POETIQUE ET MYSTIQUE DE LA BEAUTE NOIRE
Pascal Kossivi ADJAMAGBO
Poète, Artiste, Mathématicien
En hommage à la Femme Noire
Paris, le 8 mars 2022
Permettez-moi de prêter à votre attention quelques réflexions d’ordre poétique sur la Beauté Noire, inspirées de l’histoire de l’Afrique et de l’exégèse de la Bible.
Comme vous ne le savez peut-être pas, l'Egypte Noire, «Le Pays Noir», comme les anciens Egyptiens eux-mêmes désignaient leur pays (l), n'est pas seulement le berceau de la Civilisation Moderne, en particulier de l'Écriture, des Sciences, des Arts et du Monothéisme, mais aussi de la Poésie, en particulier de la poésie amoureuse dont les pages constituent le florilège le plus ancien de la poésie universelle qui a éclos sur les bords du Nil il y a plus de 3500 ans (2).
En effet, près d'un millénaire avant que le poète grec de l’Iliade et l’Odyssée ne célèbre la beauté légendaire de la Belle Hélène dont la convoitise a déclanché la célèbre et terrible Guerre de Troie, les poètes de l'Egypte Noire, depuis les Pharaons jusqu'aux troubadours, ont chanté à propos de la Femme Noire, non seulement la beauté plastique qui peut attiser des passions au point de causer autant de ravages que la Belle Hélène, mais surtout la beauté intérieure sans laquelle la beauté plastique n'est qu'une coquille vide et qu'Un décor factice dont on finit par se lasser.
C'est ainsi que les plus beaux et touchants hommages dont peut rêver toute femme sont ceux que le Pharaon Noir Ramsès II a rendus à sa Femme Noire Néfertari, en faisant graver sur sa tombe dans la vallée des Reines près de Thèbes l'inscription « Elle incarnait la beauté, la douceur, l'amour » et sur le fronton du Petit Temple d'Abou-Simbel en Nubie dédié à sa bien-aimée l'épigraphe « A Néfertari, par amour de laquelle le soleil se lève ».
Dans un des plus anciens poèmes d'amour de la littérature égyptienne et donc universelle, plus précisément dans le premier chant de la collection du papyrus dit de Chester Beatty, en provenance de Thèbes et datant de la XXe dynastie, autour de 1200 avant JC (2), le bien-aimé fait l'éloge de sa bien-aimée en ces termes d’une sensualité et d’une modernité étonnantes qui font de chaque Beauté Noire « pour son amoureux » une « véritable étoile » et une « véritable diva » :
«L'unique, la bien-aimée, la sans pareille, La plus belle de toutes,
Regarde-la, elle ressemble à Sirius,
La plus brillante des étoiles,
Celle qui annonce une bonne et heureuse année.
Sa grâce est éclatante,
Sa peau luisante,
Comme de l’ébène poli,
Et ses yeux pleins de charme.
Douces sont ses paroles,
Et chez elle, jamais un mot de trop.
Son cou fait penser à un cygne noir,
Ses seins sont resplendissants comme des fruits mûrs,
Et ses cheveux sont comme
Une authentique pierre précieuse noire,
Le lapis-lazuli.
Ses bras sont plus magnifiques que l’or,
Et ses doigts comme des fleurs de lotus.
Bien rondes sont ses fesses,
Bien fine sa taille,
Tandis que la forme de ses hanches
Rend parfaite sa beauté.
Sa démarche est si gracieuse
Qu’elle séduit mon cœur,
Et qu’elle fait tourner la tête
A tous les hommes qui la voient.
Bienheureux celui qui l’enlacera,
Il sera le plus heureux de tous les amoureux.
Chacune de ses sorties est
Comme l’apparition d’une diva ! »
Et la bien-aimée de lui répondre dans le quatrième chant en
les termes affectueux, vivants, et pittoresques suivants:
« Mon coeur bat plus vite, Lorsque je pense à ton amour.
Il ne me permet pas de me comporter comme une personne,
Et tressaute là où il se trouve …
«Ne tarde pas, rejoins-le chez lui»,
Me dit mon cœur, chaque fois que je pense à lui.
O! mon coeur, ne sois donc pas stupide !
Pourquoi te conduit-tucomme un fou ?
Reste calme et le bien-aimé viendra à toi.
Tous les regards convergeront alors vers toi.
