LAÏCITÉ DE QUOI EST-ELLE LE NOM ?
Tout commence avec l’article 1 de la constitution française de 1958 qui pose que la République est laïque. Tous les règlements intérieurs des établissements publics d’enseignement le rappelaient aussi dans leur article premier. Ces règlements indiquaient également des prescriptions diverses dont le plus souvent la recommandation de n’être « ni indécent ni ostentatoire ».
Dans les années 1980, un trouble a vu le jour pour certains chefs d’établissements qui se sont retrouvés en difficultés avec des élèves et des collègues qui au regard du respect des cultes lui aussi constitutionnel ne voyaient pas d’inconvénient à ce que de jeunes élèves portent un voile.
Je me souviens très nettement des discussions homériques sur ce sujet dans les salles des professeurs. Les syndicats en particulier des chefs d’établissements étaient partagés, minés entre la volonté de dialogue et le refus de celui-ci. Dès lors tout a dérapé lentement, inexorablement jusqu’à la saisine du Conseil d’État puis la loi de 2004 !
Les principaux ou les proviseurs qui usaient de leur autorité pour persuader les élèves ou les familles et tenir sur ce principe qu’est la laïcité devinrent d’autant plus rares que leurs conseils d’administration ne les soutenaient plus tant les salles des professeurs étaient divisées.
C’est là que les gouvernements ont failli de mon point de vue. Un principe est une idée régulatrice qui non seulement relève d’un sens commun voulu au moins comme régulateur, mais surtout comme source inaugurale d’autorité, une espérance commune tout autant. Il appartenait donc aux personnels d’autorité de l’exercer souverainement et d’être soutenus en chaîne au plus haut de l’État. Tel ne fût pas le cas malgré l’avis - dit libéral et mesuré cher à Aristide Briand et Ferdinand Buisson - du Conseil d’État. Avis qui de fait renvoyait à l’exercice d’une pleine responsabilité de l’autorité compétente.
Les gouvernements se sont de fait défaussés sur l’avis du Conseil d’État mais sans que celui-ci donne un cadre ferme pour les directeurs d’établissements. Il fallait assumer une responsabilité, réfléchir, dialoguer et arbitrer. Tenir aussi et supporter, ce qui est en soi l’acte essentiel de tout adulte, qu’il soit chercheur, enseignant ou éducateur. Mais il fallait alors s’affronter à toutes sortes d’adversités et de critiques en sorte, qu’au fil des pressions diverses, des errements et des conflits, on en vînt, au lieu de soutenir sans faille leur autorité, à promulguer la loi du 15 mars 2004, renforcée le 27 septembre 2024 par l’avis du Conseil d’État une fois encore sollicité par diverses associations et même le syndicat Sud éducation, sur le port de l’abaya.
Le recours à une application cadrée et stricte d’une loi est à mon avis le nom de la faillite d’une institution d’enseignement libre au sein d’une institution républicaine et démocratique. Elle empêche ou entrave un usage du conflit même si celui-ci se doit d’être respectueux ouvert et tolérant. Figer par la loi c’est renier la raison populaire dont la fonction est de contrôler le pouvoir. Je ne doute pas que les pressions voire des menaces de toutes part aient été fortes et que des tiraillements de toutes sortes aient occasionnés des situations délicates et des controverse chaotiques largement constatées dans les salles des professeurs. Mais il est certain que la paresse et la lâcheté ont fait que le corps social s’est massivement satisfait de ne plus avoir à assumer la difficulté qui consiste sans cesse à s’entretenir de ce qui doit être et en assumer la nécessité sous le contrôle du peuple.
Cette écrêtement des conflits par la judiciarisation est une faillite pour la pensée autant que pour l’action politique qui se nourrit de la pluralité et en l’espèce de l’existence des religions, de la foi, des croyances et de la spiritualité, même pour les contrecarrer.
La force conquise par de longues et douloureuses dissensions de la loi de 1905 et de sa violente mise en application réside dans cette pacification sociale tout à fait extraordinaire à l’époque entre des positions radicalement opposées. Pendant longtemps cette loi, dans doute pas avant 1914, mais disons avant 1940, et de 1944 à la fin des années 80, constituait ce qu’on pourrait appeler une frontière apaisée.
