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Billet de blog 17 décembre 2014

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De quoi le djihadisme est-il le nom? (Partie 3): Les causes

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De quoi le djihadisme est-il le nom?(partie 3): Les causes 

Les origines du phénomène djihadiste ne sont pas culturelles. Nous l'avons démontrer. Elles ne sont pas coranique non plus. Cela aussi fut mis en évidence. L'attirance qu'exerce la doctrine wahabiste-djihadiste, qui est la véritable source du fondamentalisme religieux musulman, et sa capacité de recrutement dans les différents milieux, a pour ressort la dégradation de l'environnement socio-économique et politique d'un coté et d'une misère affective, intellectuelle et/ou spirituelle de l'autre, qui rend vulnérable les esprits juvéniles et fragiles. Il s'agit donc de choix, de comportements et d'actes certes libres et consentis et à prendre en tant que tel, mais qu'il est nécessaire de comprendre à l'aune de leur contexte et complexe, interne et externe, intime, collective et interactive. Car les actes humains sont des files d'intentions et de décisions qui se lient et se lisent dans l'ensemble social tissé qui les porte. Cet ensemble tissé (complexité) est un kaléidoscope qui oblige l'observateur soucieux d'avoir une bonne compréhension de la réalité, à prendre en considération, ensemble dans la mesure du possible, toutes les facettes du phénomène étudié.

Pour ce qui concerne notre question, « de quoi le djihadisme est-il le nom ? », la réponse la plus proche de la réalité demandera l'apport de plusieurs causes explicatives. Celles-ci sont en lien avec l'état de la communauté et des sociétés majoritairement musulmanes,d'une part et, d'autre part, avec les décisions et orientations internationales et nationales des pays occidentaux concernant l'Islam et le monde musulman. En effet, nous pensons que le djihadisme est avant tout le fruit de relations et interactions difficiles, violentes et malsaines de sociétés, musulmanes et occidentales, respectivement en crise. Ces causes sont multiples et se croisent, et font appel à la responsabilité aussi bien (d'abord) des musulmans que des pays occidentaux et leurs contradictions. Ses causes du djihadisme sont à la fois d'ordre psychologique, théologique, politique et géopolitique, telles que nous avons tenté de les résumer, sans pour autant être exhaustif, à travers les points suivants :

 1) La première cause qui explique le radicalisme religieux et djihadiste est psychologique et intellectuel. C'est le dogmatisme et l'esprit binaire incapables de voir les nuances et couleurs de la réalité et sa complexité. En effet, comme certains animaux biologiquement inaptes de voir certaines couleurs, ces individus, à cause d'une infirmité affective et psychologique dû à leur histoire personnelle et à leur environnement, sont incapables, sur le plan spirituel et intellectuelle d'observer la complexité et les imbrications multiples qui font l'univers. Réduisant ainsi, de ce fait, le tout, l'autre, voire Dieu, à leur perception appauvrie, cette pauvreté intime se traduira par une peur terrible de la contradiction et de la différence, ainsi qu'un doute et une image de soi négative, qui se traduira par une volonté sans borne de prouver, aux autres d'abord, et à lui même en conséquence, sa valeur et sa fidélité, en imposant au tout, pour se rassurer, son image. La domination comme type de relation avec le monde extérieur (nature et humanité) est la conséquence paradoxale de cette fragilité maladive. L'uniformisation est le rêve de grandeur des petits aux égos mal construit, qui lisent par le prisme étroit de leur univers intime étriqué, la création, la révélation et les relations, à coup d'opposition, d'abrogation et d'élimination.