Ne fais pas que les gens disent de moi :
«C'est une femme égarée par l'amour ! »
Puisses-tu rester calme
Chaque fois que tu pense à lui,
O mon coeur,
Et ne pas battre ainsi ! »
Les échos de l'hommage de l'Egypte Noire à la Beauté Noire résonnent plusieurs millénaires après jusque dans plusieurs recoins de la Bible où Celle-ci jouit d'un prestige exceptionnel, auréolé du prestige biblique exceptionnel de l’Egypte et de la Nubie Noires (3). C’est ce dont témoigne le « Cantique des Cantiques », c'est-à-dire le « Poème par excellence », dont le titre le plus convenable serait « Eloge de la Beauté Noire », conçu sur le modèle de dialogue de chants d'amour égyptiens, où la bien-aimée, interprétée par la plupart des exégètes modernes comme une fille de Pharaon devenue une épouse du Roi Salomon (4), commence par s'adresser à son bien-aimé, interprété par ces mêmes experts comme le Roi Salomon lui-même, en ces termes par lesquels elle revendique avec fierté sa Beauté Noire, auréolée du prestige biblique de l’Egypte et de la Nubie Noires, un peu comme de nos jours une femme peut revendiquer avec fierté sa Beauté Blonde :
« Couvre-moi de tes baisers
Car ton amour est plus délicieux que le vin,
Ton nom, une huile exquise,
Ton parfum, envoûtant,
Ton charme enchante les jeunes filles.
Entraîne-moi sur tes pas, courons!
Emmène-moi, mon roi, jusqu'à tes chambres.
Tu seras notre joie et notre allégresse.
Nous célébrerons tes caresses plus que le vin …
Je suis noire et belle (5) ...
Comme le pommier parmi les arbres d'un verger,
Tel est mon bien aimé parmi les jeunes hommes.
A son ombre désirée je suis assise,
Et son fruit est doux à mon palais.
Il m'a menée à son festin,
Et couverte de son amour comme d'un étendard Soutenez-moi de gâteaux de raisins,
Ranimez-moi avec des pommes,
Car je suis malade d'amour ... »
Et au bien-aimé de répondre :
« Tu es toute belle, ma bien aimée, ma candide …
Tu me fais perdre le sens,
Ma bien-aimée, ma fiancée,
Tu me fais perdre le sens
Par un seul de tes regards,
Par un anneau de ton collier !
Que ton amour a des charmes,
Ma bien-aimée, ma fiancée.
Que ton amour est délicieux, plus que le vin l
Et l'arôme de tes parfums,
Plus que les baumes!
Tes lèvres, O ma fiancée,
Distillent le miel vierge.
Le miel et le lait sont sous ta langue ...
Détourne de moi tes regards, ils m'ensorcellent ....
Qui es-tu donc qui surgit comme l’aurore,
Belle comme la lune,
Resplendissante comme le soleil ?…
Que tu es belle, que tu es charmante,
Et quelle extase en toi, O amour, O délices!
Tu ressembles à un palmier par l'élan de ta taille,
Tes seins en sont les grappes.
J'ai dit : Je monterai au palmier,
J'en cueillirai les fruits.
Puissent tes seins être pour moi comme des grappes de raisins,
Le parfum de ton haleine avoir la senteur des pommiers
Et ton palais le goût d'un vin exquis ! »
Tels sont quelques passages (6) de l'hommage éloquent que la Bible rend à la Beauté Noire et que la tradition biblique attribue au roi Salomon (7), sans doute autant en mémoire de Princesse Noire d’Egypte qui a été son épouse qu’en mémoire de la Reine de Saba, en Nubie, la Femme Noire par excellence de la Bible, dont le charme, la grâce, la classe et le faste ont ébloui le roi Salomon qui, selon les traditions bibliques et Ethiopiennes, succomba aux charmes de sa Beauté Noire, comme le rapporte avec euphémisme le Premier Livre des Rois (8).
Aussi, je pense que le Poète Salomon serait d'accord avec moi pour dédier à chaque Beauté Noire, avec des pensées particulières à la reine Nefertari, et à la reine de Saba, le poème suivant du florilège « Préludes à la Nouvelle Poésie » faisant écho à plusieurs millénaire de distance aux chants d’amour de la poésie égyptienne, en conclusion de ces réflexions sur « la Poétique de la Beauté Noire »:
« Pour moi,
Tu es la perle la plus précieuse
Qu’ait jamais porté l'écrin de la beauté,
Tu es la fleur la plus admirable
Qui ait jamais éclos sur la face de la terre,
Tu es le sourire le plus angélique
Qui ait jamais illuminé le visage d'un être humain,
Tu es le rayon le plus pur
Qui ait jamais émané du soleil de la grâce,
Tu es la brise la plus douce
Qui ait jamais rafraîchi un cœur brûlant d'amour,
Tu es le vin le plus enivrant
Qu' ait jamais produit les raisins du désir ».
Notice Biographique
Poète, artiste, historien et mathématicien, Pascal Kossivi Adjamagbo est Maître de Conférences à SORBONNE UNIVERSITE à Paris et auteur du recueil de poèmes « Préludes à la Nouvelle Poésie ».
Notes
(1) Comme l'atteste le déterminatif « pays » dans le nom de l'Egypte dans l’écriture égyptienne d’après les règles élémentaires et strictes de laquelle ce déterminatif exclut avec une certitude mathématique la traduction «Terre Noire » en référence à la couleur du limon du Nil.
