Personne ne sait si Malraux a vraiment prononcé sa (supposée) fameuse phrase sur le XXIème siècle qui serait ou religieux ou pas. Ni, au cas où il l'aurait dit, ce qu'il entendait par là.
Peu importe: ces premières années du siècle démontrent que le fait religieux, non seulement s'affirme avec une vigueur renouvelée, mais, de plus, se trouve au coeur de tensions, de conflits, d'affrontements dont on avait perdu la mémoire depuis des décennies.
La manifestation de demain à propos du "mariage pour tous" et de ses succursales (homoparentalité, PMA) en constitue une illustration parfaite en ce qui concerne la France. Jamais depuis la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat (il y a donc un siècle), les cultes présents sur notre territoire n'avaient, à visage aussi découvert, avec ce degré d'agressivité et le déploiement d'une impressionnante logistique, fait irruption dans le débat public pour infléchir un élément de la politique gouvernementale. En fait, au-delà du débat de fond, ce qui se profile, c'est une volonté des religieux de réinvestir le champ de l'action de l'Etat, soit, d'une part, l'exact contrepoint de la notion de laïcité, et, d'autre part, en ce qui concerne les chrétiens, une étonnante similitude avec les conceptions juives et islamiques les plus radicales. Il est naturellement souhaitable que cette démonstration de force (dans laquelle, évidemment, les partis de droite, l'UMP en particulier, trouvent une occasion rêvée de se refaire une santé) se déroule sans incidents. Mais il est à noter que la violence, au moins verbale à ce stade, se trouve du côté des "croyants", et ceci peut être interprété comme un élément significatif d'un conflit à résonance religieuse déjà installé.
L'intervention militaire au Mali est, sans conteste, du même ordre. Je ne me prononce pas ici sur son bien-fondé. Simplement, en dépit du soin apporté par Hollande et Fabius à ne pas dévier d'éléments de langage millimétrés ("des terroristes et des criminels"), il s'agit tout simplement de s'opposer à une possible prise du pouvoir dans ce pays par des tenants de "l'islam radical". Que ceux-ci se situent en-dehors de toute procédure démocratique ne fait pas l'ombre d'un doute., sans parler des exactions auxquelles ils se livrent. Mon propos est juste de souligner une forme de sélectivité dans l'utilisation de la force dont ne bénéficient pas, par exemple, et, en tout cas, pour l'instant, les opposants au régime syrien. L'Afghanistan est tout à fait comparable au Mali, le retrait des Français (et de quelques autres) s'expliquant davantage par le constat d'une impuissance à maîtriser le phénomène taliban que par un choix politique.
Alors, oui, il ne m'échappe pas que personne n'envisage d'aller déloger les islamistes de Tunisie et d'Egypte supposés avoir accédé aux responsabilités par des élections contrôlées et "réglo" (la question restant tout de même posée de savoir où commence et où finit la "radicalité" de telle ou telle religion). Et, par conséquent, je ne vais pas bêtement prédire le déclenchement prochain, sur toute la surface de la planète, d'affrontements systématiques entre religions.
En fait, je voudrais résumer mon analyse ainsi: le XIXème siècle et une bonne partie du XXème siècle ont plutôt été marqués par la prédominance de luttes, voire de guerres, fondées, sur des idéologies s'attachant, soit aux phénomènes économiques et sociaux, soit à des considérations nationalistes, et, parfois (Vietnam), à une sorte de mixage des deux. Ce temps est révolu, en tout cas, tant que durera l'écrasante domination d'une pensée unique planétaire dans les domaines sociaux, économiques et financiers. Place désormais, au retour du sacré, et, malheureusement, sous ses formes les plus hideuses, celles du fanatisme et de l'intolérance. Ce qui, et c'est bien regrettable, donnera une forme de légitimité à des réactions tout aussi violentes.