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Cette semaine, je ne vais pas parler d’une personne d’exception, mais d’une tentative de sortir de l’ordinaire. Un effort pour contourner les sentiers académiques.
Je vais parler d’un projet. D’une ambition intime. Celle de réaliser quelque chose qui compte pour soi, quand tout se ressemble.
L’aventure de deux amis partis à la conquête d’un medium qui leur tient à cœur.
Réaliser un docu-fiction pour parler d’un sujet vaste : le temps.
L’idée de départ était classique faire un documentaire sur le quotidien d’un artisan-horloger.
Notre projet consistait à donner une tribune aux horlogers qui persistent à faire de leur métier un art à part entière qui conjugue minutie et passion. Une ode au métier-passion, à un rapport au temps de travail tout à fait différent des velléités productivistes. Un contre-pied à toutes les injonctions à travailler pour un besoin de rendement et optimisation. Un hommage à ces métiers que l'on refuse de voir disparaître.
Malgré son intérêt, le projet nous semblait plutôt classique. C’est à une réflexion plus vaste que l'on voulait amener les spectateurs potentiels.
Influencés par les films de Chris Marker, nous voulions s’essayer, naïvement, à quelque chose de plus grand. Plus difficile. Où la possibilité de l’échec était plus grande que celle d’une “réussite” commode.
Si le projet est encore une esquisse. La ligne directrice se clarifie de plus en plus. J’aimerais partager avec vous ce qui tient pour un incipit à cette aventure :
Notre rapport humain et notre perception du temps sont un effort pour humaniser ce qui nous dépasse. Conscient de sa mortalité, l’homme veut donner une échelle mesurable au Temps éternel et indicible. L’horlogerie ou autre artefact humain n’est qu’un effort insensé pour rester éternel ou s’en donner l’illusion.
Le temps est le seul universel-subjectif. S’il est le même pour tous, il peut être vécu de manière radicalement différente pour l’un ou l’autre. Un instant peut-être synonyme d’un bonheur absolu pour l’un, quant au même moment un autre vit un calvaire innommable.
Au-delà de la subjectivité, les nouvelles technologies à l’assaut de l’attention ont radicalement modifié notre rapport au temps. Le temps devient l’équivalent d’une durée où le maximum de dopamine doit être injecté dans ce qui nous sert de cerveau.
Le temps long, celui de la réflexion, de l’introspection, n’est ni souhaitable ni possible.
Il est l’ennemi de l’homme moderne, qui y voit un moment presque claustrophobe.
Le temps est assiégé par le désir de le remplir. L’homme moderne est cette créature qui joue contre-la-montre. Certain de sa défaite malgré son apparence victoire.
Car oui, l’homme a su gagner du temps. Avec les moyens de transports, l’automatisation, l’AI, l’homme a su se faciliter les tâches du quotidien. Mais à quels prix ?
N’y a-t-il pas une corrélation entre effort et accomplissement ? Entre passion et envie d’être dans le temps de la créativité ? Les plus grandes œuvres, ne sont-elles pas celles qui sont dans le don, la gratuité ? Pourquoi vouloir gagner ce temps ? Le temps, se gagne-t-il ou s’expérimente et se vit ?
Les paradis de silence et de vie intérieure sont remplacés par des paradis artificiels : drogues… Pour musique de fond, une électro endiablé pour stimuler un cerveau qui s’insupporte d’être conscient.
L’Homo sapiens devient l’homo-festivus. Accablé par son désir de mondanité sans jamais être capable d’y renoncer.
L’époque et son temps se rapprochent de deux approches ou issues possibles. Le Kali Yuga théorisé par René Guénon. Considérant que le temps est cyclique, Guénon pense que l’époque est à l’âge de fer. Une étape inévitable dans le cycle du temps, ici historique. Pour un renouveau du temps, vers un âge d’or qui ne saurait tarder à venir.
Pour les monothéistes, le temps est linéaire. L’époque signe la fin des temps, l’Armageddon, le tiqqun ou autre nom pour mettre un terme à l’épopée de l’homme.
Et vous, spectateur, de quoi votre temps est-il le nom ?