(2) Voir par exemple la page 22 de Bernard Mathieu, La poésie amoureuse de l'Egypte ancienne, Recherches sur un genre littéraire au Nouvel Empire, Institut Français d’Archéologie Orientale, 1996 ;
(3) Comme en témoignent les passages suivants de la Bible : « La onzième année, au troisième mois, le premier du mois, la parole du Seigneur me fut adressée en ces termes : Fils d’homme, dis à Pharaon, roi d’Egypte, et à la multitude de ses sujets : A quoi es-tu comparable dans ta grandeur ? Voici : à un cèdre du Liban, aux branches magnifiques, au feuillage touffu, à la taille élevée. Sa cime perçait les nuages. Les eaux l’avaient fait croître… C’est pourquoi sa taille était plus élevée que tous les arbres de la campagne, ses surgeons se sont multipliés, ses rameaux s’étendaient, à cause des eaux abondantes qui le faisaient croître. Dans ses branches nichaient tous les oiseaux du ciel, et sous ses rameaux mettaient bas toutes les bêtes des champs. A son ombre demeurait toute la multitude des nations. Il était beau dans sa grandeur, dans le déploiement de ses branches, car ses racines baignaient dans des eaux profondes… Aucun arbre du jardin de dieu ne l’égalait en beauté. Je l’avais embelli d’une riche ramure. Tous les arbres d’Eden qui étaient au jardin de dieu le jalousaient… A quoi donc comparer ta gloire et ta grandeur parmi les arbres d’Eden ? » (Ez 31, 1-18) ; « l’Egyptien est un homme et non un dieu » (Is 31,3);
« Depuis l’Egypte, des grands viendront, la Nubie étendra les mains vers Dieu » (Ps 68,32). « En ce temps-là, des offrandes seront apportées au Seigneur des Armées par le peuple fort et vigoureux (les Nubiens), par le peuple redoutable depuis qu’il existe, nation puissante et qui écrase tout » (Isaïe 18, 7).
(4) Selon le témoignage de la Bible dans : 1 R 3,1 ; 7,8 ; 9,16.24 ; 2 Ch 8,11. Voir « l’introduction au Cantique des Cantiques » dans « la Bible de Jérusalem » au sujet de l’interprétation de ce livre par les exégètes modernes.
(5) La conjonction « mais » de la traduction répandue « je suis noire mais belle », est une corruption tardive absente des versions hébraïques et grecques du « Cantique des Cantiques » et introduite dans sa version latine de La Vulgate par son auteur Jérôme. Quant au verset suivant 1,6 «Ne prenez pas garde à mon teint noir, c'est le soleil qui m'a brûlée. Les fils de ma mère se sont emportés contre moi, ils m’ont mise à garder les vignes. Ma vigne à moi, je ne lai pas gardée », il semble être « un radotage » aussi anachronique et raciste que la corruption de Jérôme » et « un cheveu dans la soupe » de l’ensemble du poème. Il est en tout cas de la même facture littéraire que les versets 8, 11-12 qui sont considérés par la plupart des exégètes modernes comme une addition au texte original, voir à ce sujet « l’introduction au Cantique des Cantiques » citée à la note (4), ainsi que les deux livres cités à la note (7). Cette appréciation s’applique donc également au « radotage » du verset 1,6. Ce « radotage » est d’autant plus anachronique et grotesque qu’il concernerait une fille de Pharaon, auréolée du prestige révélé par la citation du Prophète Ezéchiel dans la note (3).
(6) Cantique des Cantiques : 1, 2-5 ; 2, 3-5 ; 4, 7 ; 4, 9-11 ; 6, 5 ; 6, 10 ; 7, 6-9
(7) Cependant, selon L. Monloubou et F.M. Du Buit, Dictionnaire biblique universel, Desclée, p. 103 : « l’attribution du Cantique à Salomon est évidemment une fiction littéraire; elle montre que ce Cantique était considéré comme un ouvrage de sagesse, dont la paternité devait être attribuée à l’initiateur de toute la littérature sapientielle ». Quant à W. Harrington, Nouvelle introduction à la Bible, Seuil, p. 452-453 : « la tradition a attribué le Cantique des Cantiques à Salomon (Ct 1,1), mais ce dernier n’en est pas plus l’auteur qu’il ne l’est de l’Ecclésiaste. L’attribution lui en a été faite sur la base de sa renommée de poète (1 R 5,12). La langue du Cantique est celle d’une époque de plusieurs siècles postérieure à celle de Salomon…Une date quelconque dans la première moitié du quatrième siècle semble la plus indiquée ».
(8) Plus précisément au verset 13 de son chapitre 10 où il est écrit : « Quant au roi Salomon, il offrit à la reine de Saba tout ce dont elle manifesta l’envie, en plus des cadeaux qu’il lui fit avec une munificence digne du roi Salomon », sachant que les versets 1 et 3 du chapitre 11 précisent : « Le roi Salomon aima beaucoup de femmes étrangères, outre la fille de Pharaon… Il eut sept cents épouses de rang princier et trois cent concubines ».