 2) À cela s'ajoute, en tant que cause du djihadisme, le contenu de l'héritage musulman pollué et non coranique, qui, dans les faits, est la source principale des musulmans dans leur compréhension de l'islam et leur rapport au monde. Celui-ci en effet, de par sa nature et ses sources, draine en son sein les contradictions, mentalités et violences idéologiques et politiques des sociétés musulmanes médiévales, prises comme modèle et idéal absolu. C'est cet héritage érigé en référence sacrée (ce qu'il n'est en aucun cas) qui en parti, permet de légitimer la violence offensive contre les musulmans et les non musulmans, en flagrante contradiction, comme nous l'avons vu, avec les orientations claires du Coran. Fruit de sociétés, d'histoires, d'hommes qui vivaient avec leurs limites, imaginations, conception, contradictions et conflits, l'imitation (interdite en islam) de ces derniers à conduit la pensée musulmane dans les impasses qui la cernent aujourd'hui. L’entêtement fondamentaliste qu'il soit traditionaliste, soufi ou salafiste, sunnite ou chiite, à idéaliser cette période et ses hommes est l'origine principale, sur le plan théologique et philosophique, des errements de la pensée musulmane contemporaine, de l’échec du projet islamiste et de sa dégénération en radicalisme et djihadisme actif et terroriste. Ce patrimoine érigé en révélation divine incontestable, a cristallisé par les livres et l'enseignement sans réflexion diffusé dans les diverses institutions religieuses, les interprétations partielles et partiales imbibées de conflit des anciens, sans les passer au crible de la raison critique et des orientations cosmiques du Coran. Ce qui explique l’état de guerre civile permanente qui règne entre les divers courants de l'islam et la facilité avec laquelle l'autre, musulman (chiite, sunnite, salafiste, islamiste, soufi etc..) ou non musulman, peut être excommunié de l'islam et/ou de la vie. Sans cet héritage en parti empoisonné des anciens, il n'y aurait aucune possibilité, pour les esprits instables, manipulateurs et manipulés, de justifier le terrorisme et la mort d'innocents. Et c'est ce travail de critique des sources (par la raison et le Coran), que la conscience musulmane contemporaine se refuse de faire, par peur de voir disparaître l'essentiel de sa foi et de son identité et de perdre la face vis à vis de l'occident jugé impérialiste.

 3) La troisième cause, l’échec du réformisme musulman, découle des deux premières. En effet, le djihadisme démontre la défaite intellectuelle et politique du réformisme salafi, en ses deux branches théologique (salafiyya) et politique (islamiste) qui, devant les blocages et la perpétuation des crises dans le monde musulman, dégénère en fondamentalisme radical et moraliste (salafisme wahabiste) et politique (djihadisme terroriste). Initialement pensé à partir du XIXème siècle en réaction à la décrépitude de l'empire Ottoman et à la domination coloniale occidentale, la salafiyya était un mouvement de pensée qui entendait réformer le monde musulman et répondre aux défis du modernisme européen en revenant à l'islam tel que compris et appliqué par les pieux prédécesseurs (salafs salih) à l'époque de la grandeur de la civilisation musulmane. Elle est donc tributaire, dans ses réflexions et (avant tout) actions, des cadres de pensée des anciens, inadéquats avec les besoins et défis de notre époque et confondus avec les orientations de la révélation qu'ils restreignent et abrogent. Les limites de l'islamisme, le populisme religieux du salafisme et le djihadisme sont les produits direct de cette pensée bloquée, blessée et affolée, qui n'agit qu'en réaction et adaptation, par rapport à la domination occidentale, sans méditation profonde. Ce n'est pas une action de réforme mais la réaction d'un sentiment qui n'arrive pas encore à se stabiliser en réflexion réelle. D'où le formalisme qui caractérise la religiosité musulmane contemporaine et l'incapacité du réformisme à juguler l’extrémisme salafiste que produit son hémorragie spirituelle et civilisationnelle.

4) Une autre cause qui explique en partie le djihadisme est la volonté de puissance, dans laquelle est tombé la résistance musulmane arabes, indo-pakistanaise et iranienne à la colonisation et l'idée d'Etat islamique qui en découlait. Le besoin de dominer est en effet une déviance morale qui finit par annihiler l'esprit des principes et des réformes divines et/ou humaines. Car le pouvoir, par nature, est avant tout préoccupé par les moyens et objectifs concrets et finit dans sa course à la domination et son exercice par oublier les finalités qu'il est sensé servir. C'est dans cet esprit que fut repensé et déformé les notions de djihad, de sharia et d'Etat. Et ce, en les réduisant à la conception impérialiste et dictatoriale des sociétés et royaumes arabo-perse musulmans du moyen âge, avec ses limites et déviances sur la relation entre divin et humain, le premier perçu comme implacable pour qui le second soit incapable. Or, c'est dans cette erreur qu'est tombé la pensée réformiste et politique musulmane, en faisant du pouvoir et de la notion d'Etat islamique une fin en soi. Ce qui a favorisé la diffusion d'une religiosité d'émotivité et d'embrigadement réactive pour l'établissement d'une société musulmane idéalisée et d'un Etat islamique fantasmé en réponse au modèle de société et d'Etat moderne européen. Et c'est, non sans hasard, dans les régions et sociétés musulmanes où le concept d'Etat islamique fut forgé et diffusé à outrance, qu'est né le dijhadisme et l'esprit de disqualification religieuse (takfiriste) des sociétés majoritairement musulmanes, qui n'appliqueraient pas la loi musulmane telle que pensé par ses auteurs et théologiens. Ainsi, ce sont les pays tels que le Pakistan et les Pays arabes sunnites, où l'opposition entre islamistes et dictatures laïques fut des plus féroces, qui sont aujourd'hui le théâtre des attentats djihadistes et terroristes. L'idéologie de la violence, même en cas de légitime défense devant l'oppression, est une arme qui finit toujours par se retourner contre ceux qui l'ont enclenché, pour le plus grand plaisir de ceux qu'ils veulent déloger et qui derrière les soutiennent dans le sens de leurs intérêts géostratégiques.


