Jadis, certaines théories économiques posaient en principe la "rationalité du consommateur". Ce sont en général les mêmes qui se fondent sur la "rationalité des marchés". Il y a largement matière à discussion (et, d'ailleurs, on en discute). En fait, pour ce qui concerne les consommateurs, je pense surtout qu'ils ont des choix, ou que, plutôt, ils font des choix, mais que, souvent, ils n'en ont pas conscience.
Revenons à l'essence pour illustrer l'affirmation.
L'idée de base pour poser la revendication d'une baisse immédiate et substantielle est double: il s'agit d'un bien de première nécessité et, de toute façon, "les gens" sont obligés d'utiliser une voiture (voire deux si l'on raisonne au niveau des familles...). Comme beaucoup d'idées de base, celle-ci mérite un rapide réexamen.
Je veux bien admettre qu'il y ait un nombre significatif de nos concitoyens pour lesquels l'alternative n'existe pas du tout. Ni pour aller au boulot, ni pour aller en vacances. Je ne sais pas qui ils sont, combien ils sont, ni où ils habitent, mais, ok, pour ceux-là, la question est cruciale. Ils ne seront donc pas concernés par ce qui suit.
Pour les autres, je formule l'hypothèse selon laquelle, en réalité, ils manifestent ce que je nommerai "une préférence pour la voiture". Pour des tas de raisons sur lesquelles, à ce stade, je ne porte aucun jugement. Des exemples? La station de métro (de bus, de RER) est trop loin (de mon domicile, de mon bureau) et c'est trop long d'y aller à pied; je n'ai pas envie d'être serré dans les transports en commun; deux changements, ce n'est pas pratique; je veux pouvoir me balader où je veux avec les gamins pendant les vacances; le covoiturage avec mon voisin d'en face? Pas question (il a une sale gueule, il pue des pieds, on n'a pas les mêmes opinions politiques); je suis peinard dans ma voiture à écouter de la musique et à fumer ma clope (rarement avoué, souvent vécu).
Partant de ce postulat, l'interrogation devient donc: quel prix suis-je prêt à payer pour, au choix, gagner du temps, être à l'aise, passer des vacances à mon goût, m'épargner de la fatigue? Parce que dans un système économique, quel qu'il soit, tout, à la fin, a un prix. Même ce qui est proclamé gratuit. D'ailleurs, à ce propos, on aura remarqué que la baisse du prix de l'essence passe par une diminution des taxes. De fait, en général, on n'aime pas beaucoup les taxes et les impôts. On apprécie de bénéficier d'écoles, de policiers, de gendarmes, de juges, d'infirmières, de routes sur lesquelles circuler sans péages, des transports en commun (tiens, oui, précisément...), voire de spectacles à tarifs abordables dans les salles subventionnées, mais payer des taxes et des impôts, horreur!
On aura remarqué que j'ai, jusqu'à maintenant, évité l'argument écologique. Outre le fait qu'il y a débat (que je ne sais pas vraiment trancher) sur l'impact de l'activité humaine, de toute manière, là encore, passer aux actes (je veux dire, envisager des modes de consommation plus économes en énergie), cela suppose de modifier des habitudes, peut-être de consentir des efforts, et, pour beaucoup, c'est la barbe. Objectif (éventuel) de long terme, donc.
Comme se situe sur le long (très long...) terme une option qui consisterait à peser sur les compagnies pétrolières et, globalement, sur la filière qui mène à la pompe à essence. Il y a, dans ce domaine, des adeptes du "y a qu'à". Soit. Sauf que si la situation est ce qu'elle est sur les carburants, c'est aussi que se conjuguent deux lobbies d'une puissance ravageuse: celui du pétrole et celui de l'automobile. Et, pour le court terme, en tout cas, soulignons l'évidente contradiction entre défendre les emplois chez PSA et envisager de faire baisser la demande de carburant, donc, mécaniquement, le prix...
Au fond, je me demande pourquoi une tension semblable ne s'exerce par sur les produits alimentaires, fruits, légumes, viande, poissons. La nécessité n'est pas moindre, il y a des questions de santé publique, et on pourrait, au passage, retrouver un peu de cohérence environnementale.
Ce ne serait certainement pas plus facile (les lobbies sont tout aussi féroces) mais je ne peux m'empêcher de penser que, d'une certaine manière, ça aurait une autre gueule.