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Billet de blog 24 mai 2023

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Imad Mughniyeh : Le fantôme de Beyrouth

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Illustration 1

Imad Mughniyeh, ce nom ne vous dit peut-être rien, ou pas grand-chose. 

Pourtant, c’est l’une des figures les plus controversées du Hezbollah et de la lutte contre Israël. 

Chef militaire historique de la branche armée du Hezbollah, son visage et son nom ne seront dévoilés au grand public qu’à sa mort en 2008. 

Sa disparition n’avait rien de paisible. Elle était à l’image de sa vie et du tumulte du Moyen-Orient. Qui vit par l’épée périra par l’épée, me dira-t-on. Cette triste locution fera office d’épitaphe à cet homme empli de contradictions.

Il aura suffi, d’une détonation, d’un clic pour mettre en branle les explosifs placés dans la voiture et mettre fin à une vie de clandestinité.

D’un lourd fracas, pour remplir Damas de silence. 

Après 20 ans de traque, les services secrets occidentaux et le Mossad, avaient mis un point final à une épopée dont seul le Liban détient le secret. Avant d’être une légende noire du terrorisme ou de la lutte, Imad Mughniyeh incarnait un destin collectif. Le sort d’une nation blessée, mais qui a l'orgueil de panser ses blessures en silence. 

Des plaies nées d'un fratricide. De l’éternel retour du premier meurtre. Le Liban avait fait un pari sur la bonté de l’Homme, sur sa solidarité loin du sectarisme et s’était trompé.  Après la guerre civile, le Liban n’était plus. 

Pourtant, le pays du Cèdre demeure d’une rare beauté, une beauté qui porte en elle un devoir de violence. Un devoir dont Imad Mughniyeh et toute une génération de Libanais firent un droit.

Né le 7 décembre 1962, Imad est originaire d’une petite ville du sud-Liban. Tayr Debaa, l’une des villes les plus proches de la frontière avec Israël. C’est de cette proximité géographique que naîtra chez le jeune Mughniyeh un profond attachement pour la tragédie palestinienne. Un drame que le petit Mughniyeh percevait dans le symbole des camps de réfugiés palestiniens arrimés à sa ville, comme une embarcation de fortune après le naufrage. 

De ce sentiment d’injustice, il fera une raison d’agir. Leader né, il rejoint les rangs du Fatah et intègre sa brigade d’élite, la Force 17, en tant que sniper. Chargé de la protection du chef de l’OLP, Imad, à peine adolescent, deviendra le garde du corps rapproché d'Arafat. 

Malgré sa précocité, rien ne destinait Imad Mughniyeh à devenir l’un des plus grands tacticiens et ennemis d'Israël. C’est au lendemain de la révolution iranienne en 1979 et l’intervention israélienne de 1982 que le destin du fils d’un petit vendeur de légumes prit une tournure historique. Par l’intermédiaire d’Anis Naccache, autre militant de la cause palestinienne, Imad fait la rencontre des services secrets iraniens et des chefs de la nouvellement fondée Force Al-Qods.

En 1982, il est l’un des 5 fondateurs historiques du Hezbollah. Il s’occupera moins des prêches et des discours que de tactique militaire et de renseignement. Il s'emploiera aussi, des années durant, à donner au Hezbollah une envergure internationale, appuyée par la Syrie et l’Iran. De cet appui, naîtra un bloc appelé “front du refus” contre « l’Impérialisme américano-sioniste ». 

Un parti pris si radicale, que le Hezbollah ne fera jamais référence à Israël autrement qu’en l’appelant « l’entité sioniste ».

Durant son règne de 25 ans à la tête du Hezbollah, Imad Mughniyeh était loin d'être un enfant de chœur. Redoutable d’intelligence, il réussit à faire d’une petite milice du Sud-Liban, la seule armée à avoir entaché Israël d’une défaite militaire. Un exploit tel que de l’aveu de Robert Baer, ​​un ancien agent de la CIA qui a passé des années à le traquer, Mughniyeh était "probablement l'agent le plus intelligent et le plus capable que nous ayons jamais rencontré".

Pourtant, s’il a su s’imposer comme un véritable mythe de la lutte contre Israël, Imad Mughniyeh a usé de moyens d’une infinie violence pour arriver à ses fins. Il est accusé d’avoir signé les attentats les plus meurtriers de la région. Il est soupçonné d'être à l’origine des attentats contre les Israéliens à Tyr en 1983 en 1982 (75 morts), le QG des marines à Beyrouth (241 tués) et le « Drakkar » en 1983 (58 parachutistes français tués). Plus les attentats contre le centre culturel juif à Buenos Aires, en 1994, tuant 85 personnes et faisant des centaines de blessés. Son nom sera encore mêlé à l’enlèvement et l’assassinat d’otages occidentaux, dont le chef de la CIA à Beyrouth William Buckley ainsi que le sociologue Français Michel Seurat.

Ces actes d’une infinie barbarie ne contrastaient malheureusement pas avec le climat de violence omniprésent au Moyen-Orient. Si ces actes nous semblent monstrueux, terroristes, c'est parce qu’elles sont perpétrées en dehors de la bannière respectable de l’État. Qu'un bombardement emportant la vie de centaines de civils soit effectué par une armée régulière, l’appellation terroriste ne sera presque jamais invoquée. C’est tout l'intérêt de la persistance du statu quo sur la reconnaissance d’un État palestinien. Si un État palestinien, voit le jour, il jouira de la souveraineté de la Défense et plus de la disgrâce des tactiques de guérilla.

Cette disgrâce, cette “mauvaise” réputation, Imad Mughniyeh l’avait fait sienne. Pourtant, à mesure que ses faits d’armes ou ses faits divers remplissaient les colonnes de la presse, Imad restait un fantôme. Tellement spectrale, qu’il est le sujet principal d’une série documentaire réalisée par Showtime en 2023 ayant pour titre : “Ghosts of Beirut”.

Illustration 2

En effet, Imad Mughniyeh est resté toute sa vie un mystère. Insaisissable, tout le monde le connaissait sous son pseudonyme “Hajj Radwan”, pourtant très peu avait l’occasion de le regarder dans les yeux. 

"Nous avons accumulé des renseignements sur lui, mais plus nous nous rapprochons, moins nous glanions d'informations - pas de points faibles, pas de femmes, d'argent, de drogue - rien.", a révélé David Barkay, un ancien major de l'unité 504 du renseignement militaire israélien qui était chargé du dossier Mughniyeh.

C’est sous la direction de Meir Dagan, Chef du Mossad en 2002, que l’étau se resserra sur Mughniyeh. Ayant perdu deux frères dans l’explosion d’une voiture piégée à Beyrouth, Imad se fait rare. 

Or, pour parfaire sa légende, le héros a besoin de sang : le sien. Il réalise son destin funèbre le 12 février 2008. Au moment de la détonation finale, Imad Mughniyeh a été fait martyr.

Toute sa vie a été un prélude à ce moment précis. Frappée par la double malédiction de la violence et de l'héroïsme, Imad s’était dévoué sans bornes pour sa patrie et la patrie qu’on refuse aux autres. Pourtant, en 2022, ne reste du Liban et de la Palestine que ruine et désolation. Rappelant la phrase de Bertolt Brecht : “Malheureux le pays qui a besoin de héros”.

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