 5) L'ordre dictatorial soutenu par l’impérialisme occidentale et son ordre économique est une autre cause du djihadisme. En effet, nous l'oublions souvent en occident, les premiers groupes djihadistes sont nés dans les geôles des dictatures arabes, notamment égyptiennes. La torture et le déni de droit sont les meilleurs ingrédient pour créer du radicalisme. L'oppression, quelque-soit son degré et son origine, est un vecteur de violence qui déforment les hommes et leurs perceptions. Or dans certaines situations, comme celles que vivent les sociétés musulmanes, la question n'est pas de savoir pourquoi il y a de la violence, mais pourquoi il n'y en a pas plus. Cela est vrai aussi bien pour les prisons réelles que pour les prisons à ciel ouvert que furent et sont encore nombres de pays musulmans. La frustration longtemps confinée dans les abîmes de la misère et de la peur, ne pouvait que violemment sortir et s'exprimer dans le rejet destructeur et la pulsion de mort. Ce qui impacte, comme indiqué précédemment, les perceptions et relations avec le monde, la révélation et soi même.


 6) Les politiques internationales et économiques de puissances occidentales et leurs interventions directes et indirectes dans les conflits armés. Ainsi, depuis le 11 septembre 2001 et l'inauguration des politiques globales de lutte contre le terrorisme, nous sommes passés de 1 à 13 foyers du djihadisme dans le monde. Ce qui montre et l'inefficacité de ces politiques qui ne font qu'ajouter de l'huile sur le feu, et la corrélation entre le terrorisme djihadiste les politiques, notamment américaine dans ces régions. En effet, de Ben Laden, qui travaillait avec la CIA durant le conflit afghan des années 80, à l'Irak et les guerres, plus ou moins légitimes, du golf, de l'Afghanistan attaqué après les odieux attentats du world trade center, en passant par l'Algérie et sa guerre civile de 10 ans après l'interruption du processus électoral de 89, et la Libye disloqué qui provoqua la déstabilisation du Sahel, dont le nord Mali. Dans tous ces conflits, producteurs et importateurs de terrorisme, aux centaines de milliers de morts (musulmane, il faut le rappeler), le dénominateur commun reste les politiques occidentales, notamment américaines dans ces régions du monde. Cette réalité est très bien comprise par la majorité des musulmans et est cause de méfiance quant aux belles déclarations de façade pour la démocratie, immédiatement trahies par le soutien inconditionnel aux dictateurs et pétromonarchies dont est issue l'idéologie salafistes et dijhadiste (le Qatar et l'Arabie saoudite notamment). Cela, immanquablement, est créateur de ressentiments extrêmes qui (ne) peuvent (que) se convertir en violence, surtout dans l'atrocité des terrorismes d'Etat et de la misère extrême subis par une très large majorité des populations, si d'autres moyens ne sont pas offerts pour leur expression et la levée des injustices. Partout où l'injustice, la relégation sociale et l'inégalité règnent la violence prime. Dans le monde arabe ou dans les banlieues, au nord comme au sud, cette règle ne change pas. Même si la domination aveugle, pour se maintenir, refuse de se rendre réellement compte de l’état de souffrance quotidienne des peuples soumis.

