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Billet de blog 6 novembre 2016

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Un mois sans Marine !

La ministre de la Santé Marisol Touraine a décrété que le mois de novembre serait un mois sans tabac, et J’étais bien résolue à saisir cette occasion d'arrêter de fumer. En sortant de chez moi, ce premier jour de novembre pour me rendre à un rendez-vous d’une extrême importance, j’étais encore fermement décidée à tenir cet engagement collectif.

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La ministre de la Santé Marisol Touraine a décrété que le mois de novembre serait un mois sans tabac, et j'étais résolue à saisir cette occasion pour arrêter de fumer. En sortant de chez moi, ce premier jour de novembre pour me rendre à un rendez-vous d’une extrême importance, j’étais encore fermement décidée à tenir cet engagement collectif. Mais c’était sans compter sur les perturbations de la météo, et celles du tram qu’une énième manifestation de salariés en colère avait lourdement retardé. Attendre le tram sous une pluie glaciale avec la crainte grandissante d’arriver en retard à mon rendez-vous d’une extrême importance, eurent raison de ma louable mais très courte résolution. Il me restait encore les dernières cigarettes du mois précédent que je n’ai pas eu le courage de jeter.  Juste une, après, promis juré j’arrête pour de bon ! Je me déculpabilisais avec cette formule rituelle bien connue des fumeurs !
J’avais à peine sorti mon paquet de mon sac que je vis une femme s’approcher de moi d’un pas hésitant, presqu’à reculons. Les cheveux grisonnants, la soixantaine, peut-être moins, peut-être plus, elle avait les épaules rentrées comme pour se protéger d’un mauvais coup de poing, ou de l’humiliation d’un refus, d’un rejet qui seraient pires encore qu’un mauvais coup de poing. Arrivée à ma hauteur, elle me demanda d’un mince filet de voix si je voulais bien lui donner une cigarette. Elle bafouilla, s’excusa presque d’une pareille demande, elle ne voulait surtout pas qu’on la prenne pour une mendiante, comme tous ces Roms qui ont fait de la mendicité leur métier ! Je mis fin à son calvaire et avec un grand sourire, je lui tendis une cigarette, trop contente de ne pas être la seule à enfreindre les consignes ministérielles.  
Dès la première bouffée de cigarette qu’elle aspira goulument, la femme retrouva un peu d’assurance, sortit les épaules de son coup et se justifia dans un flot de paroles confuses : « vous comprenez j’essaie d’arrêter mais c’est trop dur, surtout celle du matin, j’ peux pas m’en passer. » Je tentais de la rassurer : « Vous avez raison, il vaut mieux taxer une ou deux cigarettes, y a pas de honte à demander, que d’acheter un paquet qui vous incitera à fumer plus ».  « Mais aussi, me répondit-elle, en baissant les yeux, c’est parce que je n’ai pas d’argent. Trop cher le paquet, la vie, tout ... 7 euros, vous vous rendez compte, c’est pas dieu possible ! Et quand je pense que tout ça va direct dans les poches de l’État ! » Puis elle enchaîna sur tous les sujets d’actualités, les policiers qui se font caillasser par des bandes de jeunes, les juges corrompus qui les relâchent aussitôt et sapent le travail de la police, les salafistes et les femmes voilées, sans oublier les caissières de Carrefour qu’on licencie à tour de bras. « Tenez, pas plus tard qu’hier, à Carrefour justement, y avait une queue pas possible à la caisse alors qu’il y avait d’autres caisses de libres mais sans caissières ! Si même Carrefour se met à faire des économies en supprimant des postes de caissières, mais où va-t-on ! Et tout ça pour payer les dividendes de ces messieurs les actionnaires, une honte que j’vous dis !  En plus la caissière, qui était pourtant d’un certain âge, était désagréable comme une porte de prison, ni bonjour, ni merde, ni rien, et j’ai bien vu dans son regard que je n’allais pas assez vite à son goût à ranger mes commissions. Allez vite, vite, payez et dégagez ! Celle-là pour sûr qu’elle avait reçu des consignes d’en haut : faites du chiffre, pas de l’humanitaire qu’ils leur disent ! Dire bonjour ça prend trop de temps et puis ça incite les gens au bavardage. Le temps c’est de l’argent, c’est leur devise ! Et bien sûr, c’est toujours nous, les petits, qu’on écrase ! »
En baissant soudain le ton elle pointa du doigt deux jeunes garçons assis un peu plus loin. Deux jeunes qui bavardaient tranquillement en attendant le tram, mais dont le seul tort peut-être était d’avoir le teint un peu trop basané « vous voyez, ça serait moi, je les enfermerais fissa tous ces voyous qui ne respectent rien ! » Je lui demandai tout en douceur si c’était ces garçons-là qui avaient augmenté le prix de son paquet de cigarettes et licencié des caissières à Carrefour. Elle me regarda avec des yeux ronds, comme si j’avais dis une énorme stupidité et d’un haussement d’épaule me répondit : «bien sûr que non, voyons ! » et elle reprit de plus belle : « Plus aucun respect j’vous dis ! Et plus de justice ! Que du mépris ! Y’a tout qui fout le camp !

