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Billet de blog 10 avril 2023

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Emmanuel Macron, extrémiste libéral – 1. Tordre le bras aux institutions

Si la réforme des retraites permet une chose, c’est de montrer qu’il existe un extrémisme libéral. Prêt à tout pour imposer son idéologie, il s’incarne désormais en Emmanuel Macron. Cette série d’articles s’emploiera à éclairer cette dérive autoritaire du pouvoir. Retour sur le dévoiement des institutions pour l'adoption de la réforme libérale des retraites.

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« On est plus dans du budgétaire, on est dans du symbolique, de l’autoritaire », François Ruffin © Ouns Hamdi


« Cette année sera en effet celle d’une réforme des retraites, (…) sur laquelle le gouvernement, avec les partenaires sociaux, et le Parlement, va travailler dans les mois qui viennent pour finir de mettre en place de nouvelles règles qui s’appliqueront dès la fin de l’été 2023 »
, c’est en ces termes, lors de ses vœux pour la nouvelle année, qu’Emmanuel Macron annonce officiellement aux Français un bouleversement majeur. Pour cet exercice particulier du chef de l’Etat, chaque mot est pensé, est pesé. Alors que le Président ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale, il acte seul, dès l’annonce, que sa réforme sera adoptée, et va jusqu’à s’engager sur le calendrier d’application.

Pour que la prophétie se réalise, il usera et abusera de tous les instruments les plus autoritaires de la Ve République. Selon le baromètre de référence, Democracy Index, publié chaque année par l’hebdomadaire The Economist, la France reste une démocratie défaillante. Macron nous en fait la preuve.

De l’autoritarisme légal au musellement parlementaire

S’il se permet de s’avancer à ce point dès le 31 décembre, et d’ignorer la représentation nationale, c’est que nos institutions le lui permettent. Conçue par et pour le Général De Gaulle, en un temps record, issue d’une crise de régime et en pleine Guerre d’Algérie, la Ve République désigne un monarque républicain. Sa Constitution lui offre un arsenal remarquable. « Si les gens ne voulaient pas des 64 ans, il ne fallait pas me mettre à la tête du premier tour ». Voici ce qu’en retient Emmanuel Macron, et sa véritable conception de la démocratie : voter une fois tous les cinq ans et se taire. Or, s'il exerce en effet dans un cadre légal, encore heureusement, le président est également garant de l'unité de la nation et de sa démocratie sociale. Il se doit donc de respecter les corps intermédiaires, notamment les syndicats. Syndicats qu'il a refusé de recevoir, brisant ainsi tout dialogue ou négociation possible. 

Après des semaines de questionnement sur la méthode à adopter pour faire passer au forceps sa réforme des retraites impopulaire, Emmanuel Macron a choisi d’utiliser un cavalier législatif, celui du Projet de loi rectificatif du financement de la sécurité sociale (PLFSSR) – le 47-1. Loin d’être un détail. « Un tel outil n’a pas pour but de reconfigurer le système ou de supprimer des régimes spéciaux. Cela pourrait donc mener à une inconstitutionnalité. C’est un risque réel que prend le gouvernement, dont la méthode contrevient à l’esprit de la Constitution. Des arguments solides nous permettent de plaider qu’il s’agit d’un détournement de l’usage du PLFSSR » expliquait à l’Humanité le constitutionnaliste Benjamin Morel. Normalement réservé aux textes strictement budgétaires, il présente toutefois un double avantage pour le gouvernement : il limite le temps des débats à vingt jours à l’Assemblée et à quinze jours au Sénat, ce qui laisse également moins de temps pour qu’une mobilisation sociale d’ampleur s’organise.

En un temps si restreint, tout amendement, tout débat, est rendu impossible et sera pointé du doigt comme une obstruction parlementaire. Pourtant, Elisabeth Borne, première ministre, se permet de dire qu’elle « souhaite vraiment qu'il y ait un débat démocratique sur ce texte, qu'on puisse discuter argument contre argument, projet contre projet ». Quel débat ? Alors même que toute discussion sur le fond est contrainte. « On va prendre deux ans de vie à la retraite à des millions de gens dans ce pays, on peut y consacrer plus que 10 jours de débats à l’Assemblée nationale », résumait Manuel Bompard, député LFI. Dans l’hémicycle, jusqu’au dernier jour, de nombreux parlementaires ont demandé un allongement de ce temps démocratique, le gouvernement n’en tiendra pas compte. 3,5 millions de personnes dans les rues, des mobilisations record semaines après semaines ? Rien n’y fait.

