Le Guatemala est pris, depuis lundi 2 octobre, dans un mouvement social d’une ampleur hors du commun. Les routes sont coupées. Les entreprises ont interrompu leurs activités, les touristes VIP ont évacué en hélicoptère. Les marchés sont fermés. Les stations services sont à sec. On ne bouge plus. On retient sa respiration.
Deux hauts fonctionnaires du Ministerio Público (Ministère de l'intérieur) et un magistrat sont mis en cause pour avoir tenté de saboter l'élection présidentielle, gagnée en août par surprise par le candidat de gauche Bernardo Arévalo et son parti le Movimiento Semilla. Nous en sommes pour l'instant à une grève générale et une paralysie presque totale du pays, mais sur les réseaux sociaux la guerre de la rhétorique et la com' fait rage entre d'une part le secteur de grands commerçants et propriétaires terriens, hostiles au gouvernement qui prendra ses fonctions en janvier, et de l'autre les secteurs étudiant, paysan, autochtone, de classe ouvrière, de classe moyenne, et de toustes celles et ceux qui sans nécessairement soutenir le président élu, en ont suffisamment leur claque du régime qu’ils et elles sont prêtes à braver une saison des pluies particulièrement fournie pour essayer, entre tous et toutes, de défendre sur le pavé le peu de droits qu’il leur reste contre un coup d’état administratif.
Selon la police des routes PROVIAL il y avait aujourdhui plus de 140 blocages, concentrations et barricades sur toutes les routes principales du pays et les grands axes de la capitale, Guatemala Ciudad. Lundi 2 il y en avait une vingtaine. L'aéroport international est à sec et un article de la Prensa Libre, un journal centre-droite, publiait la recommandation de chercher des aéroports alternatifs dans la région. Les manifestants et manifestantes ne sont pas armés, on joue au football sur la chaussée pour passer le temps, il y a des ventes ambulantes, de la musique, des enfants qui jouent. Et puis il pleut, tous les après-midi, tous les soirs, toutes les nuits, ça tombe. C’est la saison, bien sûr, mais d’habitude on évite d’être dehors. Le mouvement semble avoir pris de l'ampleur en très peu de temps. On reproche aux fonctionnaires et au magistrat d’être intervenu.es illégalement auprès du Tribunal Suprème Electoral, qui a ratifié les résultats de l’élection, afin d'obtenir une rétractation et d’avoir manipulé la Cour Constitutionnelle, (un organisme unique dont la fonction est justement la défense de libertés) pour atteindre leur objectif: l’annulation du parti politique dont Bernardo Arévalo est le leader et une remise en cause de sa présidence, qui débutera le 15 janvier 2024.
Très peu de violences sont à déplorer, liées à des ressentiments locaux plutôt qu'à un quelconque riposte de la part du gouvernement sortant de Alejandro Gianmatei, qui pourrait être impliqué si les deux fonctionnaires et le magistrat sont forcés de démissionner. Pour l'instant, on attend de voir la direction que prendra le mouvement social si lesdits continuent à s'accrocher à leur postes. On soupçonne que les fonctionnaires et le magistrat ne pourraient être à l’origine de l’initiative de faire annuler les élections présidentielles, que l’ordre venait vraisemblablement de beaucoup plus haut.
Les barricades sont apparues tout au long de la Panaméricaine, une des routes principales reliant le haut plateau occidental et le reste du pays. Les villes et villages alentour se sont mobilisés, les consignes sont claires. On s’en ira quand Consuelo, Rafael et Fredy auront démissionné. Jusque là on ne bouge pas. Dans la ville occidentale de Quetzaltenango les rues et les parcs sont remplis d’une foule joyeuse et determinée. Qu’ils sent aillent, dit-on. A la capitale, les grands axes sont bloqués, les groupes étudiants de l’Université publique (USAC) s’est unie à l’effort, ainsi que les syndicats et les petits commerçants. Pour l’instant, rien ne passe, sauf les ambulances et les camions transportant le maïs, aliment emblématique des peuples autochtones guatemaltèques.
Le président Giammattei ne s’est pas prononcé en public, face à une semaine de paralysie nationale. On l’imagine facilement, à l’instar des dictateurs latino-américains caricaturaux des années folles de la CIA et des enterprises bananières, s’apprêtant en loucedé à quitter le pays. Sans répression militaire ni policière, espérons, sans bain de sang. À suivre
Post scriptum:
L'Ambassade de France a envoyé aux ressortissant.es français.es un mail détaillant la posture officielle et les conseils de sécurité d'usage. Je copie-colle le texte ci-dessous:
"Bonjour,
En raison des mouvements sociaux qui touchent le Guatemala depuis le lundi 2 octobre 2023, des manifestations et blocages routiers sont organisés un peu partout dans le pays et empêchent totalement les déplacements dans certaines zones.
Il est recommandé de s’informer des conditions de circulation sur les routes avant tout déplacement en raison de possibles complications sur les réseaux routiers, d’éventuelles manifestations ou autres mouvements de foule.
L’INGUAT (Institut national guatémaltèque de tourisme) recommande de limiter tout trajet routier en journée et proscrit tout déplacement de nuit.
L’INGUAT suggère aux touristes se trouvant dans les zones les plus affectées par ces blocages de repousser leur départ jusqu’à nouvel ordre.
Dans ce contexte, il convient également de rester vigilant et de se tenir éloigné de tout rassemblement et mouvement de foule éventuels.
Les liens ci-dessous donnent des informations mises à jour concernant l’ état du réseau routier :
PROVIAL :
Numéro d’urgence : 1520
https://www.youtube.com/watch?v=C7iwyqxBMhE
https://www.facebook.com/ProvialOficial/
https://twitter.com/ProvialOficial
INGUAT :
Numéro d’urgence : 1500
https://www.facebook.com/inguat/?locale=fr_FR
https://twitter.com/InguatPrensa
Cordialement,
Ambassade de France au Guatemala"
Pour plus de détails je fournirai un contact mail.
Tony Savdié
[Citoyen français vivant depuis 1999 au Guatemala]
Sources:
- Prensa Libre, 6, 7, 8 et 9 octobre 2023
- plazapublica.com.gt, 7 et octobre 2023