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Billet de blog 5 mars 2015

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Lettre à monsieur Valls

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Monsieur le Premier ministre

Ce mot terrible « islamo-fascisme » que vous avez prononcé dernièrement a jeté le trouble dans mon esprit, c’est pourquoi en vous écrivant cette lettre, j’essaierai d’y mettre un peu d’ordre.

Ce mot effrayant que vous avez utilisé me renvoie aux sinistres images de la seconde guerre mondiale, dans cette Europe qui a précisément donné naissance au fascisme et au nazisme. Il n’était pas question alors d’Islam.

Je voudrais vous parler de tous ces Maghrébins, de tous ces Africains qui ont aidé la France à combattre le fascisme et le nazisme alors que leurs propres pays étaient sous occupation française. Je voudrais aussi vous parler de ces immigrés de la première heure qui ont brûlé leurs poumons dans vos mines et sur vos routes goudronnées, qui ont travaillé dans les chaînes infernales et abrutissantes de vos usines. Ces hommes fiers qui ont pourtant, leur vie durant, ramassé vos ordures, balayé vos trottoirs, sans jamais rechigner à la tâche, trop heureux encore d’avoir un travail honnête. Ces hommes, dans leur grande majorité, ont pour religion l’Islam, un Islam qui a longtemps rayonné dans le monde entier avant que certains individus sanguinaires et tristement incultes ne le prennent en otage.

Je voudrais vous rappeler aussi ces années noires, pas si lointaines, qu’a connu l’Algérie lorsqu’elle luttait seule contre la violence intégriste. Des millions d’Algériens ont été alors les premières victimes de cette barbarie qu’aucun mot ne saurait décrire.

Non, l’islam n’appartient pas à ces fanatiques qui en font une lecture moyenâgeuse, sectaire et réductrice. Appelez-les « fascistes » ou même « nazis » et je serais entièrement d’accord avec vous, mais associer ces mots à l’Islam est plus qu’une erreur sémantique, c’est une offense faite aux nombreux musulmans de France qui ont toujours pratiqué leur foi dans la plus grande discrétion et dans le respect des valeurs républicaines.

Ce mot terrible, le président du CRIF l’a repris à son compte pour affirmer que toutes les violences faites aux juifs étaient commises par de jeunes musulmans, alors même qu’il remettait un prix à un autre musulman, Lassana Bathily, pour avoir sauvé les otages juifs de l’épicerie casher. Ce même président du CRIF qui déclare en même temps : « Marine Le Pen personnellement irréprochable ». Sont-ils aussi musulmans ces jeunes alsaciens qui venaient de profaner un cimetière juif dans un village où le front national remporte toutes les élections ?

On flatte d’une main pour mieux insulter de l’autre main. On proclame l’union sacrée tout en continuant à diviser et à stigmatiser. Ces jeunes « musulmans » dont il parle étaient d’abord français et leur folie meurtrière n’a pas épargné d’autres musulmans.

Français aussi tous ces jeunes ados partis en Syrie pour trouver des réponses à ce monde cynique et incohérent, des réponses que nous n’avons pas su leur donner. Ce sont nos enfants et en tant qu’adultes, nous en sommes tous responsables.

Certes, il y a des problèmes mais nous sommes nombreux, musulmans, pratiquants ou non, et même athées à nous manifester au quotidien, à écrire, à dire, à faire, à expliquer, à  être tout simplement des  citoyens français heureux de vivre en France, ni meilleurs, ni pires que d’autres. Il y en a même parmi nous qui votent Front National, c’est vous dire ! Nous sommes nombreux aussi à faire résistance à ceux qui veulent nous imposer leur vision de la religion, et qui voudraient faire de nous de gentils petits moutons incapables de penser et de décider par nous-mêmes.

Monsieur le Premier ministre, mon identité ne se limite pas à ma religion, qui ne dit ni mon nom, ni mes origines, ni mes choix, ni mes rêves ; elle est plurielle : Française, Algérienne, Kabyle, Africaine. Elle est universelle. Tout au long de mon histoire, j’ai été aussi bien juive que chrétienne, j’ai été une esclave chrétienne aussi bien qu’une reine berbère. J’ai été Française en Algérie, puis Algérienne en France, puis Française par choix. Je suis d’abord une femme, je suis d’abord une mère.

Savez-vous tous nos combats, à nous autres femmes « musulmanes » pour nous affranchir du joug patriarcal ?

Savez-vous nos ruses et nos ruptures familiales pour échapper à des mariages arrangés qui ne nous arrangeaient pas du tout ?

Savez-vous ce que nous avons dû sacrifier pour arracher notre liberté qui a fait de nous des parias au sein même de nos familles ?

Et après toutes ces luttes que nous avons menées et gagnées seules, savez-vous ce que nous ressentons lorsque nous voyons nos petits sœurs, nées en France, arborer avec fierté et arrogance ce voile qu’elles pensent avoir choisi de porter en toute liberté alors qu’il est le premier signe flagrant de leur asservissement futur ?

Non, sûrement vous ne le savez pas, sinon vous cesseriez de nous pointer du doigt en nous demandant systématiquement de venir prouver sur la place publique que nous sommes de « bons musulmans ». Or, la religion n’a rien à faire sur la place publique d’un pays laïque qui doit plus que jamais rester laïque.

Nous aimons profondément cette France des droits de l’Homme, cette France qui a pour devise « Liberté, Égalité, Fraternité », et cette Liberté, chèrement acquise, n’est pas négociable. Ces hommes qui ont usurpé, puis salit et discrédité notre religion, sont aussi nos ennemis. Ils sont les ennemis de l’humanité tout entière, et si nous les laissons nous diviser, alors ils auront gagné.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier ministre, mes respectueuses salutations.

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