En conclusion, le djihadisme n'est ni une question d'origine culturelle ou religieuse, ni un phénomène qui serait intrinsèque à l'islam en ses fondements. Il est en réalité un cocktail de «mines» théologiques, politiques et sociales posées ça et là, de part et d'autres des enclos idéologiques et religieux dressés par les ambitions de pouvoirs séculaires d'hier et d'aujourd'hui. Enfant d'une relation tumultueuse, le djihadisme est le fruit d'une nation et communauté musulmane en crise qui n'a pas encore trouvé la voie (sharia) d'une modernité qui lui serait propre. Et de sociétés occidentales, elles aussi en crise, qui peinent à régler les problèmes réels que sont le chômage, la misère sociale et les discriminations, ainsi que les conséquences des contradictions entre leurs politiques internationales et les valeurs de justice et de droits de l'Homme affichées. C'est ainsi que les crises s'interpellent et s’interpénètrent dans le croisement des cultures et civilisations que sont les individus et nations.

La situation exige des pouvoirs publics, en l'occurrence françaises et des leaders et intellectuels musulmans de prendre leur responsabilité, dans une collaboration respectueuse des différences et rôles de chacun. La simple dénonciation émotive et le tout sécuritaire ne sont pas des solutions viables à long terme. La facilitation de la diffusion d'un enseignement musulman fidèle aux finalités de l'Islam (paix) en phase avec les besoins, défis et goût de notre époque est une nécessité d’intérêt général. Cela ne peut se faire au détriment des intellectuels, théologiens et acteurs de la société civile au sein des communautés musulmanes. À cela doit s'ajouter la création, par les musulmans de lieu d'accompagnement personnalisé pour les convertis et celles et ceux qui retournent à la pratique religieuse d'un coté. Et de l'autre, la mise en place, par les autorités compétentes, de suivi des individus désireux de s'embarquer dans la voie djihadiste ou revenant des lieux de combat, s'ils présentent des profils non encore complètement embrigadé. L'idée étant de prévenir avant de guérir et de guérir dans la mesure du possible, avant de condamner à vie, des jeunes souvent portés, dans leur erreur et immaturité, par des sentiments sincères d'aide aux opprimés et de combat de l'injustice, tout comme auparavant, les utopistes gauchistes des années 50, 60 et 70.
 

Mais plus fondamentalement, il s'agit d'engager une réflexion profonde, théologique et philosophique exclusivement coranique, épurée de l’idolâtrie des anciens. Nous appelons à une philosophie coranique de libération qui sache aller, vers Dieu, au-delà des religions, et trouver en chemin l'humain, par delà les idéologies. À l’intérieur des communautés musulmanes, tous les courant de l'islam et toutes les origines et cultures musulmanes (africaine, asiatique, européenne, indienne etc) doivent être mis à contribution. Nous souffrons trop de la réduction de l'islam à la seule culture et tradition arabe et maghrébine. Les autres composantes de la communauté musulmane se doivent d'intervenir avec leur richesse et spécificité pour décloisonner ce face à face malsain entre l'islam arabo-maghrébine et l'occident. Il y a d'autres façon de vivre l'Islam et d'autres voie pour vivre sa relation avec les autres, qu'Orient et Occident peuvent et doivent apprendre de ces autres.

Le djihadisme, au fond, révèle les limites de nos modèles de sociétés et de civilisation. Nous sommes à la fin d'un cycle, aussi bien du coté de l'islam que du coté de l'occident. Au-delà de la réforme nécessaire de l'islamité des musulmans et de la recherche, tout aussi vitale, d'alternative au modèle occidentale de civilisation, il nous faut panser le tissu cognitif et spirituel cosmique qui fonde l'humanité et la créativité humaine. La solution sera cosmique ou ne le sera pas. C'est à dire qu'elle sera la résultante d'une nouvelle interaction entre Dieu, l'homme et la nature. Il faut repenser le Divin, l'Humain et le cosmique et leur relation à l’intérieur et au-delà des traditions, religions et philosophies, dans un nouveau cadre de pensée élevé et révélé sur un terreau social solide et solidaire. Mais cela, à coup sûr, ne se fera pas sans douleur. Les musulmans et tous les hommes de foi et de consciences ont la lourde charge de relever le défi de replacer l'être éduqué et humanisé au-dessus du savoir, du pouvoir et de l'avoir qui doivent être à son service. C'est la seule voie (sharia) qui s'offre à nous. C'est la finalité unique de toujours qui fait battre le cœur des aspirations religieuses et politiques des sociétés humaines. C'est le seul vrai djihad (effort et résistance) qui vaille la peine d’être réalisé, pour le bien être de tous.

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