Le 24 janvier dernier, Nicolas Sarkozy détaillait les objectifs de la France, qui a pris la présidence tournante du G20 à la fin de l'année 2010 pour un an.Ce discours illustre la position inconfortable d'un président qui, après avoir longtemps claironné ses ambitions - "moraliser le capitalisme", "réformer le système monétaire international", ramener la sphère financière sous le contrôle d'un Etat protecteur...- a pris conscience, s'il ne veut pas encore l'avouer, de la démesure de ces objectifs fixés dans la précipitation au regard de l'influence et de la place qu'occupe la France sur la scène internationale."La réforme du système monétaire international" : objectif numéro un.Nicolas Sarkozy n'a cessé de répéter, au cours des mois écoulés, qu'il allait réformer le système monétaire international. Objectif vague et ambitieux, qui lui a permis à peu de frais d'afficher son volontarisme, et de se positionner sur la scène internationale comme le pourfendeur du capitalisme financiarisé, bousculant les idées reçues et refusant le statu quo - dont on sait qu'il a généré la crise mondiale dont nous ne cessons de payer le prix économique et social.Mais la démesure de ces ambitions ne fait que témoigner de son impréparation, de sa méconnaissance de l'histoire monétaire internationale, et de sa promptitude à se saisir de sujets dès lors qu'ils sont jugés "populaires", quelle que soit leur complexité. Or, après les grands discours, une fois venu le temps de l'action, de la consultation des experts, de la confrontation des points de vues de pays qui ont un poids économique et politique beaucoup plus important que la France au sein du G20, Nicolas Sarkozy a été ramené à une réalité bien différente de celle qu'il avait envisagé. Car la réalité, c'est qu'une réforme de grande ampleur du système monétaire international a très peu de chances d'aboutir, au moins au cours de la présidence française du G20, d'autant plus qu'elle ne bénéficie pas nécessairement du soutien des principaux pays émergents et des Etats Unis - dont on sait qu'ils ont tout intérêt au maintient du statu quo, au moins à court terme.Au delà des obstacles diplomatiques, économiques et politiques à la réforme du système monétaire international, l'histoire monétaire de ces deux derniers siècles montre à quel point un tel projet est soumis à des contingences sur lesquelles la volonté politique n'a qu'un contrôle très limité. Le passage de la dominance de la livre Sterling à celle du Dollar au début du 20e siècle, ou encore l'abandon du changes fixes de Bretton Woods dans les années 1970, ont relevé davantage de l'accident historique que de la décision politique pure. Si un tel objectif est hors de portée, pourquoi ne pas l'abandonner pour se concentrer sur des projets plus réalistes, et avouer clairement qu'une telle réforme nécessite un travail de long cours qui a peu de chances d'aboutir rapidement, et ce même s'il obtient l'appuis des Etats Unis et de grands pays émergents tels que la Chine, le Brésil ou l'Inde?C'est un virage que le chef de l'Etat a semblé prudemment amorcer le 24 janvier, sans vouloir pour autant donner l'impression d'abaisser ses ambitions. Pour autant, au delà du ton excessivement modeste adopté dans son discours du 24 janvier, aucun revirement officiel et clair n'a été annoncé: la France va réformer le système monétaire international.Une telle attitude, si on exclut l'erreur politique pure et simple (ou l'excès d'orgueil amenant le chef de l'Etat à refuser d'avouer son erreur), est difficile à comprendre. L'engagement de la France à réformer le système monétaire international, et la dépenses d'énergie qu'il nécessite, relèvent probablement du mauvais calcul politique, d'autant plus étonnant qu'on sait que, même en cas de "victoire" de la France sur ce dossier, les dividendes politiques que Nicolas Sarkozy pourrait en tirer en vue de la présidentielle de 2012 seraient probablement très limités. En effet, les questions monétaires internationales sont beaucoup trop techniques et "éloignées des préoccupations quotidiennes des français" pour susciter un intérêt important dans l'opinion publique."La consolidation du socle de protection sociale"La réforme du système monétaire international vient au premier rang des ambitions françaises pour le G20, place qui, comme nous l'avons montré, est difficilement justifiable au regard de la réalité du contexte politique et économique international. A l'opposé, on peut déplorer que certains objectifs qui, s'ils ne sont pas moins ambitieux, semblent être à notre portée, n'aient pas reçu toute l'attention médiatique et le soutien politique qu'ils mériteraient. C'est le cas de l'initiative de socle de