Suffit de parler, vote bloqué

Peu importe si 80% des Français ne veulent pas de ce texte, peu importe s’il n’a pas été voté à l’Assemblée, peu importe s’il n’a aucune légitimité, la patate chaude est envoyée au Sénat puisque telle est la procédure. Là encore, le temps est limité par le PLFSSR. « S’il devait y avoir une obstruction, on utilisera tout simplement tous les moyens constitutionnels et ceux de notre règlement », menaçait déjà le Président du Sénat lors d’une interview au Figaro, avant même le début de l’examen du texte au palais du Luxembourg. Malheureux ! Ils ont osé, eux aussi, exercer leur mandat ? Contester un texte du gouvernement en déposant près de 4.700 amendements ? Il n’en fallait pas plus pour que la foudre s’abatte, avec cette fois-ci l’article 38 du règlement intérieur du Sénat, limitant les prises de paroles. Une première depuis son introduction en 2015. « C’est une sorte de 49-3, modèle Sénat. C’est vraiment un couperet terrible », regrettait Patrick Kanner, président du groupe socialiste.

Les dénonciations de ce passage en force pleuvent. « Est-ce que la majorité sénatoriale est là comme supplétif du gouvernement pour contraindre l'opposition ou pour défendre le droit du Parlement à débattre d'un texte essentiel jusqu'au bout ? », s’interrogeait le sénateur socialiste Rémi Féraud auprès de Franceinfo. « L'article 47-1 et maintenant l'article 38 pour faire passer en force un texte qui n'a même pas été voté à l'Assemblée nationale… Ça peut être un pari dangereux », ajoutait il.

Les sénateurs n’étaient pas au bout de leurs peines. Après le 47-1 limitant le temps d’examen du texte, après l’article 38 limitant les prises de paroles, ils se voient imposer par Olivier Dussopt le vote bloqué avec le 44-3. Ce dernier oblige à un vote unique sur l’ensemble du texte. « C’est la première fois que je vois le 44.3 utilisé juste pour faire taire l’opposition », constatait au micro de Blast Laurence Rossignol, Vice-présidente du sénat (PS). Laurence Cohen, sénatrice communiste va plus loin, et résume que « le gouvernement, que ce soit à l’Assemblée nationale avec le 49-3, ou ici avec le 44-3, piétine le parlementarisme ».  La représentation nationale est muselée. Le texte sera voté et adopté.

100e 49-3, embrasement du peuple

Le coup de grâce est porté quelques jours plus tard au Palais Bourbon. Après une commission mixte paritaire dont la retransmission en direct est empêchée, gardant ainsi les positions de chacun et le fonctionnement démocratique opaque, empêchant une prise de conscience populaire, les manifestants affluent tout de même vers l’Assemblée et la place de la Concorde. Après avoir répété sur tous les plateaux, dans tous les médias, de Gabriel Attal à Olivier Véran, en passant par Olivier Dussopt, qu’ils n’utiliseraient pas le 49-3, ils mentent une nouvelle fois aux Français. Le jeudi 16 avril 2023, la Première ministre dégaine le 100e 49-3 de l’histoire de la Ve République. Celui de trop. Le pays s’embrase. Il s’embrase car ses syndicats ont été écartés, sa représentation nationale humiliée. Après des semaines de manifestations dans le calme, quels moyens reste-t-il au peuple pour se faire entendre ? Les organisations syndicales avaient pourtant prévenu. Leurs alertes restent lettres mortes.

Leur excuse pour l’utilisation de cet article de la Constitution ?  « Le compte n’y était pas » selon Elisabeth Borne. Lorsque le compte n’y est pas dans le peuple, dans les représentations syndicales, à l’Assemblée et au Sénat, il s’agirait de reprendre le texte, de revoir sa copie. Il n’en est rien. Pourquoi ? « Ce qui se joue, c’est l’autorité de votre serviteur », avait déclaré Emmanuel Macron en septembre 2022. Une bataille d’ego, idéologique, au-delà de tout cadre institutionnel, de toute logique était lancée. Lorsque l’idéologie devient la seule boussole, tout devient justifié et justifiable pour la défendre. Ce texte ne s’impose aujourd’hui au peuple que par la volonté et l’autorité seule d’un homme seul.

