Monsieur le Ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports,
Vous ne vous êtes pas grandi en accusant l’université d’être « ravagée par l’islamo-gauchisme ». Vous qui avais été, il y a certes longtemps, universitaire devriez savoir que s’il y a ravage, il a plus à voir avec une politique que des gouvernements inconséquents, dont le vôtre, ont menée, depuis bien longtemps. La même que celle qui a fini par mettre l’hôpital à genoux en dépit des alertes inlassables des soignants eux-mêmes sur les dégâts d’un management abscons masquant mal une forme d’abandon public. L’université, M. le Ministre, souffre du même mal, un management à courte vue, un sous-financement chronique et un manque d’intérêt des élites qui ont fréquenté les « grandes écoles » et s’empressent d’y envoyer leurs propres enfants. Le scandale est là et ce n’est pas les promesses tronquées de la nouvelle loi de programmation qui y changeront quelque chose.
Alors l’« islamo-gauchisme » maintenant. Passe encore qu’un ministre prétendument républicain reprenne une antienne de l’extrême droite, nous sommes habitués même si ce sont plutôt des ministres de l’Intérieur que de l’Éducation… Mais sur le fond, si vous avez, il fut un temps, apprécié l’œuvre d’Edgar Morin et sa pensée complexe, ce temps semble bien révolu, à moins que, ce qui est possible, vous n’y ayez rien compris. Car voyez-vous, M. le Ministre, je crains que ce que vous voulez désigner par ce terme grossier et si peu analytique d’ « islamo-gauchisme » concerne aussi l’auteur de La Méthode et sa conception de la connaissance.
Pour ma part, fidèle lecteur du même, je vois dans vos propos, non pas du courage que certains vous attribuent trop facilement, mais le contraire. Vous procédez par amalgames, simplismes et facilités là où l’explication scientifique requiert travail, rigueur et souci de la complexité. Plus justement, je crois que votre inspirateur est quelqu’un d’autre dont la puissance de la pensée et l’éthique n’atteignent pas celles du précédent. Il fut un homme politique français de premier plan avant de connaître un exil moins glorieux à Barcelone. Ne voyez-vous pas ? Je veux parler de Manuel Valls bien sûr. Celui-là même qui affirmait, le menton volontaire et la vue basse, qu’« expliquer c’est justifier ».
Allons bon ! Nous voilà bien au comble d’une grande confusion que je retrouve chez vous.
Dira-t-on qu’un oncologue plébiscite le cancer ?
Qu’un volcanologue soutient les coulées de lave meurtrières?
Qu’un météorologue promeut les inondations dans l’arrière-pays niçois ?
Qu’un historien de la Révolution française est un adepte de la guillotine ?
Enfin, qu’une sociologie des banlieues met un couteau dans les mains abjectes d’un terroriste ?
Vous rendez-vous compte, M. le Ministre ? C’est tout simplement la science que vous condamnez avec vos propos et, cela ne manque pas de sel, vous le faites au nom de la défense de la liberté d’expression ! Plus gravement encore, me permettrais-je de vous rappeler, M. le Ministre, que les titulaires du pouvoir doivent assumer leurs responsabilités et, parmi celles-ci, celle de la sûreté publique ? Alors, accusez les autres qui n’en peuvent mais, comme les universitaires, n’est-ce pas un peu facile ? Certains pourraient y voir une forme de diversion.
Pourrais-je vous exhorter, M. le Ministre, à rester dans l’étroit périmètre des calculs politiciens et à cesser d’y mêler l’université ? Elle a tant à faire avec si peu. Et, parmi ses missions, il en est une à laquelle elle ne pourra jamais renoncer sans disparaître : produire de la connaissance. De la connaissance, M. le Ministre.
Pascal Roggero, professeur des universités.