Il faut défendre sans réserves et sans hésitation la grève des pilotes d'Air France. Et ceci pour trois séries de (très bonnes) raisons.
Ils seraient "trop payés" et donc illégitimes à mener un tel mouvement. Pour autant que je sache, on parle d'environ 12 000 euros par mois. Je ne suis pas choqué du chiffre compte tenu du haut niveau de technicité et de responsabilité du métier. Le véritable scandale est plutôt dans les rémunérations dérisoires versées à d'autres professions ayant les mêmes caractéristiques (je pense en particulier à bon nombre d'acteurs du secteur médical, social ou sanitaire, voire de l'enseignement). Ou, à l'inverse, dans ce que perçoivent les petits génies de la spéculation financière qui pourrissent notre système économique. Seulement il est beaucoup plus facile d'inverser le raisonnement et, ce faisant, stratégie classique, de dresser certains salariés contre les autres (avec une certaine réussite, semble-t-il, du côté d'Air France).
Même s'ils ont probablement des préoccupations corporatistes, les pilotes ont le mérite de dénoncer les ravages de la nouvelle pensée unique toute entière enchaînée aux dogmes de l'ultra-libéralisme. Qu'il s'agisse du temps de travail, de la sécurité de l'emploi, de la représentation des salariés dans l'entreprise, de la protection sociale ou de l'âge de la retraite, on voit bien la pente sur laquelle on nous précipite. Le drame, sans qu'il soit besoin de davantage développer ici, est bien l'abdication quasi-totale devant cette logique et non pas l'esprit de résistance (caricaturé désormais en "conservatisme" pour mieux le ringardiser) que l'on rencontre encore ici ou là. C'est ce renoncement qui est insupportable, surtout de la part de ce qui fut la Gauche, Monsieur le Premier ministre, pas l'inverse.
Enfin, à travers le cas du transport aérien, le mythe du low coast mérite, à coup sûr, d'être dénoncé. Bien sûr qu'il est sympathique de voir des catégories sociales relativement modestes pouvoir accéder à ce mode de déplacement. Mais, si l'on peut dire, à quel prix! L'implantation des compagnies à bas coûts ne résulte pas uniquement de l'exploitation cynique de leurs personnels, du recours aux paradis fiscaux et des failles du Droit du travail européen. Il faut aussi savoir que de l'argent public, via les collectivités locales (Régions, Départements, Commuinautés d'agglomération ou communes), est déversé à gros bouillons (genre un million d'euros par an pour une agglo de 300 000 habitants) pour obtenir la présence sur leurs aéroports des nouveaux rois du ciel. Vous adorez les billets à petit tarif? Ok. Mais vous trouvez que vos impôts sont trop lourds? Cherchez l'erreur.
Alors, oui, le conflit en cours est exemplaire. Mais pas parce qu'il reflèterait nos suppposées "rigidités structurelles" ou notre "frilosité" qui nous empêchent de rêver à un alignement sur les conditions de travail ou de vie de nos amis roumains, slovaques, coréens ou chinois. Parce qu'en fait il devrait nous amener à nous poser les bonnes questions dont la complexité certaine ne constitue pas un motif suffisant pour les éluder.