Selon les commentateurs, cet été aura été marqué par les perturbations crées par Manuel Valls, critiqué par une partie de la majorité, et, in fine, implicitement recadré par Ayrault qui lui pique la vedette à Marseille.
Sans doute, les déclarations du ministre de l'Intérieur ont-elles troublé chez les écolos et parmi les quelques rares représentants de l'aile gauche du PS. En revanche, je suis convaincu que, recadrage ou pas, elles entrent parfaitement dans la stratégie du Président de la République à moyen terme.
Point de départ du raisonnement, un constat devenu d'une extrême banalité: le glissement vers la droite (pour aller vite), depuis une quinzaine d'années, du référentiel idéologique de la société française. Cette tendance peut se résumer (pour aller encore plus vite) à la prédominance de l'individualisme sur la solidarité. Ce rapport de force comporte de nombreux "sous-ensemble", parmi lesquels la demande de sécurité, le repli identitaire et la sanction largement plébiscité par rapport à la prévention, tous domaines sur lesquels le discours de Valls fait mouche à tous les coups.
Naturellement, dans un tel contexte, une "gauche de gouvernement" a deux options: s'adapter ou tenter de faire valoir ses principes historiques. pas besoin d'un long examen pour s'apercevoir que, depuis 2012, l'équipe Ayrault-Hollande a choisi la première voie. Plusieurs raisons à cela:
- La prééminence dans les allées du pouvoir des anciens fidèles de DSK, très représentatifs de ce que de "mauvais esprits" nommèrent jadis "la Gauche américaine". C'est bien de cela qu'il s'agit. Aux Etats-Unis, les progressistes sont en général nommés "libéraux". Au sens 18ème siècle du terme, soit libéraux en matière sociétale (le "mariage pour tous" en constitue un bon exemple) mais aussi en matière économique. Il n'est qu'à voir la frilosité de la réforme bancaire, la soumission au dicktat de la BCE (malgré quelques gesticulations) ou l'absence de projet, autre que la sacro-sainte stabilité des effectifs, en matière de service public pour s'en convaincre.
- Le peu de goût de Hollande pour une théorisation, même minime, de la politique et des rapports sociaux. On lui reconnaît, en général, des talents de tacticien, de stratège si l'on est bien disposé, nul n'a jamais discerné où se situait l'épicentre de sa pensée et, encore moins, sa vision de l'Histoire.
- Le vide politique à gauche du PS. Mélanchon peut avoir, souvent, de vraies pertinences dans le ciblage de ses critiques. L'excès dans la forme et la légèreté du modèle alternatif proposé empêchent qu'elles se traduisent en véritable perspective. A cela s'ajoute la tension croissante caractérisant ses relations avec le PC.
- La difficulté à se faire entendre, sur quelque sujet que ce soit, de ceux et celles (ils existent, pourtant) qui produisent une pensée se démarquant du modèle gestionnaire et comptable libéral. Non seulement ils n'ont pas accès aux gouvernants (ah, le séminaire sur la France de 2025!!!), mais le climat global évoqué ci-dessus ne leur offre guère de tribunes pour développer leurs idées.
Si rien ne vient interrompre le mouvement (en France, on ne sait jamais...), les échéances nationales à venir ont toutes les chances de voir s'affronter deux blocs inédits: d'un côté, la "Droite définitivement décomplexée" (UMP + FN) et, de l'autre, le "Centre droit/centre gauche" (la majorité actuelle du PS + le Modem + une fraction de l'UDI et des écolos). Sur les franges, des miettes d'une Droite extrême échappant au charme de Marine le Pen et d'une Gauche vintage oscillant entre colère et désespoir.
Dans cette configuration, Valls, pour 2017 comme pour 2022, constitue un atout majeur, pour Hollande d'abord, pour le PS ensuite. Il peut être utile "d'amuser la galerie" en l'érigeant en abcès de fixation. En réalité, d'ores et déjà, il s'installe (et on le laisse gentiment s'installer) en pivot du camp des "moins à droite". Ne serait-ce pas plutôt cela, la leçon de l'été politique?