Mes chers compatriotes,
Après mon discours hier soir je voulais vite rentrer à la maison pour voir les deux nouveaux épisodes du Bureau des Légendes. j’étais surement trop pressé. Toujours est-il que je me suis cogné le front contre quelqu’un ou quelque chose, je ne sais plus…
Quelle puissance cet Amalric ! Il fait peur. Lui aussi entend des voix, comme moi après tous les discours sur la guerre qui m’ont été racontés pour que je m’en inspire. Il est très fort mais je sens les tourments qui l’agitent. A un tel poste de responsabilités cela peut devenir dangereux. Il pourrait faire n’importe quoi : trahir, se prendre vraiment au sérieux, croire qu’il est quelqu’un d’autre..
J’avais un faible pour Daroussin, le chef auparavant, incroyablement crédible malgré ses cravates si improbables. Moi quand j’ai voulu un peu de fantaisie dans ma tenue, mon entourage immédiat m’a tout de suite dissuadé : quand on a la charge du pays faut faire invisible dans ce domaine. Pourtant le costume ça compte, non?
Et Kassovitz ! Le héros mal rasé, poivre et sel devenu barbu et plein de cicatrices. Moi je n’ai eu que l’appendicite. Je m’inspire de sa gravité dans le dernier discours ; je dis « un peu » et « pas tout » pour garantir le suspense mais je n’arrive pas à me taire comme lui. C’est mon drame, j’en fais parfois trop.
J’ai fait politique mais c’est acteur que je préfère, vous l’avez compris.
Ce qui est compliqué c’est de trouver de bons textes contemporains.
Hier j’ai joué : la date, « le 11 mai » j’ai tenu plus de dix minutes rien qu’avec ça.
Je l’ai répétée à intervalles réguliers, changeant ma respiration, marquant un arrêt entre le nombre et le mot, puis plus vite, plus spontanée, plus punchi.
Le reste c’est l’habillage, du talent certes - et on me le dit depuis le lycée, je n’en manque pas - mais du remplissage avant tout. C’est un sacré boulot ; des larmes et de la sueur malgré les conseils.
« Tu es Louis XVI abolissant les privilèges la nuit du 4 août ».
« Tu remercies et surtout tu n’oublies personne parmi tous ceux dont on ne parle jamais habituellement, les gens de peu, les gens de rien, les misérables quoi »
« Tu penses à De Funès quand il flatte un partenaire. Les français , génération après génération, l’adorent ».
J’avoue que l’unité, la solidarité, le collectif, j’ai du mal. J’y crois moyen. Normal, je n’ai pas l’habitude.
En revanche la culpabilité, la révélation … Là, l’éducation chrétienne aide, inspire. Une conviction ça ne tient jamais que dans la tonalité, l’obscure clarté d’un regard fixe. Tu joues du sourcil, un léger rictus, les mains qui s’élèvent légèrement puis se joignent discrètement.
Je continue à apprendre, c’est ma force, mon combat.
Je rêve d’Avignon : seul dans la cour du palais des papes, face à la foule. Un monologue. Après Oedipe Roi, Hamlet et les autres… Moi.
Une auto-fiction inspirée de mon parcours.
J’ai un canevas, une idée centrale : je suis l’homme sans surmoi qui soudain se relève après une chute, une bosse sur le front. Il a dissout l’assemblée nationale, démissionné de la présidence, anonyme parmi les anonymes, il tente une reconstruction.
En attendant restez chez vous… Je m’occupe de tout jusqu’au 11mai..