C’est la raison pour laquelle, de manière très minoritaire et peu suivie de mes contemporains, j’ai milité contre la commission Stasi et la loi du 15 mars 2004 qui marquait aussi pour moi la fin de la possibilité d’enseigner la philosophie. Si un cours de philosophie ne peut plus en effet, distinguer un principe mondain au point de lui substituer ce que d’aucuns bien plus tard nommeront les « valeurs de la République » en créant même des cellules spéciales d’intervenants c’est que la République était au seuil de sa déliquescence. Nous en observons dorénavant la faillite totale avec le mépris constant du parlementarisme et la confiscation de toute réflexion contradictoire et critique par un système médiatique intégralement phagocyté par un capitalisme d’opinion qui au mieux vend du spectacle et de faux débats permanents, tandis que les populations bannies et paupérisées sont vilipendées Tout cela au seul profit d’une oligarchie d’hyper possédants réactionnaires rétifs à toute politique de la ville et au partage des richesses.
Plus de presse libre, plus d’universités ni d’institutions scientifiques libres et la boucle est bouclée. Plus de démocratie fondée sur le commerce des idées et l’échange de vues de l’esprit orientés par la vie même des principes fondateurs. Des valeurs s’imposent en effet celles des dominants. Point.
On a pu constater et cela est parfaitement documenté dès la commission Stasi que le point névralgique s’est fixé - sans doute depuis les attaques du 11 septembre sur le symbole américain des tours jumelles de Manhattan - sur la place de la religion musulmane qui s’est trouvée en fin de compte stigmatisée.
Ce n’est évidemment pas sans conséquence sur des populations qui sont le plus souvent en situation de précarité, d’instabilité ou de pauvreté. Cela ne manque pas non plus d’avoir des conséquences sur les clivages idéologiques de plus en plus exacerbés de part et d’autre et ce d’autant plus que le Ministre fossoyeur Blanquer a fini lui même par désigner le mal bien commode de l’islamo-gauchisme dans le cadre d’un séminaire pour sorbonnagres !..
Les partis politiques sont dorénavant farouchement clivés par cette fracture qui oppose, disons le de façon caricaturale, les défenseurs des banlieues et les racistes avérés. De la sorte tout va bien pour le centre le plus indistinct, le plus servile et le plus mou servant les plats des pires spéculations et profits des puissances d’argent et des fascismes.
Si le peuple ose bouger il est mutilé et éborgné puis récupéré par un bonimenteur de foire maladivement inféodé au babillage vain mais qui enterre purement et simplement les cahiers de doléances. Le peuple est défait !
Pour couronner le tout, la loi pour contrôler l’immigration promulguée le 26 janvier 2024 est l’une des plus répressives de ces 40 dernières années. Le parcours législatif de cette loi est emblématique de la volonté obsessionnelle d’appréhender les migrations sous l’angle d’une prétendue menace pour nos sociétés, de réprimer les personnes étrangères, de jouer sur les peurs, au détriment des droits fondamentaux, de la réalité des mouvements migratoires, du respect de l’état de droit et de nos principes constitutionnels. Au-delà de l’examen parlementaire, c’est également le débat médiatique l’entourant qui s’est montré dramatique, distillant, y compris sur des médias de service public, son lot de propos anti- migration stigmatisants, caricaturaux, voire franchement haineux. Le texte initial présenté dès novembre 2022 par le gouvernement s’inscrivait dès le départ dans la lignée d’une frénésie législative sur ce sujet, avec plus de 20 lois en près de 40 ans, et dans cette « loi des séries » que l’on peut ainsi résumer : à chaque nouveau gouvernement son projet de loi sur l’immigration, et à chaque nouveau projet de loi des restrictions de droits supplémentaires pour les personnes étrangères.
