Près du fleuve Niger à Niamey, un petit pont est perdu au milieu d’un lit asséché. Moustapha, maraicher depuis son enfance, m’a raconté l’histoire de ce pont : autrefois, il permettait de traverser un kori, ces oueds de la saison des pluies. Le lit faisait à son maximum 70 mètres de largeur. Désormais c’est plus de 300 mètres tellement les pluies sont devenues violentes. Aujourd’hui l’alternance de longues sécheresses et de pluies violentes qui ravinent les terres menace toutes les cultures maraichères, et l’alimentation des familles qui en dépendent. De plus, quand les pluies arrivent elles sont parfois si violentes qu’elles changent les cours d’eaux et détruisent les terres cultivables. Ce sont ce témoignage d’un climat du passé et les conséquences du changement climatique que racontent ce pont. Il ne connecte plus rien ni personne. Sa présence est la preuve du dérèglement et de son inexorabilité.
A mon retour du Niger, et lorsque certains tentent de banaliser la canicule en France, je ne peux m’empêcher de penser à ces femmes et ces hommes que j’ai pu rencontrer il y a quelques semaines et qui sont confrontés des épisodes de sécheresse et températures en hausse (jusqu’à 45° ces jours-ci) des récoltes en chute libre (-37% de la production céréalière par rapport à 2020) et par des augmentations jusqu’à 62% des prix des denrées alimentaires de base. Aujourd’hui, plus de 3 millions et demi de personnes sont en insécurité alimentaire au Niger.
La crise alimentaire actuelle met en lumière – et pour la troisième fois en moins de 15 ans - les dysfonctionnements structurels du système alimentaire mondial (forte dépendance de certains pays aux importations et aux soubresauts des marchés mondiaux, concurrence sur les ressources etc.). Il est urgent de soutenir davantage les projets d’agriculture paysanne et agro-écologique dans la région du Sahel mais aussi de combler le déficit de financement de 4 milliards de dollars de l’appel des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest.
Dans un récent rapport, Oxfam révélait que les besoins financiers humanitaires, liés à des catastrophes climatiques extrêmes, avaient augmenté de 800% ces vingt dernières années. Parmi les onze pays enregistrant le plus d’appels humanitaires (plus de dix chacun), trois se situent dans la région du Sahel : le Burkina Faso, le Tchad et le Niger. Pourtant depuis 2017, les pays riches – à l’origine d’environ 92% des émissions historiques excédentaires de CO2 – n’ont apporté que la moitié (52%) des sommes requises par ces appels.
L’augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements climatiques extrêmes accroit les pressions qui s’exercent sur un système humanitaire déjà débordé et sous-financé, aggravant aussi les inégalités. Les droits des femmes et les progrès en matière d’égalité des genres sont menacés à chaque nouvelle catastrophe. 80% des personnes déplacées en raison des changements climatiques sont des femmes. Par ailleurs, les appels humanitaires ne couvrent qu’une part infime du coût réel des pertes et dommages infligés par le changement climatique à cette région, sans parler des pertes non économiques comme les décès, la dégradation des modes de vie et les destructions culturelles.
Il est bien sûr nécessaire d’apporter une aide humanitaire d’urgence afin de sauver des vies, mais aussi de financer ces pertes et dommages et d’aider à développer des alternatives, comme celle menée par Maimouna. Fondatrice d’une coopérative crémière, productrice de fromages et yaourts à base de lait local, elle explique le lien entre ses difficultés de production actuelles et le manque accru d’alimentation des vaches d’année en année.
Aux côtés des coopératives de maraîchers installées aux alentours de Niamey, le défi de l’eau se découvre dans toute sa cruauté. Fati, maraîchère de longue date, m’a fait visiter les plantations communautaires de moringa et d’oignons. Elle m’a montré que les pompes ne sont plus assez puissantes pour remonter l’eau du puit et qu’il a fallu en creuser un en parallèle, plus bas, sur lequel est posé la pompe. Les pluies ne sont plus au rendez-vous, ce qui fait maigrir les récoltes, le bétail et augmenter les prix des denrées déjà élevé. Le constat est clair pour elle : « Les années avec très peu de pluie étaient les années extraordinaires. Aujourd’hui l’extraordinaire est devenu la norme ».
Face à cela, la France a un rôle à jouer. Elle est un des principaux partenaires de ce pays, un des rares à y investir diplomatiquement, financièrement et militairement. Mais elle doit adapter son logiciel, au Niger et dans tout le Sahel : répondre d’abord aux besoins des populations, valoriser davantage les initiatives et la diversité de la société civile. La France doit écouter les Nigériens, les Sahéliens. Une nouvelle approche de la politique au Sahel est nécessaire.
Les Nigériens et Nigériennes m’ont démontré une capacité de résilience inouïe partout où ils ont bien voulu m’accueillir. Ils demandent qu’existe un espace de participation, des ressources pour s’adapter aux défis climatiques et alimentaires, un dialogue direct et une prise en compte de leurs propositions. La société nigérienne est extraordinairement consciente de sa situation et mobilisée pour chercher et appliquer les bonnes solutions. A la hauteur des défis que posent l’entrecroisement des crises, il est temps pour la France de le comprendre, et de bâtir ensemble les ponts nécessaires.