Il y a une trentaine d'années, quand on était "de gauche", en France, on avait, en gros, le choix entre trois "familles": les socialistes, les communistes et les gauchistes. Bien sûr, les socialistes, comme les gauchistes, se fractionnaient en courants, chapelles et mouvances diverses. Mais, dans sur ce vaste étal idéologique, chacun pouvait trouver son point d'ancrage.
En ce printemps 2013, les choses sont devenues singulièrement plus évanescentes. Il y a toujours une extrême-gauche mais qui, paradoxe suprême, souffre de la mise en retrait de ses stars médiatiques (Krivine, Besancenot, Laguiller). On a, quand même, un peu de mal à situer Mélanchon, lequel a lui-même du mal à ne pas diluer le fond, parfois intéressant, dans une forme brouillonne. Les communistes sont vampirisés par l'ex-sénateur de l'Essonne. Quant au PS, il parait qu'il comporte une "aile gauche", mais les Guedj et Maurel n'ont, en tout cas pour l'instant, pas l'aura des Chevènement ou Emmanuelli de jadis (et Hamon peine à "rentabiliser" son maintien coûte que coûte au gouvernement). Dans ce climat, surnage une revendication parfois proclamée avec une étrange fierté: l'appartenance à une social-démocratie supposée être devenue l'alpha et l'oméga de la pensée progressiste contemporaine.
Eh bien si la calamiteuse année politique écoulée m'a bien appris quelque chose sur mon propre compte, c'est que, non, décidément, je ne suis pas social-démocrate! En tout cas, pas à la sauce "HSKD" (soit Hollande, Strauss-Kahn, Delors, maîtres à penser revendiqués ou honteusement cachés de l'essentiel de nos équipes dirigeantes).
Pourquoi une telle affirmation? Entre autres:
- Parce que je crois qu'il est vain de faire semblant d'ignorer que la lutte pour la répartition des richesses demeure le moteur principal de la vie économique et la cause principale du creusement des inégalités sociales.
- Parce que cette lutte-là est violente, impitoyable, menée avec détermination et des moyens considérables, et qu'un déséquilibre abyssal subsiste entre les détenteurs du capital (appuyés par leurs obligés) et les salariés (auxquels je veux bien joindre d'autres catégories comme les petits exploitants agricoles ou les artisans)
- Parce que, dans ces conditions, le compromis peut être, à un moment donné, une nécessité, mais, en aucune manière un mode de régulation permanent. Seul compte, en fait, l'analyse du rapport de forces et, quand on est "de gauche", la volonté de le faire pencher en faveur des plus modestes.
- Parce que je suis atterré de voir la place ridicule qu'occupent les termes "solidarité", "salariés" ou "Etat" dans les 200 mots les plus prononcés par Hollande depuis un an (cf "Le Monde" daté du 7 mai dernier), sachant que, sauf mauvaise lecture de ma part, "service public" n'y figure pas du tout.
- Parce que je suis lassé d'être traité d'anti-européen, ou pire, d'anti-allemand, si je m'en prends à la politique de la CDU incarnée, c'est un fait, par Mme Merkel, imposée, via les autres gouvernements libéraux de la zone, à l'ensemble de l'UE, et que, cohérent en cela avec l'idée de la prédominance des rapports de force, j'approuve l'idée selon laquelle se confronter, au risque de la crise institutionnelle, aux conservateurs, ce n'est pas refaire du Déroulède, c'est juste... faire de la politique.
- Parce que le mariage pour tous, c'est parfait, mais ce type d'ouverture sociétale n'est en rien un marqueur de gauche: c'est sous Giscard que fut voté le droit à l'IVG, et c'est de Gaulle (tout sauf un progressiste) qui accorda le droit de vote aux femmes.
Alors, à mon âge (bientôt 64 ans), je ne vais pas fantasmer sur le retour du "Grand Soir", ni prôner la lutte armée... Les concepts (lutte des classes, exploitation...) ont évolué. Pour autant, je refuse d'être considéré comme ringard en affirmant que ce recul permanent devant l'affrontement, cette désertion sur le front de la lutte contre la précarité (traduite par son effarante absence du discours officiel), ce soi-disant "réalisme" qui cache mal une totale impuissance à penser l'action politique constituent une capitulation historique dont ceux qui souffrent sont les victimes désignées.
Le plus triste, finalement, est d'en être réduit à être au clair sur ce que l'on n'est pas, et démuni de référence pour se définir dans le paysage idéologique du moment. Et de penser que même le retour de Sarkozy ne changerait rien à l'affaire...