C’est dans ce contexte que la dissolution de l’assemblée nationale par le Président de la République, la longue attente de la désignation du gouvernement Barnier et sa démission suite à un vote de défiance gauche et front national unis. Puis la nomination du premier Ministre Bayrou et son gouvernement flanqué de Vals et Retailleau n’arrange rien. La situation politique de la France est donc erratique et soumise aux à coups qui font que nulle source de légitimité ni donc d’autorité n’est avérée. Surtout pas celle du président de la République ! Sans parler de l’ex-président condamné pour corruption à de la prison ferme !...
Du coup, c’est le cas de le dire, la question de la laïcité n’est qu’un chiffon rouge car elle n’est que la résultante d’une lente et longue faillite de l’exercice de l’autorité doublée dorénavant par la déchéance de l’acte d’enseigner supplanté par l’intelligence générative qui fait que l’écrit est devenu improbable comme source de validation ou d’évaluation, emportant élèves et parents, professeurs et étudiants dans un maelström d’impuissance ou de turbulences. Elle sert surtout de repoussoir pour faire oublier l’absence de politique du logement, de l’emploi et de l’accueil et de la formation de la jeunesse dans des banlieues abandonnées à la débrouille et aux trafics.
Ce chaos sert un capitalisme de la catastrophe dorénavant sans mesure.
Avec l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis il n’est d’ailleurs plus question que de force ou de pouvoir. La vérité n’a plus cours, les vérités sont alternatives clouées à l’effectivité de la maitrise et de la domination ou même à la recherche de la suprématie !
Domination ou servitude, domination et servitude, alors que nous savons depuis le discours sur la condition des grands de Pascal que seule la reconnaissance est en mesure de fonder l’autorité.
Aussi bien du point de vue de la philosophie de l’esprit, celui-ci ne s’inscrit que dans un processus historique dans lequel il s’agit pour chaque homme et femme d’être reconnu par un autre homme ou une autre femme, tous deux inscrits dans le devenir d’eux-même. Ce processus émancipateur est tout simplement devenu obsolète ou étrange, laminé par le seul succès immédiat. Exclusivement possible au demeurant, pour certains nantis !
Parents, instituteurs, professeurs ou maîtres qu’importent ces médiateurs sont vains ! Une sorte de nouvelle pensée libertarienne démentielle et contradictoire avec elle-même fait qu’il n’y a que l’individu, sans dieu, ni boussole. Cette nouvelle idéologie n’est rien d’autre qu’une tyrannie pour et par des millionnaires rois.
Cette toute puissance est celle de l’enfant que les parents ne reconnaissent plus tant ils les ont centrés sur eux-même. Plus d’autres, plus de l’autre, plus d’altérité, plus d’alternative. Plus d’enseignement. Juste un monde de fous enclos sur lui-même: la barbarie.
S’altérer, rendre la raison populaire, se frotter à l’expérience de l’autre et le reconnaitre dans sa diversité et sa vulnérabilité c’était cela le projet laïc qui reconnait y compris les croyances mais avec le droit imprescriptible pour tous et chacun au sein de l’école au moins d’avoir le droit d’être différent de sa différence. De persister à penser à l’épreuve de l’autre et de s’unir pour revendiquer, agir, fonder, refonder, reprendre collectivement en hommes et femmes indéfectiblement libres.
En parfaite opposition au règne de l’efficience comportementaliste et assujettis à la possession de tout qui submerge les États-Unis, nous sommes cependant encore nombreux à expérimenter sans fin la puissance de l'écriture, de l’art et de la création, des oeuvres qui demeurent, portent sens et vérité. Font autorité, universellement et sans coup férir. C’est pour cela que les budgets humanitaires et culturels sont de plus en plus rognés, abolis. Gardons l’oeil (augere) sur ce qui véritablement nous augmente et nous accroît toujours et partout et non sans gratitude afin de ne pas subir le coup de grâce. Décidément tout est à l’envers faisons, défaisons, fabriquons, recréons cette autorité des oeuvres et des projets vraiment émancipateurs, collectifs et révolutionnaires qui nous rendent présents à nous même, aux autres et au monde.
Allez c’est la récréation !
Pascal Verrier
9 février 2025