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Billet de blog 22 mars 2023

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Sublime, forcément sublime Marguerite Duras

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Illustration 1
Illustration de couverture, Moderato Cantabile © Les Éditions de Minuit

« Écrire, c'est aussi ne pas parler. C'est se taire. C'est hurler sans bruit »

Marguerite Duras avait le goût des silences. De l’écriture comme constante ellipse, esquissant du sens pour mieux s’en dérober.

Avec la littérature pour seule boussole, seule absolue, Marguerite jouissait du privilège de l’artiste. De son rire caustique, elle condamnait ses personnages en papiers au tribunal de la postérité.

Ne jurant fidélité qu’aux mots tracés sur la page, Duras faisait de l’écriture un geste d’une inquiétante douceur.  Une écriture soucieuse de l’exaltation des sens, jamais du reste. 

Pourtant, un soir de 1985, c’est de tout le reste que Duras s’était soucié. Elle avait fait de son écriture le moyen de dévoiler l’ignominie du pire crime : l’infanticide. L’affaire Gregory était l’affaire de toute la France. Ce soir-là, elle n’était que celle de Duras. 

Il fallait faire face à l’innommable. Pour décrire l’infanticide, il fallait faire de l’écriture une maladie. Celle qui ronge pour mieux dévoiler. En se saisissant du fait divers, Duras a fait de l’écriture sa maladie de la mort.

Ce soir de 1985, Duras n’était pas seule face à sa page blanche, c’était toute la noirceur du monde qui guettait ses mots. Faire que l’affaire Grégory soit autre chose qu’une affaire judiciaire, c’était prendre le risque de l’inexactitude. Duras avait pris un risque plus grand encore : tremper la plume dans la plaie.

Plaie toujours béante. Celle d’une France qui ne comprend pas. C’est par cette inconcevable que Gregory était devenu le symbole de la pureté qu’on assassine.

Illustration 2
Photo non datée du petit Grégory Villemin, 4 ans, retrouvé noyé le 16 octobre 1984, pieds et poings liés dans la Vologne. © AFP

Ainsi, le 16 octobre 1984, la France se réveille meurtrie. Le petit Gregory est retrouvé dans une rivière des Vosges, sans vie. 

Dès le lendemain, les parents de Gregory reçoivent une lettre anonyme. 

Le propos est ignoble : “J’espère que tu mourras de chagrin. Ce n’est pas ton argent qui te redonnera ton fils”

Cette lettre sonnera le point final d’une longue série de menaces qui sera ponctuée du passage à l’acte. 

Un meurtre qui semble relever de la vengeance, celle dont n’est capable que les plus proches.

C’est ainsi que l’enquête se tourne vers la famille du père de Grégory : Jean-Marie Villemin. Un premier suspect est arrêté : Bernard Laroche, cousin de celui-ci.

Vite relaxé, l'enquête prend un autre tournant. Sur les ordres du Juge Lambert, responsable de l’enquête, Christine Villemin, mère du petit Gregory, est suspectée.

C’est de cette suspicion que va naitre le texte tristement célèbre de Marguerite Duras, publié par le journal Libération sous le titre : Sublime, forcément sublime, Christine V.

Illustration 3
Duras Affaire Villemin Libération 17 juillet 1985 © Libération (archive personnelle)

Si le texte est d’une grande beauté littéraire, Duras pêche d’avoir fait d’une présumée innocente, la coupable idéale.

Duras termine son article ainsi : « Je parle du crime commis sur l’enfant, désormais accompli, mais aussi, je parle du crime opéré sur elle, la mère. Et cela me regarde. Elle est encore seule dans la solitude, là où sont encore les femmes du fond de la terre, du noir, afin qu’elles restent telles qu’elles étaient avant, reléguées dans la matérialité de la matière. Christine V. est sublime. Forcément sublime. »

En devenant Christine V, Christine Villemin est sacrifiée sur l’autel de la littérature. Innocentée par la justice, elle restera dans les mots de Duras à jamais coupable. 

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