Du rapport de l’IGF que Médiapart a porté à notre connaissance, j’ai ici conservé les passages concernant les pharmaciens d’officine. Pharmacien, je me permettrai de partager mes notes de lecture de ces extraits. Il me semble que pour chacune des 36 autres professions ciblées, des critiques semblables pourraient être faites sur le fond (et notamment sur la méthode de ce rapport), mais je préfère parler de ce que je connais. Les acteurs concernés s’occuperont du reste !
Afin de pouvoir visualiser les extraits du rapport publié par Médiapart, et les tableaux et citations intégrés dans mes notes de lecture, utiliser le téléchargement du fichier joint.
Afin de mieux informer le lecteur sur mon point de vue, je précise que je suis titulaire du diplôme de docteur d’état en pharmacie depuis 1982, que j’ai travaillé (mise au point, production, assurance qualité, pharmacien responsable délégué) dans un laboratoire de fabrication pendant 11 ans (ex-premier laboratoire privée français maintenant propriété d’une multinationale), et que je suis titulaire depuis 1991 d’une petite officine dans un quartier pauvre de la banlieue lyonnaise, longtemps classé ZRU (zone de redynamisation urbaine). J’ai aussi été maître de conférence à mi-temps ces 8 dernières années, chargée de cours pour enseigner la « pratique officinale » aux étudiants de 4, 5 et 6ème année de la faculté de pharmacie de Lyon.
Lisons maintenant ce rapport :
Le préambule souligne l’angle de vue de la « mission » : En évoquant une justification économique de la réglementation, elle souligne d’entrée que les motivations sociales, humanistes, politiques, des réglementations visées par son propos dans des domaines aussi sensibles que la santé ou la justice ne la préoccupent pas. Le citoyen et l’individu n’intéresse la mission que comme consommateur et l’ activité « santé publique » n’est observé que du point de vue de sa rentabilité économique et financière immédiate.
Le principe libéral est affirmé d’entrée: un assouplissement à défaut d’un laisser faire libéral sera forcément une avancée « profitable ». Il sous tend la démarche qui se doit dès lors de justifier la déréglementation sans s’attarder sur l’intérêt précis de ces règles ou sur la possibilités de les aménager dans un autre sens.
Une remarque sur l’une des contraintes justifiant une réglementation : le « manque d’expertise du public ». Ce manque d’expertise ne sera jamais mesuré dans cette étude. Mon expérience de vie dans un quartier défavorisé m’a convaincu de la persistance des « croyances » dans le domaine de la santé, de l’insuffisance d’éducation d’une large partie du public, livré sans défense critique aux « réclames » de l’industrie pharmaceutique au « vu à la télé ! ». Je ne doute pas que les rédacteurs du rapport ont les relations nécessaires pour trouver un ami médecin, spécialiste, pharmacien, qui saura les renseigner, mais ce n’est pas le cas de la majorité des citoyens…
L’intérêt économique est ainsi évoqué au sujet d’un principe de liberté d’installation sans s’attarder sur le bénéficiaire de ce choix ni sur le pourquoi de la primauté donner à cet intérêt économique sut tout autre.
Ce principe ne va pas de soi, n’en déplaise à une « mission » qui semble voir là une évidence.
Souvent ce rapport remplace toutes analyses scientifiques et autres études de situation par l’affirmation d’« évidences » extraites d’un catéchisme libéral, et par des « enquêtes » d’opinions.
De ces dernières, sensées mesurer le « ressenti » (ou les préjugés) de « sondés », nous ne connaissons rien du panel ni des questionnaires et on est tenté de voir là un avis relevant de la conversation de bistrot. On reste sidéré de voir une « mission » de « spécialistes » y trouver arguments pour soutenir son point de vue.
La conclusion qui semble s’imposer est que cet avis relève des mêmes préjugés, de la même vision à courte vue !
