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Billet de blog 18 septembre 2023

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SUR LES ACTES DE FOI DANS L’EXPERIENCE RELIGIEUSE ET DANS L’EXPERIENCE MATHEMATIQUE

Pour la première fois dans l'histoire de la philosophie des mathématiques et de la théologie, nous projetons les lumières de la raison sur les analogies enrichissantes entre les actes de foi dans l'expérience religieuse et dans l'expérience mathématique, concernant notamment le système d'axiomes de la théorie des ensembles.

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SUR LES ACTES DE FOI
DANS L’EXPERIENCE RELIGIEUSE
ET DANS L’EXPERIENCE MATHEMATIQUE

Entretien avec les frères de Taizé, Assomption 2001

Pascal ADJAMAGBO, Mathématicien, Historien, Théologien.

Je suis heureux et honoré de la faveur qui m’échoit, à la veille de la fête de Celle qui est le « Modèle de l’intelligence du cœur » (Luc 24,25), qui a demandé à l’Ange Gabriel « Comment cela peut-il se faire ?»(Luc 1,34) et « qui gardait toutes ces choses, les méditant dans son cœur » (Luc 2,19), de vous livrer en quelques minutes comme à des amis qui me sont très chers les conclusions suivantes de mes méditations « sur les actes de foi dans l’expérience religieuse et dans l’expérience mathématique », à la lumière de mes propres expériences de chercheur de Dieu et de chercheur en mathématiques, plus exactement à la lumière de mes propres recherches en théologie dogmatique et en logique mathématique.

1°/ La première conclusion, c’est que ce n’est pas seulement l’expérience religieuse qui commence par un acte de foi, mais également l’expérience mathématique contemporaine qui commence depuis un peu plus d’un siècle par l’acte de foi de la croyance en la non- contradiction du système minimal d’axiomes sur lesquels sont édifiées les mathématiques modernes et appelé « système d’axiome de Zermelo-Fraenkel ». Cet acte de foi à l’origine des mathématiques modernes est en fait perçu par les mathématiciens comme une simple «hypothèse de travail» non clairement annoncée mais que j’énonce dans mon cours d’Algèbre à Sorbonne Université comme «l’hypothèse fondamentale de la logique mathématique ».

2°/ La seconde conclusion, c’est qu’un acte de foi n’est pas contraire à la raison, contrairement à la critique que certains non-croyants tentés de faire aux croyants, et même qu’il n’est nullement absurde de croire en quelque chose que l’on ne peut pas définir et dont on ne sait rien en dehors des attributs que lui prête l’acte de foi. C’est ce que confirme entre autres la croyance des mathématiciens contemporains en l’existence des objets mathématiques appelés « ensembles », que nul mathématicien ne sait définir et dont nul ne sait quelque chose en dehors des propriétés que leur prête le système d’axiomes de Zermelo-Fraenkel. C’est ce que soutient avec une rare clairvoyance et honnêteté intellectuelle mon collègue Jean-Louis Krivine de l’Université Paris VII dans l’introduction de son livre « Théorie des ensembles » en ces termes : « Bertrand Russel a défini les mathématiques comme la science où l’on ne sait pas de quoi l’on parle, ni si ce que l’on dit est vrai. C’est très bien observé, et particulièrement dans le domaine qui nous occupe ici : à cause du théorème d’incomplétude de Gödel, il faut, en effet, abandonner tout espoir de montrer que la théorie des ensembles ne comporte pas de contradiction. On ne sait donc pas si un modèle de la théorie de Zermelo- Fraenkel « existe », ce qui constitue la première étrangeté d’un tel objet, et pas la moindre ». La citation du mathématicien et philosophe anglais Bertrand Russel dont le logicien Louis Krivine ne précise pas la référence dans son livre contrairement aux usages académiques, est publiée dans le livre de Bertrand Russell "Mysticism and Logic and other essays", 1918, London.

3°/ La troisième conclusion, c’est que de même que toute l’activité d’un mathématicien consiste à produire des énoncés « intéressants » conformément au système d’axiomes admis par un acte de foi, de même toute l’activité d’un croyant consiste à produire des œuvres conformes aux articles de sa profession de foi. En d’autres termes, on peut dire que, en mathématiques comme en religion, les actes de foi sont ordonnés aux œuvres suscitées, que « l’ortho-doxie », c’est-à-dire « la doctrine juste », est ordonnée à « l’ortho- praxis », c’est-à-dire « la pratique juste », conformément aux paroles suivantes du Christ « mets cela en pratique et tu auras la vie éternelle (Luc 10,28) ...ce ne sont pas ceux

qui me disent Seigneur, Seigneur qui entreront dans le Royaume, mais ceux qui par leurs actes font le plaisir de mon Père qui est dans les Cieux (Mt,7,21)».

4°/ La quatrième conclusion, c’est que ce qui fait la noblesse d’un acte de foi, au point de susciter l’admiration du Christ lui-même devant le centurion romain (Mt 8,10) et la femme cananéenne (Mt 15,28), c’est sa fécondité appréciable à la qualité des œuvres suscitées, conformément au proverbe cité par le Christ « on reconnaît un arbre à ses fruits» (Mt 12,33), et à ses paroles suivantes « Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez du fruit (Jn 15,8) ... à ce signe on vous reconnaîtra pour mes disciples, à l’amour que vous manifesterez les uns pour les autres (Jn 13,31) ». Cette conclusion suggère ainsi une piste de lecture de la parabole des talents (Mt 25, 14-30), ces derniers pouvant être interprétés comme des « dépôts de la foi » qu’il ne suffit pas de préserver jusqu’à la fin de ses jours, mais qu’il faut absolument faire fructifier en produisant les œuvres de la foi.

5°/ La dernière conclusion, c’est que ce qui fait la fécondité des actes de foi, en mathématiques comme en religion, ce sont « le principe de cohérence » et « le principe de vérification », de la vérification permanente de la conformité aux actes de foi des œuvres suscitées, cette conformité en laquelle consiste « le principe de cohérence ». L’expérience religieuse gagnerait beaucoup à s’inspirer de la pratique rigoureuse de ces principes dans l’expérience mathématique, pour que dans cette première également « la rigueur soit une source de vigueur et non un prétexte de rigidité ».

En guise de conclusion à cette méditation, permettez-moi de témoigner que l’expérience mathématique peut être perçue et vécue comme « une parabole de l’expérience religieuse» nous permettant d’expérimenter par nous-même la parole du Prologue de l’Evangile de Saint Jean que l’on peut traduire en toute rigueur : « La Raison est devenue une personne concrète et a élu domicile au milieu de nous (Jn 1,14) ». Permettez-moi enfin d’ajouter à ce témoignage de Saint Jean : « afin que nous puissions nous abreuver à volonté à la source pure de la Raison que par ignorance nous négligeons tant » !

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