Lundi matin, une jeune dame énervée s'exprimait sur France Inter. J'ai fini par comprendre qu'il s'agissait probablement d'un médecin généraliste fraîchement sortie de la fac et extrêmement remontée contre l'idée de Marisol Touraine de garantir une sorte de salaire minimum à celles et ceux de ses semblables acceptant de s'installer dans un de ces départements dépourvus de praticiens. Au début, au fond, ça partait bien sur le thème "il n'y a pas que l'argent dans l'existence". On se disait, "chouette, une représentante de la génération montante adepte de la décroissance, de la sobriété financière et dotée d'un sens moral élevé". Ensuite, ça se gâtait car ce qu'elle exprimait surtout, c'était le désir vif de ne pas aller "s'enterrer dans un trou", de profiter de sa belle santé (à elle..) pour jouir d'une ambiance urbaine dynamique, avec des cinémas, des restos, des magasins... la vraie vie, quoi. Et de conclure en proposant que la mesure s'applique plutôt à des "vieux" (c'est le terme qu'elle employait) de la profession, genre "revenus de tout, de toutes les tentations", et qui était juste bon, finalement, à aller s'occuper de leurs semblables, les vieux ruraux, donc, ou les retraités des petites villes, à se contenter d'après-midi récréatives dans des salles polyvalentes de taille modeste, de promenades au grand air et, le soir, d'une soupe bien chaude. En plus, dans ces coins, il faut faire des kilomètres et, horreur suprême, peut-être, de temps en temps, assurer des permanences.
Je sais gré, finalement, à cette jeune personne, d'illustrer à merveille la vaste foutaise qu'est ce concept de "médecine libérale" couplé à la sacro-sainte liberté d'installation.
Passons sur le fait que, si les études de médecine sont longues et difficiles, elles sont dispensées dans des facultés financées par la collectivité. C'est d'ailleurs un point commun à bien des "libéraux" que d'oublier les investissements de toutes sortes dont ils ont été bénéficiaires grâce à ce truc malsain qu'on appelle l'impôt.
En fait, le système de santé repose sur un équilibre, un pacte gagnant-gagnant: la Sécurité sociale solvabilise une clientèle qui, sans elle, ne pourrait se soigner. La population y gagne une élévation du niveau sanitaire, et le médecin y gagne d'avoir des patients qui, sans ce dispositif, n'existeraient tout simplement pas, ou, plus exactement, n'iraient jamais chez un praticien. Il n'y a rien de "libéral" là-dedans, et c'est même tout le contraire, la loi de l'offre et la demande dans sa pureté de cristal n'offrant aucune des garanties énoncées ci-dessus.
C'est ce pacte qui est rompu par toutes celles et ceux qui hurlent contre les tentatives de mieux répartir l'offre de soins sur le territoire. Non seulement ils oublient tranquillement ce que leur formation doit à la collectivité nationale, mais, en refusant d'entrer dans la logique proposée, ils privent d'accès aux soins tout une partie de la population. Ou, en tout cas, dégradent considérablement les conditions de cet accès.
J'éviterai soigneusement le couplet sur la "vocation" ou l'éthique de ce métier quand même un peu particulier. Je me contente de constater qu'il s'agit-là, encore, d'un authentique sujet politique.
Et comme, ces temps-ci, dès qu'il faut prendre une position politique, le gouvernement s'aligne, dans le meilleur des cas, sur une position de centre-droit, il est à craindre que ceux qui crient le plus fort leur refus de toute démarche solidaire soient, in fine, les mieux entendus.