Il y avait chez elle un mélange corsé d’altermondialiste et de front national et c’est sans doute son côté altermondialiste qui l’emporta et me la rendit sympathique.  

« Avec tout ça, moi j’voterai pas Hollande, ah ça non ! »

Retenant mon souffle, je lui demandai : « alors vous allez voter Marine ? ». Cette femme tout à l’heure sans âge, sans argent et sans espoir sembla soudain se métamorphoser sous mes yeux. Elle avait redressé sa tête et ses épaules comme si elle s’apprêtait à faire un salut militaire et je vis dans son regard un mélange d’innocence enfantine et de fierté retrouvée qui la rendaient belle et émouvante. Avec un grand sourire, dénué de toute arrogance, elle me confirma la réponse que j’avais deviné tant elle prévisible, tellement prévisible : « Oui madame ! Car elle au moins, elle nous écoute, nous défend, nous comprend ! » Elle aurait pu ajouter : « ... Elle me considère, elle me respecte, elle prend soin de ma dignité... »
C’était donc cela la force de Marine qui avait su récupérer tous les cabossés de la vie, les «sans-dents », les « sans-argent », les «ploucs», les « invisibles » et leur faire le coup du légendaire « je vous ai compris ! »
Chère Madame, croyez-vous qu’elle fera mieux que ses prédécesseurs ? Vous voyez en elle le messie qui viendra vous sauver quand elle ne fait que se gausser de votre stupide naïveté. Il n’y a chez elle aucune empathie, aucune compassion, et la petite fille gâtée qui a tout reçu à sa naissance ne pourra jamais comprendre ou même imaginer vos fins de mois difficiles, vos manques de tout, votre isolement, votre lassitude face à la dureté de la vie. Ne vous faites pas d'illusions, elle est seulement portée par une vengeance qu’elle rumine depuis trop longtemps.  Sa propre vengeance qui serait aussi celle du père dont elle reste la fille et le bras vengeur. Et c’est bien cela qu’elle fera en premier, restaurer l’honneur bafoué de son père qui pleure encore la perte de son Algérie française. Puis quand elle en aura fini avec nous autres les immigrés, les étrangers, les migrants et même les martiens, elle s’attaquera à vous, augmentera vos impôts, votre loyer et votre paquet de cigarettes, et laissera les grosses entreprises licencier à tour de bras pour mieux donner aux actionnaires. A vous, petite chose insignifiante et désargentée, elle préférera toujours les pétrodollars d’un prince saoudien ou les diamants d’un dictateur africain car c’est bien l’argent qui mène le monde et l’argent est le nerf du pouvoir. Croyez-vous qu’elle voudra partager cela avec vous ? Que nenni ! Vous savez bien qu’on ne prête qu’aux riches ! Pour vous, elle n’aura que mépris et vous tiendra pour seule responsable de tous vos malheurs.

Non, elle ne fera pas mieux que ses prédécesseurs, lesquels lui ont ouvert un boulevard. Elle fera pire ! Ne vous y fiez pas, une femme qui a pour seul programme la haine de l’autre ne vous apportera rien de bon, à vous comme à moi. Et en votant pour elle, vous voterez contre vous, contre la fraternité et contre la paix. Vous voyez, on est dans le même bateau toutes les deux, un bateau qui prend l’eau de toutes parts, à bâbord comme à tribord, mais plutôt que d’attendre je ne sais quel sauveur, soyons-en les seules capitaines à bord, et unissons nos forces pour arriver à bon port, ensemble...
Tout cela, je ne lui ai pas dit. Mon tram venait d’arriver. En lui tendant une dernière cigarette je n’eus que le temps de lui dire : « celle-là, c’est celle du matin pour demain ! Comme ça vous penserez à moi. Pensez à moi aussi quand vous serez dans l’isoloir et que vous vous apprêterez à voter Marine le Pen, et rappelez-vous que c’est une Maghrébine qui vous a tendu une oreille bienveillante et partagé ses cigarettes avec vous ! » Puis je me suis engouffré dans la rame sans demander mon reste.
Une fois installée et ne pensant plus qu’à l’heure de mon rendez-vous déjà bien entamée, alors que le tram commençait à partir, j’entendis des coups furieux frappés contre la vitre ; je reconnus le visage de la femme presque collée à la vitre et  qui me criait en gesticulant : « Ne vous inquiétez pas, je voterai blanc, je voterai blanc ! Et tout en courant après le tram elle criait encore « je voterai blanc... ne vous inquiétez pas ! En souriant, je levai le pouce dans sa direction en signe de victoire et la suivit longtemps du regard. Cette femme m’avait profondément émue, et je me suis sentie plus proche d’elle que de n’importe quel bobo socialiste qui lit Télérama et le Nouvel obs. (dont je suis une fidèle lectrice je l’avoue !) ou d’une catho centriste qui œuvre au secours populaire. Peut-être la rencontrerais-je à nouveau sous un abri de tram et que nous prendrions le temps de bavarder plus longuement. Qui sait, peut-être même pourrions-nous devenir amies. Elle n’aurait plus besoin alors du Front national.

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