Habite-t-on dorénavant quelque part ? Possédons-nous encore un lieu où aller, quelque chose de connu et qui nous reconnaisse ? Des maisons, des rues, des visages qui nous parlent ou sommes-nous devenus les occupants d'un vestibule ? Encore debout dans cette France qui n'est plus qu'une vaste salle d'attente, nous nous regardons sans nous reconnaître. Comment le pourrait-on, étranger à nous-même, incertains de ne parler la même langue, il nous reste qu'à bredouiller de vagues onomatopées pour maintenir un semblant de contact.
L'étrange et commune solitude nous réunit dans ces multiples "non-lieux"qui ne se limitent plus aux transports en communs ou aux hyper-marchés mais se sont étendus à des cités entières. Marseille, Toulon, Roanne, Calais.... toutes ces "villes sas" où l'humanité a pris la fuite laissant de vagues zombies hanter les friches industrielles qui les gangrènent. Condamnés au monologue nous n'avons plus rien à nous dire.
Tout serait encore supportable si ne s'élevait alors la petite musique des beaux parleurs germano-pratins et "bouches en coeur", bonnes âmes à moindre frais dont les discours sont remplis jusqu'à la nausée des mots "communs", "partage", "solidarité" sans même comprendre qu'ils organisent la quête à l'intérieur même de la cour des miracles. Pétris de bonnes intentions ces gentils clowns d'hôpital, vendeurs de lunettes pour aveugles et aigrefins sentent la famine venir et s'avisent de la collecte du pain. Ils le font à grande échelle, mobilisent les média mainstream, faisant jouer violons et flûtes, et sortent leur kleenex pour sécher leurs larmes de crocodiles alors qu'ils nous font les poches. La solitude est aussi peuplée de rats de corridor.
Nous sommes passants dans un lieu de passage : la France, où l'on s'essuie les pieds après être rentré et dont on claque la porte en sortant. Entre temps nous attendons, que faire d'autre dans un vestibule ?