Jeudi 22 septembre, les grandes lignes du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 ont été dévoilées par Xavier Bertrand. Le débat qui va s'ouvrir intervient dans un contexte particulièrement difficile, alors que la semaine dernière, nous apprenions que le déficit de la sécurité sociale avait atteint un niveau jusqu'ici inégalé : 30 milliards. Nul doute que ce projet fera la part belle à la priorité que constitue la maîtrise des dépenses de santé.
La dégradation de l'état de notre système de santé au cours des dernières années appelle des mesures allant bien au-delà de la gestion pure et simple des déficits. Mais si l'on ne parle que de questions financières, le bilan de dix ans de gestion de la sécurité sociale par la droite est bien triste : l'équivalent du budget d'une année entière aura été consacré seulement au remboursement des intérêts de la dette ! La Cour des Comptes a rappelé que la Caisse d'Amortissement de la Dette Sociale ne pouvait pas absorber plus de 11 milliards de déficit social par an. Nous sommes actuellement au-delà de ce seuil et les déficits alimentent donc une dette qui s'élevait en 2010 à plus de 130 milliards. En laissant la situation se dégrader lentement, le gouvernement fait avant tout le jeu des organismes privés, au détriment des plus démunis qui peinent déjà souvent à trouver le moyen de se faire soigner.
Des mesures visant à baisser le prix des produits de santé, des initiatives visant à baisser le taux de remboursement des produits à service médical rendu insuffisant, ou à taxer davantage le chiffre d'affaire des laboratoires pharmaceutiques, ne permettraient qu'une réduction temporaire des déficits de l'assurance maladie. Avec son plan de financement de la sécurité sociale, le gouvernement ne s'attaque pas aux tendances de fond qui expliquent l'augmentation continue de nos dépenses de santé, et ne parviendra pas non plus à résoudre les multiples problèmes qui rongent notre système de santé depuis plusieurs années. Pire : la réduction de l'ONDAM (Objectif national des dépenses d'assurance-maladie), ou la limitation des déficits hospitaliers, risqueraient de contribuer à la dégradation de notre système de soins, car ces mesures gestionnaires s'appliquent de manière aveugle, sans tenir compte des situations dramatiques que certains établissements, certains assurés, et certains territoires connaissent aujourd'hui.
Nous ne pourrons pas résoudre les problèmes de notre système de soin, qui vont bien au-delà du dérapage des déficits, sans donner un cap clair et nouveau à nos politiques de santé publique. Le contrôle des dépenses et l'équilibre des comptes n'est qu'une composante de l'équation. La gestion purement comptable ne doit pas occulter la forêt des crises que notre système de santé traverse : crise de vocation des médecins généralistes, vieillissement de la population, déserts médicaux, augmentation du reste à charge pour les patients... Une politique de santé globale et cohérente est plus que jamais nécessaire, il en va de la survie d'un des piliers de notre système de protection sociale !
Pour résorber durablement le déficit structurel de la sécurité sociale, il existe trois leviers d'action, qu'il faut activer simultanément, tout en introduisant davantage de démocratie dans la gestion même du système de protection sociale. D'abord, mener une politique active de l'emploi. Ensuite, avoir le courage de dire aux Français que les recettes devront être augmentées. Il faudra donc de nouveaux prélèvements : une réforme de l'assiette fiscale des prélèvements sociaux doit être engagée. Enfin, il faut mener une politique cohérente et efficace de prévention des risques. Seuls 7% des dépenses de santé lui sont aujourd'hui consacrés. C'est bien trop peu. Aucune des mesures proposées par le gouvernement ne s'engage dans cette voie.
Une politique de l'emploi, car les taux de chômage élevés que nous connaissons ne sont pas uniquement dus à la crise, et se sont installés depuis de trop nombreuses années comme caractéristique structurelle du marché du travail français, pesant sur l'ensemble des recettes et des dépenses sociales. La logique d'activation des dépenses sociales, d'incitation et d'accompagnement des chômeurs vers l'emploi, le fait de permettre aux individus de s'adapter aux évolutions de notre économie dans un contexte de mondialisation, notamment par la formation continue tout au long de la vie... L'ensemble des politiques publiques de l'emploi ne sont pas suffisamment mobilisées.
