Rappelons les faits : Samedi 11 Avril 2020, vers 21h, le soleil se couche sur Anderlecht. Adil et son pote, deux jeunes anderlechtois, sont posés autour de leurs scooters. En voyant une voiture de police approcher, ils enfourchent leurs motos et s'enfuient. Qu'avaient-ils à se reprocher? On n'en est pas sûr, mais vu le quartier, où les jeunes sont habitués à des contrôles plusieurs fois par jour, le prénom arabe du jeune, et les "règles" de confinement qui permettent de foutre des sanctions administratives communales (SAC) à volonté, on peut déjà imaginer le mauvais moment qu'ils risquent de passer entre les mains de nos cow-boys en herbe.
Adil et son pote s'enfuient donc avant que la police ne les interpelle. Peut-on donc déjà parler de délit de fuite? La police ne leur avait apparemment pas encore demandé de se soumettre à un contrôle, auquel cas il se serait simplement agi de deux jeunes qui quittent un lieu au moment où la police y arrive.
Nos chers cow-boys —surement minés par un profond ennui depuis que leur habituelles victimes à tabasser sortent moins de chez eux— décident donc d'appeler des renforts et de se lancer à la course-poursuite des deux jeunes en scooter qui ont visiblement quelque chose à se reprocher (en effet, il est de notoriété publique que la police respecte scrupuleusement la loi, et ne cherche jamais de noises aux innocents). Après quelques minutes la voiture de patrouille venue en renfort, roulant certainement à toute allure alors que sa visibilité était réduite, heurte le scooter d'Adil. À l'heure où nous écrivons ces lignes, certains témoins et experts affirment que la voiture de police banalisée roulait sans gyrophares ni sirènes, à toute allure, et aurait volontairement changé de bande pour percuter le scooter qui venait en sens inverse. Pourtant dès les premières heures de l'incident, la police avait immédiatement affirmé qu'Adil les avait percuté en effectuant un dépassement dangereux. Le chauffeur d'une camionnette présente sur les lieux affirmera, quant à lui, avoir subi des pressions pour corroborer la version policière.
Rappelez-vous le policier qui tua la petite Mawda d'une balle "perdue", ou le jeune fauché devant la Gare Centrale de Bruxelles, exactement dans les mêmes circonstances qu'ici, par une voiture de police roulant à 98km/h sans sirènes. Ça ne sera pas la première, ni la dernière fois qu'une voiture de police percute un bruxellois en pleine nuit, tant les flics aiment se la jouer Starsky et Hutch, par contre ça sera la dernière soirée d'Adil.
Sans aller dans le sens des commentaires à tendance raciste qu'on retrouve systématiquement sous les faits-divers du site du Soir (un grand quotidien belge), on peut effectivement fustiger l'attitude des deux fuyards. Pour sûr, Adil ne serait certainement pas mort s'ils avaient attendu que la police les interpelle. Ils auraient plus probablement écopé d'une SAC de 250€ pour non-respect du confinement, puis passé la nuit en cellule avec quelques contusions aux côtes après avoir commis un acte de "rebellions" ou "d'outrage à agent" (les flics sont très doués pour te provoquer puis te coller une amende à la moindre réponse jugée impertinente).
Dans cet article je prends volontairement la défense d'Adil alors qu'il reste beaucoup de détails à éclaircir, parce que le rôle destructeur de la police dans ces quartiers est démontré depuis longtemps. Comme l'écrit très bien la chercheuse Muriel Sacco dans sa Carte Blanche pour Le Soir, et comme rappelé plus récemment par un éducateur du quartier, la fuite d'Adil démontre avant tout l'absence de confiance entre les jeunes et la police à Cureghem : les contrôles y sont fréquents, motivés d'abord par la délinquance puis par la crainte du radicalisme religieux qui se manifesteraient dans ce quartier. Les règles de confinement ont encore exagéré une présence policière considérée comme discriminatoire (il y a encore quelque jours la police de Woluwe, quartier huppé de la capitale, dansait avec les habitants en rue ; alors qu'aux abords de l'Abattoir d'Anderlecht elle pointait ses gazeuses sur un boucher qui se plaignait de leur présence anxiogène).
L'émeute qui a éclaté dès le lendemain de la mort d'Adil doit être prises au sérieuse, d'après Muriel Sacco : "la dimension politique de cette émeute : dénoncer le caractère discriminatoire de l’intervention policière et réclamer l’arrêt de ces pratiques." Un conseil ignoré par le bourgmestre d'Anderlecht, d'abord, pour qui ces jeunes n'ont pas d'autre revendication que d'exprimer leur violence (étonnant, quand un des leurs meurt injustement sous les roues de la police). Les policiers également, certainement fous de rage en voyant un de leur fourgon littéralement défoncé par les émeutiers, préfèrent augmenter "la tension" (pour reprendre les mots du journaliste de la RTBF en duplex sur place) en déployant un auto-pompe et des fourgons de la police fédérale, plutôt que de s'inspirer des études sociologiques sur la question. Drôle de manière "d'appeler au calme" une population dont ils viennent de tuer un pair, et qui réclame justement moins de présence policière et de contrôles abusifs...