C'était une proposition assez simple et lisible du candidat Hollande. Pourtant, depuis que l'alternance est devenue réalité, on a assisté à une violente offensive des milieux bancaires, à une hésitation gouvernementale inattendue, pour aboutir à une demi-mesure somme toute peu glorieuse: au lieu de doubler, le plafond du Livret A augmentera de 50% en deux fois d'ici la fin de l'année. Après... on verra.
Un article publié par Le Monde daté du 25.08, signé par un certain Robin Rivaton, "conseiller en stratégie" (mazette!). Ce dernier, reconnaissons lui ce mérite, expose clairement l'enjeu: "Les Français plébiscitent le Livret A et le LDD car ces produits ont une rémunération attractive dans une période d'incertitude sur les marchés boursiers, (...) qu'ils sont totalement liquides et qu'ils profitent dune garantie de l'Etat, contrepartie avantageuse dans un scénario de faillite bancaire." Au fond, c'est reconnaître aux détenteurs cette rationalité si chère aux experts économiques. Sauf que, quelques lignes plus loin, survient le lamento: "Le renforcement de l'attractivité du Livret A ne se fera qu'au détriment du financement des entreprises, alors que celle-ci en ont cruellement besoin pour assurer la mise à niveau de leur appareil de production, notamment la robotisation, et assurer l'investissement en recherche et développement. Il s'agit donc d'une mobilisation non optimale de l'épargne nationale."
Choc d'intérêts et de rationalités: conflit traditionnel de la science économique. Et, au fond, d'un point de vue technique, on serait assez d'accord avec l'idée selon laquelle orienter une partie de l'épargne vers le financement de l'activité productive n'est pas dénué de fondement (en écartant, à ce stade, tout débat sur le caractère capitaliste du modèle économique dominant). Sauf qu'en l'espèce, on aurait surtout envie de se demander: la faute à qui? Et, déplorerons-le, notre honorable consultant ne s'interroge pas une seconde sur ce point.
Quelques pages avant, dans le même quotidien, un long article est consacré à la chute des rendements de l'assurance-vie, autre mode d'épargne très prisé dans les deux dernières décennies. C'est un élément de réponse; ce n'est pas le seul.
Le principal, selon moi, renvoie à l'incapacité chronique des instances de régulation nationales et internationales à mettre fin aux dérives spéculatives auxquelles s'adonnent avec délectation et impunité les institutions financières qui, précisément, se battent pour attirer nos bas de laine. Sans remonter aux calendes grecques, quelles réelles garanties, depuis 2007, ont pu être données aux épargnants "de base" que les fonds investis dans les produits "dynamiques" (c'est en général ainsi que s'expriment nos conseillers financiers de l'agence bancaire du coin de la rue et les documents mirifiques qu'ils nous distribuent) n'allaient pas se retrouver emportés par l'une de ces tempêtes qui donnent lieu à autant d'exercices d'auto-flagellation puis, juste derrière, de retours cyniques aux pratiques addictives des génies boursiers ? Aucune, cela va de soi.
Alors, faute de mieux, nos doctes consultants en viennent à leur arme favorite: la culpabilisation. Ainsi, le nommé Rivaton termine-t-il son article par cet avertissement sinistre: "Les mesures du président François Hollande constituent une nouvelle menace sérieuse sur l'économie française sous le masque généreux du logement social." C'est une ritournelle en fait assez commune chez les néo-libéraux: les aspirations des pauvres (ou des moins riches) sont non seulement inacceptables, mais, fondamentalement, dangereuses ("Classes laborieuses, classes dangereuses"...), ce qui n'est pas le cas de celles des dirigeants éclairés de nos entreprises nationales ou multinationales. Vouloir travailler moins longtemps chaque semaine? Absurde et mortifère pour l'économie. Vouloir arrêter de travailler à 60 ans pour bénéficier de davantage d'années paisibles grâce à l'allongement de l'espérance de vie? Moralement douteux et économiquement irresponsable. Rechigner à quitter le pavillon que l'on vous, par ailleurs, encouragé à acheter ("Une France de propriétaires") pour partir à 800 kilomètres parce que l'entreprise délocalise? Minable et nuisible à la compétitivité.
Et je passe sur le regret, plutôt piquant, que les détenteurs de Livret A ne puissent financer "la robotisation" (cf plus haut), c'est-à-dire la destruction d'emplois dans le secteur productif...
Attendons la suite des événements, mais, à ce stade, posons ainsi la problématique: soit la proposition initiale était idiote, et c'est embêtant parce que ceux qui l'ont faite gouvernent désormais, soit il faudrait la défendre politiquement avec beaucoup plus de conviction et de fermeté et, c'est tout bête, la mettre complètement et rapidement en oeuvre.