protection sociale universel.Quelques mots dans un discours ("la consolidation du socle de protection sociale"), voilà à quoi se résume une initiative d'importance capitale et dont les conséquences économiques et sociales pourraient être immenses, pour peu qu'elle bénéficie d'un soutien politique fort. Or, cette initiative devrait intéresser nos responsables politiques. En effet, elle est directement liée à l'héritage institutionnel et politique français, héritage que la planète entière nous envie, puisqu'il s'agit de promouvoir un socle universel de protection sociale. Pour autant, durant les quelques secondes qu'il a consacré au sujet dans son discours, le Président n'a pas témoigné d'un intérêt très vif pour le sujet. Un manque d'enthousiasme regrettable, venant de la part du chef d'un Etat qui figure parmi les pionniers dans le domaine de la protection sociale, et dont le système de protection sociale reste l'un des plus aboutis et généreux au monde.Mais on est en droit de se demander si une telle attitude est anormale, lorsque l'on constate que la politique menée en France tend davantage vers le démantèlement progressif du système de protection sociale - retraites, diminution des remboursements pour certains médicaments, réformes limitant l'accès à l'AME...- que vers un renforcement d'un système auquel les français sont profondément attachés.Or, l'initiative pour un socle universel de protection sociale répond à des enjeux majeurs: face à des risques biens connus mais imprévisibles, des catastrophes climatiques aux crises économiques, des pandémies globales à l'extrême volatilité des prix des denrées alimentaires ou des carburants, nous mesurons chaque jour notre vulnérabilité. La protection sociale, parce qu'elle permet à chacun de faire face aux risques de la vie - maladie, chômage, invalidité... - est un des principaux moyens à notre disposition pour limiter les conséquences sociales et économiques des risques auxquels nous sommes quotidiennement confrontés. Rappelons que si nous n'avions pas eu de mécanisme de protection sociale pour jouer une rôle de stabilisateur durant la crise économique que nous venons de traverser, ses conséquences économiques et sociales auraient été beaucoup plus graves.De plus, nous ne soulignons pas assez que l'objectif de construction d'un socle de protection sociale universel n'est pas hors de portée: nous disposons des moyens techniques et financiers pour l'atteindre, seule manque la volonté politique. En effet, les études ont montré que l'immense majorité des pays, y compris les plus pauvres, disposaient des ressources nécessaires pour construire un socle de protection sociale (par exemple, en Afrique, cela nécessiterait de mobiliser entre 2 et 5% du PIB). Aujourd'hui, si 80% de la population mondiale ne dispose pas d'une protection sociale de base, c'est largement en raison d'un défaut de volonté de la part de nombreux dirigeants politiques. De très nombreux pays, en Afrique, en Asie, ou encore en Amérique Latine, ont déjà fait des progrès formidables en créant des programmes permettant d'assurer aux plus démunis un ensemble de services et de transferts (monétaires ou en nature) essentiels. Par exemple, le programme Brésilien Bolsa Familia permet à 5 millions de foyers (26% de la population) de bénéficier d'un soutien au revenu, tout en favorisant la scolarisation des enfants et l'accès aux soins médicaux essentiels, et ce pour un coût relativement modeste (0,4% du PIB).Cette initiative est déjà forte du soutien de l'ensemble des institutions internationales onusiennes, de nombreux pays en Afrique, en Asie, ou en Amérique Latine, d'organisations non gouvernementales (Helpage International, Save the children...), et, fait remarquable, du Fonds Monétaire International - dont on se souvient qu'il a très souvent été critiqué par le passé pour son mépris des questions sociales. Nul doute qu'une telle initiative mériterait un soutien politique fort de la France, au même titre sinon plus que d'autres objectifs (comme la réforme du système monétaire international ou la régulation des marchés des matières premières).A l'heure où, les évènements récents en attestent, la parole de la France dans le monde semble dévalorisée, où les valeurs portées par notre pays, dont l'accès universel à la protection sociale est un symbole fort, se portent mal, il paraît indispensable que les représentants français s'engagent en faveur de projets politiques forts. Un soutien à l'initiative de socle universel de protection sociale semble à ce titre essentiel.
Billet de blog 5 mars 2011
A quoi sert le G20 ? Lorsque notre diplomatie est disqualifiée
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