J’avais 12 ans quand je suis rentrée pour la première fois dans un commissariat de police où ma mère, que j’accompagnais, avait été convoquée. Mon frère âgé de 14 ans, se trouvait là-bas pour répondre à l’accusation d’un vol de mobylette qu’il n’avait pas commis. Comme il clamait son innocence, le policier qui l’interrogeait le fit taire en lui assénant une gifle d’une violence inouïe tout en toisant ma mère d’un regard mauvais comme s’il la mettait au défi d’intervenir. Ma mère qui ne maîtrisait pas encore la langue française, ne put que se taire. Je n’oublierais jamais son regard plein d’effroi et de culpabilité pour n’avoir pas su protéger son fils de la violence de cet homme. J’ai compris ce jour-là que la violence n’était pas tant dans la gifle que dans l’humiliation qu’il voulait infliger à ma mère en lui usurpant son autorité parentale. Plus tard la preuve a été faite de l’innocence de mon frère mais ni lui ni ma mère n’eurent droit à des excuses.
Aujourd’hui, certains policiers ne se contentent plus d’assener des gifles,et présenter des excuses n'est toujours pas leur fort, mais ils font mieux, ils font plus fort, avec la bénédiction de leurs supérieurs qui leur assurent une totale impunité.
Nicolas Sarkozy en supprimant la police de proximité jugée trop coûteuse, laquelle pourtant maintenait, dans l’apaisement plutôt que dans l’affrontement, un lien de confiance et de respect entre la police et les citoyens, en coupant, pour les mêmes raisons budgétaires, les subventions à de nombreuses associations qui œuvraient efficacement sur le terrain, et en multipliant les mesures sécuritaires draconiennes, reprises et peaufinées par le gouvernement Valls, n’a pas diminué la délinquance, loin de là, mais a semé la peur et la mort et détruit définitivement le pacte de confiance entre une police dite républicaine et l’ensemble de la population.
Certes, il y a une poignée de casseurs et de dealers dans ces cités qui salissent et perturbent tous les autres habitants. Pour autant doit-on mettre tout le monde dans le même sac sans séparer l’ivraie du bon grain ? Combien de mères, à la recherche de leurs fils toxicos, se sont rendues au commissariat pour s’entendre dire qu’ils n’étaient pas là alors qu’ils étaient détenus arbitrairement et passés à tabac pour leur soutirer des informations, sans la présence d’un avocat, encore moins d’un médecin, et qu’on relâchait le lendemain, les livrant ainsi aux représailles musclées des dealers. Combien de manquements à la loi par ceux qui sont censés la faire respecter. Combien de bavures policières jamais relevées et de ce fait banalisées.
Les arrestations arbitraires, les contrôles d’identité au faciès sur la même personne dans une même journée, les paroles humiliantes et les gestes à caractère sexuel, les gifles distribuées gratuitement et les propos raciaux sont le lot quotidien de ces jeunes des cités baptisés « racaille » par le même Sarkozy, stigmatisant de fait l’ensemble des jeunes vivant dans ces cités ainsi que leurs familles qui paient injustement pour les dérives de quelques uns.
Le contexte actuel de terrorisme et l’état d’urgence qui en découle a brouillé les pistes entre petite délinquance et terrorisme, multipliant et justifiant les pires dérives. La police elle-même en paie le prix, soumise à la culture du chiffre et des statistiques réclamés par les dirigeants politiques de tous bords à des fins électoralistes. Une police souvent jeune et inexpérimentée, mal formée et mal payée dont les conditions de travail sont de plus en plus difficiles et abrutissantes, voire déshumanisantes. Une police mal traitée devient à coup sûr une police maltraitante et ce n’est bon pour personne, à part peut-être pour Marine Le Pen qu’on a jamais aussi copieusement servie.
Un Projet de loi relatif à la sécurité publique, engagé par le gouvernement actuel, va venir étoffer un arsenal répressif déjà bien lourd, doublant les peines encourues pour outrage aux personnes dépositaires de l’autorité publique, et renforçant les possibilités de tir à vue, entre autres mesures sécuritaires qui ne feront qu’augmenter le nombre de bavures policières en même temps qu'elles réduiront nos libertés individuelles. Ce projet de loi est une honte et ne va en aucune façon dans le sens d’une paix sociale et de la sécurité de nos enfants. Il ne fera qu'attiser la haine des uns et des autres, des uns pour les autres.
Le viol récent de Théo atteint au plus intime de sa chair et de sa dignité, la mort d’Adama Traore, de Rémy Fraisse, de Bouna et Zyed, et de nombreux autres, tués, éborgnés, mutilés, humiliés, violés, anonymes qui n’ont pas eu la chance d’être médiatisés, pour tous ceux-là il faudra que justice leur soit rendue, et peut-être alors que la Police républicaine pourra laver son honneur sérieusement altéré par les brebis galeuses qu’elle compte en son sein, et retrouvera ainsi le respect qui lui est dû à condition qu’il soit réciproque et rassembleur.
Nous n’avons pas su entendre le message que les émeutes de 2005 après la mort de Bouna et Zyed nous délivraient, c'était la promesse d’une révolution certaine qui risque bien d’éclater ici et maintenant si les dérives autoritaires continuent leur danse mortifère.
Billet de blog 13 févr. 2017
Là où la force est employée, l’autorité proprement dite a échoué. Hannah Arendt
J’avais 12 ans quand je suis rentrée pour la première fois dans un commissariat de police où ma mère, que j’accompagnais, avait été convoquée. Mon frère âgé de 14 ans, se trouvait là-bas pour répondre à l’accusation d’un vol de mobylette qu’il n’avait pas commis. Comme il clamait son innocence, le policier qui l’interrogeait le fit taire en lui assénant une gifle d'une violence inouïe
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