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Billet de blog 27 novembre 2012

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Les riches me fatiguent;

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Et voilà. Près de trois pages encore dans "Le Monde" daté du 24 novembre à propos du "Malaise des riches Français" (c'est le titre). Pas la peine de résumer, mais, jute pour le fun, ce passage: "Ce qui frappe, c'est le départ d'entrepreneurs pas si fortunés que ça, ils sont jeunes, fuient "une France triste", rêvent de New York où "l'énergie est partout" ou de Londres "où les riches sont des modèles." Le reste est à l'avenant, on le devine, avec Pierre Bergé dans le rôle du riche "de gauche" pour tenter de contrebalancer cette déprime contagieuse qui frappe nos millionnaires et de les rappeler à leurs devoirs.

Il serait tentant de polémiquer autour du fait que, c'est sûr, les ménages américains expulsés par les banques à la suite de prêts immobiliers "pourris" font certainement preuve d'une "énergie" à toute épreuve et manifestent bien plus de gaîté salutaire que ces Français surprotégés. Mais à quoi bon? 

Revenons juste à quelques éléments fondamentaux du débat:

1/ Tous ces gens survitaminés qui ne rêvent que d'exil dans des pays à la fiscalité indolore, où sont-ils nés, où ont-ils grandi, où ont-ils été formés? Les mots maternité, médecins, hôpital, sage-femme, école, lycée, université, sans parler des transports en commun qu'ils ont pu utiliser, des routes départementales ou communales qu'ils ont pu emprunter leur disent-ils quelque chose? Eux, leurs parents, leurs frères et soeurs, sont-ils toujours certains, tout au long de ces années qui les ont faits ce qu'ils sont, de n'avoir rien eu à voir avec l'Etat-Providence honni et son corollaire exécré, l'impôt? Jamais un professeur ou un instituteur "sous statut" pour leur apprendre deux ou trois trucs? Un policier pour leur faire traverser la rue?  Pas de dette à cet égard? Vraiment?

2/ Les "héritiers", ceux qui ont trouvé le pactole sans effort, ne sont-ils pas disqualifiés à revendiquer quelque reconnaissance que ce soit? Quels droits le hasard de la naissance crée-t-il? Quel statut? Quelle gloire? Et n'en est-il pas de même pour les joueurs, les spéculateurs, ceux qui n'inventent rien, ne produisent rien, se contentant de balancer quelques jetons (à un milliard pièce) sur la vaste roulette des marchés de matières premières ou sur les échanges sans fin affublés du nom obscur de titrarisation, c'est-à-dire la rente spéculative autour de la ronde sans limite des créances? Non, tous les riches ne se valent pas, et le baron Sellières (Ernest-Antoine) qui fait fructifier le portefeuille familial n'est pas Steve Jobs inventant Apple au fond d'un garage. 

3/ La question qui n'est jamais posée est la suivante: l'apport d'un être humain à la création de richesse collective peut-il raisonnablement être mille (dix mille, cent mille...) fois supérieur à celui de son contemporain, de son semblable? Avons-nous à ce point oublié la fable "des membres et de l'estomac"? Qu'est-ce que ce mépris, cette arrogance envers ceux qui, au fin fond de la salle des machines, alimentent le système de leur sueur, de leur mal au dos, de leur détresse? Somme-nous délibérément, consciemment entré dans ce monde où, sans ciller, l'on déciderait qu'une poignée de génies serait à l'origine de tout sans une seconde imaginer ce qui se passerait si tous les obscurs et les sans-grades cessaient de trimer? Qui a décidé de cet échelle implicite des valeurs? En quoi l'aide-soignante qui torche le grabataire se situerait-elle si loin du créateur de la dernière start-up en vogue? Elle n'a pas risqué de capital? La belle affaire! Quel prix vaut de passer ses nuits auprès de mourants décharnés et solitaires, nos parents, nos grands-parents? A défaut de pouvoir, d'un coup de baguette magique, bouleverser le système, faut-il sans hésitation le glorifier, le chérir, l'installer sur le piédestal du libéralisme triomphant? Un éclair de lucidité ne serait-il pas le bienvenu?

4/ En complément, ce qui est de moins en moins implicite, ce qui se dissimule derrière "l'assistanat cancer de la société", c'est cette idée héritée des maîtres de forges, des salons dorés de la bourgeoisie néo-louis-philipparde, c'est cette vision des choses selon laquelle le pauvre, l'exclu, le laissé pour compte, l'éjecté du parcours scolaire, le non-qualifié, le précaire, au fond, a bien mérité son sort faute d'avoir produit les efforts nécessaires puisque cette bienheureuse théorie suppose que nous sommes tous à égalité sur la ligne de départ, qu'il suffit de se démener un peu et qu'en y regardant de plus près les victimes des "accidents de la vie" sont eux-mêmes causes de leur malheur. Ah, ce fameux "mérite" qui n'est pas seulement une décoration ("l'Ordre national du...") mais, selon nos modernes élites, le ferment de toute réussite.

Parce qu'on ne discute plus guère de tout ceci, ou si peu, alors oui, les riches me fatiguent avec leurs indécentes jérémiades. Qu'ils aillent au diable, puisque, de toute manière, ils n'iront pas vraiment tant qu'il reste, ici, un peu de laine à tondre et des Moscovici pour habiller en "révolution copernicienne" de simples reniements des fondamentaux de ce qui, jadis, donna naissance à la République, laquelle n'est pas simplement un dispositif institutionnel, mais un art de vivre ensemble et de se respecter.

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