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Vénézuélien, doctorant à l’Opalc (Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes) et chercheur au Ceri (Centre de recherches internationales), deux institutions liées à Science-Po Paris, Eduardo Rios a passé une nuit blanche dimanche dans l’attente des résultats tardifs des élections législatives, marquées par une lourde défaite du parti socialiste au pouvoir. Depuis Oxford, où il participe à un programme d’échanges, il a répondu à nos questions.
Beaucoup de commentateurs se montrent surpris du discours peu combatif de Nicolás Maduro, dimanche soir, en reconnaissant la défaite du Parti socialiste. Est-ce si étonnant ?
C’est surprenant dans la mesure où on s’attendait à un résultat plus serré. Si tel avait été le cas, le gouvernement aurait montré les crocs. Mais l’ampleur de la défaite a privé le pouvoir de socle pour contester les résultats. Maduro n’a pas montré sa force, il n’a usé d’aucun effet dramatique, ce qu’il aurait fait avec un résultat moins sévère. Il a simplement pris acte d’une défaite cuisante.
La MUD, coalition d’opposition, aura la majorité dans la nouvelle Assemblée. Quelle sera la répartition des différentes forces ?
Les listes ont été composées de façon proportionnée, pour que chaque parti de l’opposition, en cas de victoire, puisse former un groupe parlementaire. Les cinq grandes formations auront entre vingt et trente élus. La composition du Parlement respectera donc le rapport de forces à l’intérieur de la MUD, et sa complexité. Le centre de gravité devrait être un centre gauche non révolutionnaire, avec une aile droite libérale et une aile gauche formée d’anciens chavistes.
Une coalition si hétérogène ne risque-t-elle pas d’exploser en vol ?
Dans un premier temps, je ne crois pas. Les premières décisions de la nouvelle Assemblée seront faciles à prendre, car consensuelles. Ce sera d’abord une loi sur l’économie, pour unifier le taux de change et casser l’inflation. Ensuite, une amnistie pour les prisonniers politiques. Et enfin un dispositif pour combattre l’insécurité. Ce calendrier de travail devrait permettre de maintenir l’alliance électorale pendant une année, et, à défaut de consolider le groupe, du moins de donner l’illusion de l’unité.
Dans cette cohabitation, le gouvernement a-t-il la possibilité de restreindre les prérogatives de l’Assemblée ?
Cette crainte a beaucoup circulé pendant la campagne. Mais l’ampleur de la victoire donne à l’opposition la majorité qualifiée, à savoir les deux tiers des sièges. Tout simplement parce que le système électoral, conçu pour favoriser le parti au pouvoir pendant seize ans, accorde une prime énorme à la force arrivée en tête. Dimanche, il s’est retourné contre le chavisme en amplifiant la victoire de l’opposition. La majorité qualifiée permet de lancer une réforme constitutionnelle et d’annuler toute tentative du gouvernement de rogner les pouvoirs politiques du Parlement. Quant à un scénario extra-institutionnel, il ne me semble pas envisageable.
Le cas de figure de la cohabitation entre un président et un Parlement de couleurs différentes est-il courant en Amérique latine ?
Il n’est pas inédit. Lula, le président brésilien, y a été confronté. Dilma Roussef aussi, avec un Parlement très fragmenté, où sont représentés 17 partis. C’est plus rare au Venezuela, d’où l’intérêt de l’expérience. La cohabitation va permettre à la présidence comme à l’opposition de se rejeter mutuellement la responsabilité des décisions économiques douloureuses qu’il faudra prendre très rapidement. Et, quelque part, faciliter leur adoption. En tout cas, je doute que la cohabitation soit un obstacle à l’exercice du pouvoir au Venezuela.
Le chavisme s’est implanté dans la presse et dans la justice, comment voyez-vous l’avenir de ces secteurs ?
La justice n’a jamais été exemplaire au Venezuela, elle a été facilement idéologisable, en s’adaptant à l’air du temps. Aujourd’hui, le tribunal supérieur de justice est coloré en rouge, mais ça peut changer très vite. Plusieurs magistrats du tribunal supérieur sont proches de la retraite, ce sera donc l’opposition qui nommera leurs remplaçants. La majorité qualifiée permettra aussi aux futurs députés de révoquer des juges. Concernant les médias, il y a un pôle public très puissant, et un secteur privé placé sous la surveillance de la Conatel, un organisme public. Cette surveillance devrait se relâcher, puisque la Conatel est sous le contrôle du Parlement. Désormais, les télés privées, Televen et Venevision, pourront choisir leur ligne éditoriale librement. Et les chaînes publiques devront inviter des personnalités de l’opposition.
Après la défaite des péronistes en Argentine et les déboires de Dilma Roussef au Brésil, le glas sonne-t-il pour ce «socialisme du XXIe siècle» dont Hugo Chávez a été l’initiateur ?
Il est plus facile de gérer la politique quand l’économie a le vent en poupe. Les trois pays que vous citez sont dépendants de matières premières qui ont flambé avec la hausse phénoménale du pouvoir d’achat des Chinois. Ces régimes ont duré plus de dix ans, et l’usure du pouvoir a coïncidé avec la détérioration du climat économique. Mais je ne crois pas ce soit la fin des politiques de gauche en Amérique latine. Contre les systèmes hérités du «consensus de Washington», qui prétendait que le développement d’un pays impose libéralisation économique et libre circulation des capitaux, le tout avec des politiques monétaires strictes, une nouvelle perspective économique s’est jointe à une nouvelle position politique. Cette rencontre a débouché sur l’idée qu’il faut augmenter le pouvoir d’achat et introduire les classes «défavorisées» tant dans l’exercice du pouvoir politique que dans la sphère économique. Une partie de ceux qui étaient auparavant favorables au tout-marché ont fini par se ranger à cette position. Qui semble, aujourd’hui, évidente. La prochaine étape, c’est de trouver les moyens de cette intégration dans le cadre d’une économie soutenable, de permettre à ces personnes d’entrer dans la classe moyenne. C’est par exemple la proposition de Mauricio Macri en Argentine.
Succéder à Hugo Chávez relevait-il de la mission impossible pour Nicolás Maduro ?
Maduro était convaincu que pour poursuivre l’œuvre de son prédécesseur, il avait besoin d’un parti consolidé, uni électoralement. Il y est parvenu. Mais le prix à payer pour l’unité électorale a été l’inaction économique. Ce qui a ouvert la porte à une critique évidente : l’économie va à vau-l’eau, et vous êtes incapable de la réformer. Cet argument a été au cœur de la campagne de la MUD. Et il a porté dans l’opinion bien au-delà de ce que tout le monde attendait, MUD comprise. L’effort d’unité politique a été contre-productif, et il n’a rien à voir avec Chávez, c’est une démarche de Maduro. Dans ce sens, c’est une défaite personnelle.