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Billet de blog 28 mars 2023

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Marie Colvin : Vies et mort d’une correspondante de guerre

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Illustration 1
© Don McCullin

Dans l’imaginaire collectif, la guerre est synonyme de virilité. Un état d’exception où la violence héroïque est permise, même souhaitable. Un instant où toutes les pulsions masculines, longuement réprimées, ont le loisir de se déchaîner contre l’ennemi.

Cependant, dans certaines lignes de front, une femme s’était frayé un chemin pour un tout autre combat. Une lutte plus violente encore que celle des obus. Un combat intérieur pour rendre compte des affres de la guerre.

C’est ce destin que s’est choisi Marie Colvin.

Considérée par ses collègues comme la plus grande reporter de guerre de sa génération, Marie Colvin s’était obstinée à regarder la mort en face. À la scruter, la traquer presque. Ces faits d’armes sont nombreux. Elle a sans relâche parcouru la planète, pour être au plus près des drames. Pour les entendre, lui murmurer une quelconque vérité sur un monde guerrier et ambigu.

Elle cherchait aussi à donner une voix aux victimes de la guerre. À ces sans-visages qu’on abattait sans peine, sans sépulture. Marie avait cette tendresse, toute féminine, de ne jamais comprendre sans empathie. De ne surtout pas rester dans la tour d’ivoire des journalistes mondains.

Au contraire, c’était dans les plis de la guerre, qu’elle se logeait pour écrire. Elle posait bagage là où la censure menaçait la liberté de savoir. Une liberté qui, pour elle, valait de prendre tous les risques. 

Illustration 2
Marie Colvin, Amman, Jordanie, 1991 © SIMON TOWNSLEY

Pourtant, la jeunesse de Marie ne laissait pas présager que sa vie serait marquée du sceau du danger.

En réalité, sa carrière de journaliste était le fruit du concours des circonstances.  Une rencontre fortuite dans le campus de Yale University avait fait d’une envie passagère de journalisme, une passion définitive.  Étudiante en Anthropologie à l’époque, Marie assiste au cours de John Hursey, Lauréat du prestigieux prix Pulitzer. 

Monstre sacré du journalisme, John Hursey a été le premier à interviewer des survivants des attaques atomiques contre le Japon. De cette expérience, il en tirera son classique “Hiroshima” qui dépeint l'impact de la bombe de manière crue.

Illustration 3
John Hersey © DMITRI KESSEL / THE LIFE PICTURE COLLECTION / GETTY

Marquée par cet homme, elle décidera d’embrasser une carrière de journaliste.  

Spécialisée dans le Moyen-Orient, elle couvrira, pour le Sunday Times, les conflits de tous les continents. De la Tchétchénie au Timor oriental, Marie Colvin arpentera le monde avec l’insatiable soif d’informer.

Avec le désir profond de mettre en lumière les drames que les bourreaux occultent. 

Pour son courage, elle remportera des prix prestigieux. Mais sa plus grande victoire était de déjouer la mort. De s’en approcher constamment sans que la faucheuse ne puisse l’étreindre une dernière fois. 

Pourtant, un jour, la mort lui donna un ultime avertissement. 

Lors d'un reportage sur la guerre civile au Sri Lanka, elle sera touchée par l'explosion d'une grenade de l'armée sri-lankaise.

Marie Colvin perdra définitivement l’usage de son œil gauche.

Rappelant le vieil adage : ni le soleil ni la mort ne peuvent être regardés en face.

Elle portera un cache-œil devenu la marque de fabrique de son style. 

Une sorte de clin d’œil à sa survie, au mythe qu’elle était devenue.

Illustration 4
Marie Colvin, Iraq © DANFUNG DENNIS

Un mythe de personnage public, plus grand que nature, de la plus grande correspondante de guerre. Tout cela, elle l’était, mais derrière la légende se trouvaient le doute et la douleur intérieure. Diagnostiquée du syndrome de stress post-traumatique en 2004, Marie ne pouvait faire l’impasse sur les scènes cauchemardesques dont elle avait été témoin.

Après une longue absence, elle fit son grand retour sur la scène journalistique pendant le printemps arabe, où elle couvrira avec brio les remous d’une jeunesse qui refusait la dictature.

Au même moment, le régime syrien faisait usage d’une violence inouïe pour mater les révoltes. Ainsi, en février 2012, Colvin est entrée en Syrie à l'arrière d'une moto, ignorant les tentatives du gouvernement syrien d'empêcher les journalistes étrangers d'entrer en Syrie pour couvrir la guerre civile. Sur place, elle a décrit des tirs d'obus et des attaques de snipers "sans pitié" contre des bâtiments civils et des personnes dans les rues de Homs par les forces syriennes. Marie Colvin a décrit le siège de Homs comme le pire conflit qu'elle ait jamais connu.

Illustration 5

Ce sera la dernière image qu’elle gardera d’un monde qu’elle s’était résolu à comprendre. Le 22 février 2012, Marie Colvin n’était plus. 

Le monde avait perdu une grande journaliste. Peut-être la plus courageuse.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.