La méthode d’estimation des revenus est présentée comme sure et définitive. Il faut cependant noter qu’un certain nombre de professionnel, dont toute une génération de pharmaciens d’officine exerce en nom propre. Cela signifie que le capital du prêt contracté pour l’acquisition de leur outil de travail (dont la loi les oblige à acquérir la propriété !) est remboursé avec le revenu déclaré à l’impôt.
On peut juger que cette partie est bien à comptabiliser dans le revenu mais il est juste de noter que bien qu’imposé, elle ne participe pas au « train de vie » du professionnel et qu’elle est soumis à un risque liée à l’activité économique.
Ainsi la génération des pharmaciens qui a acquis une pharmacie dans les années 1990 à 1995, devait subir un marché ou les offres étaient à 110, 120, 140% du CA TTC de la structure. Actuellement les mêmes officines se négocient entre 70 et 90 % de CA TTC pour les CA élevé, mais trouvent difficilement preneur à 50 ou 40 % du CA TTC quand celui-ci est compris entre 700 000 € et 1 million d’euros. Pour les petites officines dont le CA est entre 500 000 et 700 000 € TTC, la difficulté est encore plus grande pour trouver un acquéreur même à 40% du CA et nombre de licence de ces petites officines de proximité sont reprises pour 50 ou 100 000 € ou doivent espérer que des collègues proches feront l’effort d’un rachat pour regroupement plutôt que d’attendre la défaillance du titulaire.
Pour ces pharmaciens, le revenu déclaré sur lequel ils payent l’impôt n’existera jamais puisque l’outil remboursé avec ce revenu ne se vendra pas ou bien la vente se fera pour une valeur bien inférieure au total du capital remboursé.
C’est la loi du marché diront nos « missionnaires » du libéralisme chargés du présent rapport! Peut-être, mais souvent ces officines dont la valorisation s’est effondrée sont implantées dans des quartiers pauvres (pudiquement appelés quartiers « difficiles ») ou des villages isolés qui ont un grand besoin de ce service de santé. Leur chiffre d’affaire a stagné ou baissé pour des raisons diverses mais souvent liées au service rendu: baisse des prix des médicaments remboursables, contribution à la généralisation de la substitution par des médicaments génériques, zones touchées par la désertification médicale ou la paupérisation d’une population qui doit renoncer aux soins non remboursés, ventes parapharmaceutiques quasi-inexistantes… alors même que contrairement aux autres commerces et aux médecins, le titulaire n’avait aucun moyen de choisir une zone de clientèle plus dense et plus aisée ! En effet un transfert aurait été refusé au motif pertinent d’abandon de clientèle. (ou patientèle)
En fait les acteurs qui ont profité de la soit disant « rente de situation » liés à la réglementation sont les banquiers plus que les officinaux.
Compte tenu des restructurations, du maintien de taux élevés et de frais d’agios ou d’opérations sur solde négatif en progression, les banques dégagent une confortable marge sans risque excessif.
A ce propos, une fixation par la loi des frais bancaires amènerait aisément une amélioration du pouvoir d’achat des particuliers modestes et des entreprises en difficulté de trésorerie. En effet, on observe des progressions annuelles de plus de 40% de ces frais sans motif réel ni sérieux compte tenu de l’informatisation des suivis de comptes. Il semble cependant qu’une telle option échappe aux économistes si soucieux de « rendre du pouvoir d’achat aux français ». Ils se sont missionnés pour donner des conseils de déréglementations, et ils se sont peut-être persuadés qu’un chômeur, un étudiant, un smicard, un entrepreneur en difficulté sont en situation de négocier et de « faire jouer le marché et la concurrence » face à leur banquier ! Ces gens-là doivent être des naïfs si ils ne sont pas complices de ces hold-up quotidiens.
