Il y a plusieurs façons d'établir un lien entre l'ancien Président et le coureur cycliste. Très récemment, par exemple, de vagues infos selon lesquelles le premier aurait "protégé" le second contre les contrôles des autorités chargées de la lutte anti-dopage. Ou ce bouquin de deux journalistes paru en début d'année et qui, curieusement, fut assez peu relayé, affirmant que l'occupant d'alors de l'Elysée se fournissait en médicaments dont la vente n'était pas admise sur le territoire français ("Le dernier tabou" par Denis Demonpion et Laurent Léger, Ed Pygmalion).
Ce sont des approches possibles, mais j'en propose ici une autre: Sarkozy, comme Armstrong, nous ont raconté des histoires à dormir debout, dont nous pressentions les ficelles, que beaucoup ont pourtant longtemps adorées, et, semble-t-il, ne détesteraient pas de nouveau entendre. De la difficulté à rompre avec nos addictions détestées et chéries tout à la fois.
Pour l'Américain, l'histoire, c'était celle d'un ressuscité, le p'tit gars qui lutte contre le cancer, le domine, le dompte et, à grands coups de verres d'eau fraîche, s'en va dominer le peloton du Tour de France pendant des années. Pourtant, des soupçons ont vite été exprimés sur la réalité de la fable, y compris dans l'Equipe, le journal, c'est à noter, appartenant au groupe organisateur de la Grande Boucle. Malgré tout, les foules ont continué à se presser le long des routes, les téléspectateurs sont restés scotchés devant leurs écrans, et, imperturbablement, les miss du Crédit Lyonnais, ont claqué des bises et aidé à enfilé des maillots jaunes rutilants. Il y eut quelques sifflets parfois, c'est vrai, mais rien qui ressemble à un rejet massif. Il faut dire que l'Américain collait bien à l'air du temps. Il avait dominé la maladie qui fiche la trouille à tout le monde. Dans le peloton, c'était le boss, le type qu'on respecte, et tant pis s'il y allait souvent à l'intimidation limite physique: l'époque, qui voyait l'ascension du côté de Neuilly d'un autre p'tit gars dans le même genre, ne détestait pas le côté canaille, le style voyou, pourvu que la partie la plus salissante de la poussière reste sous le tapis. Et, au fond, aujourd'hui, avec ce que l'on sait, combien se précipiteraient encore pour un autographe?beaucoup plus que l'on imagine, certainement.
Sarkozy aussi, nous a raconté une belle histoire: le "travailler plus pour gagner plus", le mérite reconnu au bout de l'effort, la France qui se lève tôt, les mecs qui bossent récompensés et les feignants au chômage, les "assistés" de tous poils, renvoyés à leur flemme congénitale et privés des subsides qu'ils volent au bon peuple. Là encore, il y a eu des sifflets, des invectives. Et puis quoi? Au bout du compte, au 2ème tour, toute honte bue, un score serré, impensable quelques mois avant. A tel point qu'à peine le fanfaron effacé des écrans, la dernière mode c'est d'en redemander. Sarko en statue du Commandeur, franchement, il faut le faire. Les militants UMP allument des cierges pour le retour de l'idole, les candidats à la présidence du parti se prosternent et font semblant de rouler pour le patron. Tant pis si, hors toute analyse partisane, les vagues déferlantes du chômage et des plans de licenciement enregistrées aujourd'hui illustrent l'arnaque politique du quinquennat précédent, l'illusion érigée en doctrine. Il paraît que nous ne pouvons pas nous passer d'un chef, d'un type qui "en a", y compris quand il ne nous emmène nulle part...
Le début du mandat Hollande est poussif, aucun doute à ce sujet. Pire: il est truffé d'amateurisme, d'approximations, de renoncements, et, de temps en temps, de foutage de gueule. Ok. Mais cette obsession (au moins chez nombre de commentateurs ayant pignon sur rue) du patron, du mec qui bombe le torse alors même qu'il n'a rien à dire, rien à proposer de crédible, la "nostalgie du bonapartisme" comme écrit doctement Alain Duhamel, non merci, pas pour moi, je refuse cet infantilisme citoyen.
Nous redeviendrons, collectivement, adultes politiquement quand nous seront au clair avec ces dérives paternalistes. Demander à être "rassurés" ne peut constituer un objectif civique. L'équité, la justice, la transparence, l'établissement d'un rapport de force plus conforme, y compris au niveau européen, aux intérêts du plus grand nombre, oui, mille fois oui. Il faut, là-dessus, demeurer vigilants, impitoyables.
Et se souvenir de cette vieille rengaine, tellement passée de mode, qui affirmait que, décidément, "il n'est pas de sauveur suprême"...