J'ai souvenir, il y a une quinzaine d'années, d'avoir, dans un cadre professionnel, assisté à un déjeuner dont André Bord, élu alsacien, ministre "historique" des Anciens combattants sous la présidence de Gaulle, était l'un des convives. En espérant ne pas trahir ses paroles, il eut, à propos des "malgré nous", et singulièrement de ceux ayant servi dans la Division "Das Reich" au moment du massacre d'Oradour, quelques mots assez définitifs: "Personne ne me fera croire, à l'époque où se sont produits les faits, c'est-à-dire dans une période de repli et de désorganisation de l'armée allemande, que ceux qui voulaient déserter n'avaient pas l'opportunité de le faire".
C'était étonnant, de la part d'un homme politique alsacien, de voir ainsi briser un tabou qui perdure encore entre Wissembourg et le Sundgau. Certes, dans sa généralité, il était sans doute rapide et éventuellement injuste pour quelques individualités, mais tout de même. Cette phrase demeure dans ma mémoire comme une volonté courageuse de lever les ambiguïtés que cultivent volontiers les habitants de la région.
Nul ne niera le caractère tragique de l'Histoire de l'Alsace, régulièrement écartelée à partir de 1870 entre l'Allemagne (la Prusse) et la France. On sait les drames humains et familiaux qui en ont découlé, les blessures profondes ainsi crées. Pourtant, qui a fréquenté un tant soit peu ce territoire singulier (régime du concordat, vitalité de la langue alsacienne), ne peut qu'être frappé de l'extrême difficulté des Alsaciens à solder franchement les comptes du passé. Le reste de la France y aura parfois mis du temps, mais, depuis un bon moment, évoquer la Collaboration ne suscite plus guère de débats au moins quant à la réalité des faits. Se risquer à suggérer, dans le Bas ou le Haut-Rhin, que des "soldats perdus" ont pu rejoindre l'armée allemande lors de la Seconde guerre mondiale sans états d'âme particuliers, ou, pire encore, pour une minorité d'entre eux, qu'ils ont probablement adhéré (comme cela s'est passé de l'autre côté des Vosges) à l'idéologie nazie, c'est, presque à coup sûr, déclencher colère et invectives.
Même dans les générations récentes, bien des Alsaciens se veulent à la fois plus patriotes que la moyenne et prêts à la sécession. N'est-il pas étrange qu'entre eux, parlant de leurs concitoyens du reste de la nation, ils évoquent "les Français de l'intérieur". Pas besoin d'être psy ou linguiste pour comprendre alors qu'ils se situent "à l'extérieur". Un regard identique les conduit volontiers à regretter contribuer "excessivement" à la solidarité nationale, eux, réputés travailleurs et courageux, trimant pour les fainéants d'à côté (je caricature à peine). Les études locales ne sont pas rares, étayées, documentées, pour expliquer comment le "PIB alsacien" est pillé par les autres régions françaises.
Et puis, pour n'éviter aucun des sujets qui fâchent, se rappeler qu'en 1995, Jean-Marie Le Pen est arrivé en tête des votes régionaux au 1er tour de l'élection présidentielle.
Les Allemands ont, depuis longtemps, entamé, vis-à-vis des événements de cette sombre période, une démarche, sinon de repentir, en tout cas de reconnaissance des faits. Alors, finalement, j'ai tendance à considérer que l'aspect le plus marquant de la journée, est moins la présence du Président de la RFA que celle de Roland Ries, maire de Strasbourg (Catherine Trautmann ayant jadis déjà fait un déplacement officiel dans les mêmes circonstances). Et, en l'espèce, j'espère qu'au-delà de la volonté de régler une querelle un peu rance avec les habitants du Limousin, il s'agit d'appeler implicitement ses compatriotes régionaux, n'ont à un "devoir" mais à un authentique "travail" de mémoire, seul gage que la page se tourne définitivement, ce à quoi tout le monde, là-bas, ici, ailleurs devrait contribuer, toute autre attitude insultant autant le présent que le passé.