(NB : pour les opérations sur solde négatif, le crédit Mutuel par exemple, augmente au 1er juillet le tarif de 5,40€ à 8,00€, soit 48,15%)
Là encore, la commission utilise l’amalgame et un résultat moyen de 37 professions très diverses pour justifier ses assertions. Pourtant que dit le COFACE (leader mondial de l’assurance-crédit) dans son rapport de l’hiver 2012 – 2013 sur les défaillance d’entreprise :
« La chimie est un secteur marqué par le redressement judiciaire de Petroplus, qui a fait exploser les coûts associés (+337,5%), et par une augmentation du nombre de défaillances (+6,3%). Cette hausse concerne plus spécifiquement le commerce de gros et de détail de parfumerie ainsi que, phénomène nouveau, les pharmacies (55% des défaillances du secteur). »
En avril 2014, un article de « La Tribune » précise la situation : « Les activités de santé sont-elles épargnées. Si les volumes de défaillances restent faibles, les RJLJ (Redressement /Liquidation judiciaire) augmentent de 15 % dans les pharmacies, 18 % dans l'optique et 12 % dans la santé humaine. »
Et ce phénomène n’est pas nouveau, lié à la crise, il était déjà relevé dans un bilan du « Pharmacien de France » pour l’année 2009 : « En particulier sur le nombre de défaillances de pharmacies. Pour mémoire, « une entreprise est en situation de défaillance ou de dépôt de bilan à partir du moment où une procédure de redressement judiciaire est ouverte à son encontre », rappelle l’Institut national de la statistique et des études économiques. Les rapports de la Coface sont formels sur ce point, les officines font face à une explosion des défaillances depuis deux ans. L’organisme d’assurance pointe 154 événements de ce type en mars 2010 et même 174 en août, en explosion de 31,8 % par rapport à la même période, deux ans auparavant. »
Enfin, début septembre 2014, le quotidien du pharmacien publie un article sur les résultats de 3013 selon FIDUCIAL. En voici 3 extraits :
Au vu de ces quelques extraits, on est en droit de s’interroger sue l’honnêteté et la qualité du travail de la commission de l’IGF.
Continuons la lecture :
La méthode est étonnante, pour un scientifique, elle paraît même spécieuse. Que puis-je pour ma part imaginer de la rémunération moyenne d’un haut fonctionnaire, d’un économiste ? Vais-je la majorer parce que je les imagine très privilégiés ou la minorer pour dire que l’on paye trop ceux qui ont multiplié les erreurs ces 20 dernières années ? Dois-je y inclure les frais, les droits d’auteurs comme ceux que M. ATTALI a obtenu sur la publication par la bibliothèque nationale des propositions de la commission demandée par M. Sarkozy ? Enfin, Enfin, pour un smicard: 4000 Euros c'est un salaire exagéré et pour un député, c'est un demi salaire!
Personnellement, j’ai tendance à voir dans ce procédé du « grand n’importe-quoi » !
Que cherche-t-on a prouver par de pareils sondages ?
Voilà! Le dogme libéral est affirmé on ne peut plus clairement. A partir de ce catéchisme, il ne reste plus qu’à affirmer les obligations et préceptes que devront suivre les fidèles. Ceux qui ne les suivront pas seront excommuniés !
Une enquête globale dit le rapport. On reste donc dans le général, et pour estimer ce global il est convenu non pas de faire une étude de ce qui existe, une comparaison entre nations, une mesure scientifique des résultats dans divers contextes sur des critères bien choisis, mais de « sonder » la satisfaction des utilisateurs.
Le panel, les termes du sondage, le détail des résultats n’est bien sur pas fourni ni critiqu2 : aucun biais sans doute, aucune pondération à apporter.
Les professions médicales s’en tirent cependant avec avantage.
Pourtant, il aurait été préférable de mesurer les résultats sur des données de santé objectives et de faire des comparaisons entre différentes organisations des systèmes de santé des pays développés.
(Fin de la première partie pour les notes de lecture : La suite au prochain numéro !)
74 pages notes, tableaux et signatures incluses pour 37 professions !