Passage en force d’une réforme libérale

Si cette réforme des retraites a dans un premier temps été présentée comme relevant de « la justice sociale », comme étant « un moyen de préserver notre système par répartition », il n’en est rien. Les députés de gauche n’ont eu de cesse de le démontrer : 1.200 euros minimum pour tous – faux, les femmes ne seront pas pénalisées – faux, de même pour les carrières longues ou le déficit des caisses de retraites…  Tous les arguments du gouvernement sont faux. Peu importe. Il préférera les diaboliser. « On démontre depuis une semaine qu’à cause de quelques-uns, nous ne sommes pas capables de mener un débat sur un sujet qui concerne les Français », affirmait Yaël Braun-Pivet à l’antenne de RTL en février dernier. Parlait elle des quelques-uns, qui depuis Matignon ou l’Elysée, bloquent le débat par l’emploi du 47-1 ? Non, elle parle ainsi des parlementaires d’opposition, exerçant leur droit d’amendement sur un texte auquel ils s’opposent. Là encore, de la démocratie en macronie.

En réalité, un document envoyé par la Commission européenne à la France le 23 mai 2022 pose un objectif : réduire le déficit à 3% d’ici 2027 (alors que cette règle est, elle-même, un non-sens arbitraire). Le chapitre « viabilité des finances publiques » du document donne des indications : « Il est possible de réaliser d’importantes économies dans cinq domaines stratégiques, à savoir les dépenses de santé, la politique de l’emploi, les prestations sociales, le logement social et… le système de retraite ». Emmanuel Macron s’y conformera, la France avec lui, de gré ou de force.

Pour atteindre ces 3%, le gouvernement ne va donc pas s’attaquer à l’évasion fiscale, à la taxation des superprofits, à la taxation des flux financiers qui alimentent ce système libéral. Non, il suit la feuille de route et préfère prendre deux ans de vie aux Français. D’après l’OFCE, cette réforme des retraites n’épargnerait que 1 point de PIB. « On est plus dans du budgétaire, on est dans du symbolique, de l’autoritaire », résumait début avril François Ruffin sur le plateau de BFM. Parallèlement, L’Etat dépense 157 milliards d’euros en subventions, crédits d’impôts et exonérations de cotisations au profit des entreprises privées, soit 30% du budget en 2021. Aucune coupe prévue à ce niveau là évidemment.

Par ailleurs, s'attaquer aux retraites, c'est s'attaquer à l'un de nos acquis sociaux majeur, un héritage du Conseil National de la Résistance.  Reculer l'âge de départ, c'est pousser les travailleurs à partir avant d'atteindre une retraite complète. Ils se tourneront alors de plus en plus vers des complémentaires, jusqu'à finalement laisser le champs libre aux libéraux pour organiser sa casse, comme ils ont pu le faire pour l'école ou l'hôpital public. Au profit de quel modèle? Celui de l'extrême libéralisme: la capitalisation. Un système "à l'américaine", dans lequel chacun cotisera dans son coin, les pauvres n'auront rien car pas de quoi mettre de côté, les riches pourront s'offrir une retraite dorée, le tout en alimentant des fonds de pensions privés, bien souvent destructeurs de l'environnement. À la grande surprise, le peuple "liberté, égalité, fraternité" ne consent pas à cette injustice. Jupiter n’en a que faire.

Assume et tais toi

Pour Emmanuel Macron, « La foule n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime à travers ses élus ». Au-delà du mépris transpirant de cette petite phrase dont il a le secret, il tend le bâton pour se faire battre. Il a bâillonné les élus tout au long de processus législatif et ose désormais parler de peuple qui s’exprime au travers de ses élus ? Il a fait taire les représentants, les représentés reprennent les moyens d’expressions dont ils disposent : la rue. La répression policière, parfois arbitraire, s’abat désormais sur la moindre mobilisation. Ils passent en force dans les institutions, en force sur les manifestants. Après avoir muselé le Parlement, ils font taire les soulèvements par la peur. Ils ne gouvernent plus, mais dirigent. Lorsque les ONG et les organisations internationales tirent la sonnette d’alarme, tout le monde a tort et « ne regarde pas par la bonne fenêtre » d’après le Préfet de Police de Paris.

Par un tel déni de démocratie, de nombreux Français ont la gueule de bois, se demandent si nous ne basculons pas vers un régime autoritaire. Ce régime autoritaire existe déjà, c’est la Ve République et nous la découvrons dans son intégralité, par ses aspects les plus sombres. Elle est à la disposition de celui qui s’en empare, il peut en user et en abuser. S’il devient urgent de passer à la VIe République, la Ve est pour l’instant entre les mains d’un homme libéral allant jusqu’à gouverner contre son peuple, par idéologie, jusqu’à l’extrême. Un extrémiste.  

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