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Billet de blog 28 octobre 2022

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De la justice à la vengeance, éloge politique de la barbarie

Comment des politiciens et des médias en arrivent à justifier la vengeance comme moyen supplétif à la justice.

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Un père a-t-il le droit de tabasser, tuer, bref châtier celui qui aura été accusé par sa fille de l'avoir violée?

Réponse, non il n'a pas le droit.

Une personne dans cette position peut-elle avoir ce genre de réaction? 

Oui évidemment. 

Personne ne peut être sûr de ne pas céder à la plus violente réaction dans ce genre de situation. Mais cela n'est pas de la justice, c'est de la vengeance.

Le viol, comme tout autre crime, est sévèrement réprimé par la loi, loi édictée au nom de tous et de toutes.

Que des politiciens d'extrême-droite comme M. Ciotti clament à qui veut l'entendre que ce père a bien fait, n'est pas en soi surprenant. Ils sont  dans la longue tradition des partisans de la peine de mort, du droit pour un propriétaire à abattre un cambrioleur, même non armé et non dangereux, le même héritage de ce verbiage de western qui est l'anti-thèse de l'idée d'une société où les fameux droits individuels dont ils se revendiquent peuvent être assurés.

Car les droits individuels de M. Ciotti et consorts, sont justement garantis par l'existence d'une justice indépendante au litige, c'est à dire non personnellement concernée par les faits, et donc prompte à défendre le droit commun pour qu'existent les libertés individuelles : pas de droits individuels sans lois d'ordre public, c'est à dire d'intérêt général, bref d’État de droit.

Mais revenons en à cet homme, ce père de famille qui s'est fait justice tout seul. Il n'a pas frappé l'accusé en le prenant sur les faits. Il a prémédité son acte, il n'a pas accompagné son enfant pour la protéger et faire valoir ses prétentions à poursuivre celui qu'elle accuse.

Non, il a court-circuité la justice en attaquant avec une arme une autre personne. Il n'y a donc aucune légitimité à son acte, c'est une violence volontaire avec arme et préméditation.

Alors quoi? Comment s'est-il persuadé ce monsieur qu'il pouvait agir ainsi? Il y a évidemment la part individuelle et psychologique de l'acte, mais aussi un climat, une situation sociale qui l'invitait à le faire.

En 20 ans le nombre d'affaires traitées par les tribunaux a explosé à cause d'une politique, venue des USA, la tolérance zéro. Chaque délit, chaque infraction doit désormais faire l'objet de poursuites. Cette "décadence sécuritaire" engorge parquets et tribunaux qui n'ont pas été financés à la hauteur de cette inflation de procédures. 

Résultats : 

1- les délais entre une plainte et le jugement de l'affaire s'allongent, la fonction de régulation des conflits entre personnes est donc dégradée, la confiance en la justice pour régler les problèmes s'affaiblit, et avec elle la loi et son respect.

2- les politiciens vautours de tous bord (sarkozy, Valls, Le Pen) crient au laxisme des juges alors qu'ils font partie de groupes politiques qui ont tous plébiscité l'idée de tolérance zéro et en même temps asséché les dotations financières des institutions publiques (justice, santé, éducation) à l'exception de la police et de l'armée.

En parallèle, depuis 20 ans, dans le basculement antiterroriste des démocraties occidentales, ce sont les États et leurs représentants qui affichent de plus en plus violemment leur volonté de s'affranchir du principe de justice au profit de la vengeance d’État.  

Ainsi Georges W. Bush a-t-il fait enfermer à Guantanamo des personnes sans aucune forme de procédure judiciaire ni de respect du droit international des conflits armés, de nombreux innocents y ont été torturés. 

Après qu'ils eurent révélé les crimes de guerre des troupes américaines en Irak et en Afghanistan, des journalistes se sont vus poursuivre sur toute la planète. 

Prisons secrètes, torture notamment à Abou Ghraïb, assassinats ciblés, la plus grande démocratie du monde a commencé de s'effondrer en tournant le dos aux principes fondamentaux de la justice : habeas corpus, bill of rights, déclaration universelle des droits de l'Homme etc.

En Grande-Bretagne, au cœur des démocraties européennes, le journaliste Julian Assange est publiquement torturé pour des crimes pour lesquels il n'a même pas été poursuivi car innocent. 

A Paris, le chef de l’État reçoit en grande pompe le prince saoudien Mohammed Ben Salman qui a fait assassiner et découper en petit morceaux façon "traversée de Paris" un journaliste opposant à son régime dans l'ambassade d'Arabie Saoudite en Turquie, c'est à dire sur un territoire qui fait partie du Conseil de l'Europe.

Dans le livre du journaliste de Vincent Nouzille, on apprend que jusqu'à Macron, François Hollande a été le président de la République qui a le plus ordonné d'assassinats ciblés à l'étranger, notamment de ressortissants français, en dehors de toute décision de justice.

Ce sont des exemples de vengeance d’État et non pas de justice. 

Les responsables de la Shoah qui ont comparu à Nuremberg ont fait l'objet d'un procès public. Des victimes survivantes ont témoigné, ils ont été condamnés. L'Humanité avait progressé sur la barbarie nazie.

Aujourd'hui, médias et politiciens douteux, clament fort et à l'unisson la légitimité de l'acte de ce père de famille, ils clament d'autant plus fort qu'ils ont été responsables d'avoir engendré un discours où l'on dit que la société devient barbare, quand, à l'origine, la source de cette barbarie est le fruit de politiques qu'ils ont promues et ont tourné le dos au principe de justice.

Cet éloge politique de la barbarie, nous savons ce à quoi il mène. 

A la gauche désormais de se battre pour que la sûreté (protection de l'individu contre l'arbitraire du pouvoir) soit le premier combat à mener pour vider les tribunaux d'affaires inutiles à juger (par exemple en légalisant le cannabis, en dépénalisant certaines infractions routières), et que dotée de moyens efficaces, la justice puisse s'exécuter très rapidement dans ce genre d'affaires.

L'éloge politique de la barbarie est le dernier pas avant son avènement.

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