Une réflexion sur l'assiette fiscale sur laquelle reposent les prélèvements sociaux est également nécessaire. Chacun reconnaît l'incohérence d'un système de financement qui pèse sur le travail de manière disproportionnée, au détriment de la compétitivité de notre pays, alors que dans le même temps les entreprises et activités à forte valeur ajoutée ne sont pas suffisamment taxées. Le débat sur une taxe sociale sur les produits ne respectant par un certain nombre de normes écologiques et sociales doit également être ouvert. Le projet adopté par le Parti socialiste contient à ce titre une avancée majeure. Les cotisations sociales reposeraient désormais sur une assiette intégrant la valeur ajoutée globale des entreprises. Cela permettrait de rééquilibrer la part de financement de la sécurité sociale relative des TPE, des PMI et PMA, des entreprises à très fort niveau de charges salariales, et des entreprises plus "capitalistiques". Au-delà du financement de la protection sociale à proprement parler et des économies qu'elle permettrait de réaliser, une telle réforme, combinée à la fin des exonérations sur les heures supplémentaires dans les très grandes entreprises et leurs filiales et sur les très bas salaires, constituerait une avancée majeure pour réduire la pression sur les plus petites entreprises. Il s'agirait également d'une revalorisation nécessaire et conséquente de la valeur travail.
Enfin, une véritable politique publique de prévention des risques est nécessaire dans notre pays, pour réduire les dépenses sociales de manière durable et efficace. Aujourd'hui, nous ne consacrons que 7% de nos dépenses de santé aux politiques de prévention, alors que les actions de prévention sont efficaces et peuvent entraîner des économies substantielles à moyen et long terme. Qu'il s'agisse de la prévention et du traitement des facteurs de risques les plus courants comme l'hypertension artérielle, de politiques de dépistage systématique pour certains cancers ou maladies, de la lutte contre le tabagisme ou l'alcoolisme, de l'éducation au "bien manger"... Notre pays est très en retard sur l'ensemble des dispositifs de prévention qui devraient être déployés.
Cette politique de prévention doit être engagée dès que possible et toucher les citoyens tout au long de leur vie. L'arsenal de prévention doit ainsi s'adresser à chacun, dès le plus jeune âge, à l'école, de même que dans les entreprises, avec une médecine publique du travail performante et accessible à tous, et pour les plus âgés, avec des diagnostics systématiques et précoces. Tout au long de la vie, des programmes de nutrition, visant à sensibiliser et éduquer chacun aux vertus du "bien manger", et à rendre les produits sains accessibles même aux plus modestes, doivent être lancés. Ils doivent permettre d'enrayer l'augmentation des maladies liées à l'obésité, au diabète, aux maladies cardio-vasculaires et plus généralement attribuables à la malnutrition. Enfin, n'oublions pas que la première des politiques de prévention relève de la lutte contre la pauvreté, l'exclusion et les inégalités. De nombreuses études ont montré que les sociétés où les inégalités étaient fortes, où la pauvreté était marquée, avaient un niveau de "bien être" (mesuré à l'aune d'un grand nombre d'indicateurs sociaux) inférieur aux sociétés plus égalitaires.
La manière dont les politiques de santé sont élaborées et débattues, et la place faite à la société civile dans la gestion et le contrôle de notre système de santé doivent être profondément modifiés. En donnant à un Conseil économique et social renforcé et renouvelé, des compétences en matière d'orientation et de vote des budgets de la sécurité sociale, nous donnerons aux grands choix de société - qu'appellent les problèmes de nos systèmes de retraites et de santé - une réelle légitimité démocratique.
Le gouvernement affiche l'objectif de diviser par deux le déficit de l'assurance maladie d'ici 2012. Dans l'hypothèse très optimiste d'une croissance de 1,75% de notre économie, il prévoit une baisse du déficit du régime général de la sécurité sociale, qui serait ramené à 13,9 milliards en 2012. C'est même là un des arguments de campagne de la majorité pour la prochaine présidentielle. Mais ne nous y trompons pas, si les trois leviers d'action politique que j'ai cités ne sont pas actionnés rapidement, de manière cohérente, coordonnée et surtout démocratique, il nous sera impossible de contrôler l'explosion des dépenses sociales et le dérapage des comptes sociaux. Nul doute qu'il faudra du courage et de la détermination au prochain Président de la République pour faire les choix difficiles qui s'imposent. Mais repousser l'heure des réformes radicales n'est désormais plus une option : il en va de la survie de notre système de sécurité sociale.