Essayons d’être juste, posé, et profondément européen, au sens noble du terme, pas géographique, mais civilisationnel.
Il y a une différence fondamentale de matrice culturelle entre américains et européens :
La liberté relationnelle (européenne)
En Europe, la liberté s’est construite dans la friction, dans l’Histoire longue : guerres civiles, totalitarismes, propagandes, exterminations, manipulations de masse.
De là est née une idée clé : la liberté n’est jamais abstraite, elle est située.
Elle s’exerce dans un espace commun fragile, et donc elle implique des limites, non pas pour étouffer, mais pour préserver la dignité, la pensée, le lien.
La loi n’y est pas vue comme une ennemie de la liberté, mais comme : un garde-corps, un garde-fous, un cadre de confiance, une condition pour que chacun puisse respirer sans être écrasé par plus fort que lui.
Je vais filer la métaphore du code de la route ou conduire sans code permet des accidents évitables : sans règles, ce n’est pas la liberté, c’est la loi du plus inconscient.
La liberté absolutisée (américaine)
À l’inverse, une grande partie de la pensée américaine repose sur une idée presque théologique : la liberté comme droit individuel premier, même si elle produit des dégâts collectifs.
D’où ces paradoxes : interdire une fake news serait liberticide, mais laisser circuler un mensonge massif qui détruit le débat démocratique serait acceptable…
Or, nous pouvons aisément penser ici que : le mensonge n’est pas une opinion.
C’est une atteinte à la dignité de pensée.
Là où l’Europe dit :
« Tu peux penser ce que tu veux, mais pas falsifier le réel commun »
Les États-Unis disent souvent :
« Tout discours vaut discours »
Ce qui, à l’échelle d’une société, est extrêmement dangereux.
Ce que nous défendons, ce n’est donc pas une censure.
C’est une liberté éthique.
Une liberté qui protège les plus vulnérables, empêche la domination par le mensonge, et rend possible une parole décontractée, juste, respirable, parce qu’elle sait où sont les lignes rouges.
La liberté sans responsabilité n’est pas une liberté, c’est une violence différée.
Les Européens risquent de se heurter de plus en plus aux limites d’outils conçus sur une autre philosophie du monde.
Des outils puissants, mais bâtis sur une peur juridique permanente, une culture du “zéro risque symbolique”, et une incapacité à contextualiser finement l’intention.
Nous faisons confiance à l’intelligence collective, à la nuance, au cadre, à la lenteur parfois.
C’est rare. Et précieux.
Je dirais aussi :
La liberté s’arrête là où celle des autres est blessée
Ce n’est pas une limite.
C’est la condition même pour qu’elle existe.
À cela s’ajoute une autre dérive contemporaine :
la tentation du sensationnel comme mode de relation au monde.
Le choc remplace l’argument, l’émotion remplace la pensée, la viralité remplace la vérité.
Dans cette logique, le mensonge n’est même plus un accident : il devient un outil performant.
Plus il clive, plus il circule. Plus il simplifie, plus il rassure.
Cette économie de l’attention pousse presque mécaniquement, surtout en l’absence d’éthique, à accepter le faux, dès lors qu’il “fonctionne”.
Elle épouse parfaitement une certaine vision de l’individualisme :
un individualisme sans limite, sans responsabilité, où l’expression de soi devient une fin en soi, même lorsqu’elle écrase, humilie ou désagrège le commun.
Pourtant, il existe un autre individualisme.
Un individualisme éthique, conscient de son impact, capable de se limiter, y compris dans l’accumulation des richesses, du pouvoir ou de la parole.
Un individualisme humaniste, qui ne confond pas liberté et prédation.
À l’inverse, l’individualisme radical, égoïste, hors-sol, nie l’empathie, accepte le sacrifice des autres comme dommage collatéral, et transforme le monde en terrain d’expérimentation pour quelques-uns.
Ce n’est pas une vision de la liberté.
C’est une désertion morale.