dans les quelques milliers de pages d’un homme qui vivait pour écrire.

«  Le préjugé veut sans cesse trouver un homme derrière un auteur ; dans mon cas, il faudra s'habituer au contraire » disait Sollers, comme pour se prémunir des charognards.

Tâchons donc de respecter les vœux du défunt : essayons de trouver l’auteur derrière l’homme.

Tâche difficile tant l’auteur et l’homme semblent se dédoubler dans une danse macabre qui efface les traces du crime, ses ratures.

La formule, un peu béate : commettre un livre, prend ici toute sa profondeur.

Réussir un livre, c'est réaliser le crime parfait. Tellement, que la société s’efforcera de vous faire payer le prix de vos mains immaculées.

Être écrivain, c'est être suspect. C’est intégrer en soi, le regard réprobateur d’une société qui voit l’écriture comme une manie. C’est, aussi, faire face à un tribunal qui vous assène de questions sans réponses définitives :

Qu’est-ce qui pousse un homme à vivre pour écrire ? De quelle folie faut-il être frappé, pour vouloir noircir des pages, inlassablement ? Quelle est l’impulsion qui fait de l’écriture, une passion, parfois ingrate, mais toujours intarissable ?

Pour Sollers, le succès commence assez tôt, la haine aussi. Avec “une curieuse solitude”, son premier roman publié en 1958, le jeune Bordelais est adulé par deux grands noms de la littérature qui lui promettent un avenir glorieux. François Mauriac et Louis Aragon font de lui le vent frais d’une littérature qui s’est essoufflé après-guerre.

Après les lendemains qui chantent, le retour au face-à-face avec une page dont la blancheur obsède, condamne à la solitude. Comme une prémonition involontaire, le titre de son premier roman définira le cap du destin d’un homme qui croyait en son génie.

Une arrogance que ses détracteurs lui reprocheront de son vivant, et qu’ils pointent du doigt à sa mort.

Les formules assassines fusent : le plus grand des mauvais écrivains est celle que je retiens.

Pourtant, Sollers était tout autre chose.

D’abord, un homme profondément épris de femmes dont il cherchait à percer l’énigme romanesque, mais aussi un homme qui tenait la littérature comme la seule chose qui vaille.

Autant de passions qui font qu’une écriture déborde des conventions littéraires.

Écrivain prolifique, il pouvait écrire un roman sulfureux, Femmes” publiée en 1983, sur l’éternel quiproquo entre les hommes et les femmes.

Tout en tentant, deux années auparavant, l’exploit réussi d’écrire un roman sans ponctuation, “Paradis”.

Même ses détracteurs les plus virulents ne peuvent lui nier son talent de critique. Preuve qu’un critique n’est pas toujours un écrivain raté.

Ainsi, son quatuor d’exploration littéraire sous forme de recueil d’articles et d’entretien : guerre du goût, éloge de l’infini, discours parfait et fugues, lui survivra même aux yeux de ceux qui le trouvent sans-talent.

Pourtant, c’est avec talent et passion que Sollers s’emploiera toute sa vie à rendre hommage à la littérature et à tous ceux qui auront le courage de pénétrer l’antre du Minotaure.

Fondateur de la revue Tel Quel en 1960, il sera le premier à donner une tribune à des gens comme Roland Barthes, Jacques Derrida et Julia Kristeva, qui deviendra sa femme dès 1967.

Faiseur de rois à l’époque, Sollers sera au cœur de l’avant-garde intellectuelle et littéraire. Tellement, qu’il s’entichera des lubies de l’époque : le maoïsme, par pur esthétisme orientaliste, tout en évacuant de l’équation, les millions de morts causées par la Révolution Culturelle chinoise.

Une erreur qu’il reconnaîtra volontiers, comme un errement d’une jeunesse qui n’avait pas honte de se passionner, quitte à se tromper.

Pourtant, derrière la flamboyance de l’homme médiatique, se cache surtout un auteur brillant et sensible dont l’œuvre est un trésor à découvrir.

« La vie est un songe, merci de l’avoir rêvé » signé Philippe Sollers.

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