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Billet de blog 5 mars 2015

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Lettre à un philosophe

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cher monsieur le philosophe,

Hier, aux infos, je vous ai vu pointer de votre célèbre index péremptoire la communauté musulmane, la défiant de se rendre à la manifestation pour dire sa désolidarisation d’avec les terroristes en précisant que ce serait là un test.

Me voilà donc une fois de plus mise à l’index, convoquée, contrainte de montrer patte blanche, de rendre comptes, de m’excuser presque d’être de culture musulmane. Je n’aime pas qu’on me force la main, qu’on me teste, qu’on m’exhorte à quoi que ce soit, encore moins qu’on m’enferme dans une quelconque communauté. Sachez, monsieur, que j’appartiens à une seule communauté : la communauté des Hommes, la seule qui vaille.

Je n’ai rien à prouver, rien à justifier, ma foi relève de mon intimité et ne regarde que moi. Je n’ai pas à l’exposer sur la place publique. Plus tard bien sûr, il faudra, et il le faudra absolument, qu’on interroge cette religion et ses pseudo-représentants, qu’on redéfinisse notre « musulmanité » que l’on soit pratiquants ou non. Plus tard aussi, quand j’aurai fini de pleurer, j’essaierai d’analyser ce sentiment trouble et explosif de culpabilité et de chagrin, de colère et de honte que je ressens, malgré moi. Mais pas maintenant, pas ici. Aujourd’hui je veux seulement témoigner de mon profond chagrin, pour ces hommes qui ont contribué, avec leur délicieuse irrévérence, à faire mon éducation civique, qui m’ont appris l’esprit critique, le libre arbitre, l’indignation par le rire et la liberté vraie.

Je n’étais pas toujours d’accord avec eux, et j’avais même pensé que leur fameuse Une reproduisant les caricatures danoises sur le prophète Mohammed, ne ferait que jeter de l’huile sur le feu dans un climat déjà vacillant. Ce qui ne m’avait pas empêché, en digne héritière d’Averroès et de Voltaire, de l’acheter.

Y a basta ! disiez-vous encore comme on le dit en pays catalan. En Algérie, ce pays qui nous est commun, on dit : Barakat !  Et en Cabu-Charbie, on dit, avec tout le respect que je LEUR dois : je t’emmerde !  On est d’accord, donc, pour crier : Ça suffit !

Devant ma garde-robe de prêt-à-penser, je me tâte, je me « teste ». Je ne sais pas quoi porter.  J’hésite entre le « je suis Charlie », le « Not in my name », le « Je ne suis pas terroriste », le « Je ne suis pas armée », le « Love and peace », etc. Mais maintenant, je doute. VOUS m’avez mis le doute ! Je doute de tous ces symboles que je trouvais tellement seyants auparavant et que je portais crânement. Ces symboles qui ne feraient, au fond, que me stigmatiser davantage, ces symboles qui nous divisent, ces symboles qui nous tuent.

J’irai à cette manif, cher monsieur le philosophe, avec ou sans votre accord. J’irai nue. J’irai seule. J’irai libre. J’irai le cœur à vif, mais le rire en bandoulière. J’irai seulement vêtue d’un crayon et de cette poésie d’Henry Bauchau :

Je ne suis pas vraie dit l’aube, je suis là.

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