Je ne suis pas un inconditionnel de François Hollande et ce n'était pas mon candidat à la primaire socialiste. Comme tout le monde, je pense que la période estivale a été, au minimum, mal pilotée. Enfin, j'ai quelques inquiétudes, voire certaines craintes, concernant la vision de nos gouvernants et les décisions à venir.
Ceci étant posé, et pour revenir une dernière fois sur les thèmes présents dans mes deux premiers billets, je suis tout de même frappé par l'espèce de délectation sous-jacente avec laquelle les uns et les autres se livrent au petit jeu du bilan. Cela me rappelle un livre d'Olivier Todd, publié vers 1982, je crois, consacré au début de la législature socialiste d'alors, qui s'intitulait "Une légère gueule de bois". Sauf qu'à la différence de cet auteur, les censeurs d'aujourd'hui ont le vin mauvais.
Le discours sur "l'immobilisme" est développé avec complaisance, de Mélanchon à Copé. De bonne guerre politicienne, mais tentons de prendre un léger recul. Ainsi, a-t-on conscience que sur les 60 engagements du candidats, 9 ont déjà été tenus ou engagés (pour les puristes, les numéros 10, 11, 17, 18, 26, 31, 38, 47 et 52)? Pas si mal, avec un gouvernement stabilisé à la mi-juin et une session exceptionnelle débutant début juillet.
J'entends bien aussi l'argument selon lequel ce qui n'est pas accompli avec vigueur tout de suite risque, ensuite, de se heurter à mille résistances. Alors, par curiosité, je suis allé rechercher comment avaient été mises en place les 35 heures, par une majorité élue, rappelons-le, en juin 1997. Eh bien, les deux lois fondatrices datent de juin 1998 (un an après) et, surtout, janvier 2000 (deux ans et demi plus tard). Ce n'est pourtant pas rien, les 35 heures, dans le Panthéon de la Gauche française.
En fait, ce qui est à l'oeuvre renvoie à une caractéristique tout à fait intéressante de cette dernière (la Gauche de chez nous). Je veux parler d'un inépuisable esprit critique, qui, voilà bien la difficulté, est tout à la fois un moteur et un handicap. Pas de démocratie sans débat, sans contestation, droit d'inventaire, indignation, revendication. Tout ceci est bien dans les gênes du camp progressiste et, d'une certaine manière, constitue sa raison d'être. L'instauration des primaires en est un parfait exemple. Et si elles furent grosso modo maîtrisées en 2011, on se souvient du désastre de 2006 (je veux parler des conséquences du débat interne sur la campagne de S. Royal). Et c'est bien pour cela que l'on se revendique "de gauche" en termes de pratique politique. Sauf que cette culture là, ces références, conviennent mal à l'exercice du pouvoir. Et il me semble peu probable de dénouer facilement cette contradiction féconde. Au minimum, tentons d'en avoir conscience, et, éventuellement, d'en réduire les inconvénients. En revanche, tentons de ne pas céder à l'exquis frisson de l'auto-flagellation instantanée.
Quant à la question du temps... Si la société française connaît les tensions et les déséquilibres d'aujourd'hui, si les valeurs de la Droite, n'ayons à ce sujet aucun doute, sont désormais largement dominantes, c'est, parmi d'autres éléments, le résultat de l'exercice du pouvoir, sans partage, dix ans d'affilée, par le camp conservateur et, à partir de 2007, réactionnaire (au sens étymologique du terme). Et ceci non seulement au niveau national, mais également, massivement, dans les instances européennes. Et au fond, depuis 1958, sur quelles durées ont pu s'exercer d'authentiques politiques inspirées par des idéaux de solidarité? Dix ans à tout casser, car j'ai tendance à en exclure la calamiteuse législature 1988-1993 (à l'exception, malgré tout, de la création du RMI).
Il ne s'agira donc pas uniquement de multiplier, là, tout de suite, maintenant, les nouveaux textes législatifs et réglementaires. Le combat à mener est plus profond, plus large, plus complexe et, reconnaissons-le, le rapport de force reste particulièrement défavorable.
Voilà, c'est dit. Je n'appelle pas à la complaisance et je n'ai pas l'intention d'en faire preuve. Il s'agit juste de prendre l'exacte mesure du calendrier, des étapes à franchir. gardons aussi, dans un coin de la tête, ce que serait une nouvelle "Restauration".
Et, pour le reste, cela va de soi, demeurons libres et vigilants.