PROGRAMME HUMANITÉ, LETTRES ET PHILOSOPHIE
Voici le projet de programme de l'enseignement de spécialité "Humanité, Lettres et Philosophie" tel qu'il circule chez les éditeurs et qui doit être présenté au ministre la semaine prochaine.
La version définitive devrait être adoptée vers le 5 Novembre 2018.
Première
- Pouvoirs de la parole (Antiquité)
L'art de la parole
L'autorité de la parole
Les séductions de la parole
- Représentations du monde (De la Renaissance aux Lumières)
Découverte du monde et rencontre des cultures
Décrire, figurer, imaginer
Relations homme-animal
Terminale
- La recherche de soi (des Lumières à 1945)
Éducation, transmission, émancipation
Expressions de la subjectivité
Métamorphoses du moi
- Expériences contemporaines, rapport entre modernité et contemporain (à partir de 1945)
Création, continuité et rupture
Individu et communication
L'humain et l'inhumain
*
Je voudrais tenter d’expliquer pourquoi, lisant ce projet, un pan entier de ma vie s’effondre. J’ai passé 40 ans de ma vie à enseigner la philosophie et je me suis battu pour un programme ouvert de notions qui est devenu le programme officiel de 2003.
Rigoureux, historique et cohérent, ce projet adopte pourtant une dynamique progressiste.
Mais il ne définit pas, il assène.
L’article défini n’est utilisé qu’en 6 occasions :
L’art de la parole, l’autorité de la parole, les séductions de la parole, la recherche de soi, l’humanité, l’inhumanité.
Sinon :
Pouvoirs de la parole, représentations du monde, découverte du monde et rencontre des cultures, relations homme-animal, éducation, transmission, émancipation, expressions de la subjectivité, métamorphoses du moi, expériences contemporaines, rapport entre modernité et contemporain, création, continuité et rupture, individu et communication.
(c’est moi qui souligne ce qui est au pluriel pour le distinguer de ce qui est écrit au singulier !)
Aussi trois verbes :
Décrire, figurer, imaginer.
Que dire de ce décomposé analytique :
Ce qui semble déterminant est ce qui relève de l’art de la parole comme autorité et séduction qui viserait la recherche de soi, l’humanité et l’inhumanité.
Il semble que ce qui est visé soit de décrire, de figurer et d’imaginer ce qu’il en est d’un certain type de langage dans son rapport à la recherche de soi, à l’humanité et à l’inhumanité.
Ce rapport semble fait de pouvoirs, de représentations et de relations avec des cultures, des métamorphoses et des expériences. Les mots qui les caractérisent sont au singulier : découverte, rencontre, éducation, transmission, émancipation, rapport entre modernité et contemporain, création, continuité et rupture, individu et communication.
Les relations dont on parle sont celles homme-animal (sic !)
Maintenant, la question que je me pose est celle de savoir pourquoi je deviens fou en lisant ce programme ?
Je constate immédiatement que ce programme est un pur acte langagier en boucle sur lui même. Il ne se représente pas à lui même ce qu’il énonce. Les relations sont établies de façon assurées par l’ordre du discours qui n’a pour seule fonction que de décrire des rapports de continuité ou de rupture entre des éléments indéfinis comme éducation, transmission, émancipation, homme-animal, individu et communication.
Ce programme est donc de part en part idéologique et les normes qui le sous-tende sont claires : la communication et les relations constituent l’alpha et l’oméga de tout, la seule distinction concerne l’humain et l’inhumain sans doute du fait des relations homme-animal.
Cette idéologie est ni plus ni moins que celle de l’entreprenariat libéral qui ne situe jamais des personnes mais des individus isolés sans rapport ni à eux mêmes ni aux autres, ni au monde mais incessamment à la recherche de soi. Soi n’étant lui-même qu’une infatuation du moi pris dans les rets multiples des expressions de la subjectivité et d’un moi dont il est décisif qu’il ne puisse que se métamorphoser, non pas en l’autre qu’il a à devenir ou qui le constitue mais dans une altérité sans fin qui lui offre des moments de singularités aussitôt disparus dans le flot des paroles et des ruptures communicationnelles.
Le génie de ce programme est qu’il rompt avec tout paradigme, toute grandeur naturelle ou d’établissement. Ce qui est à l’œuvre est tout bonnement l’ordre du discours qui est le discours de l’ordre et du pouvoir. Tout n’est que rhétorique il n’y a d’autorité que dans la séduction du discours dans lesquels des individus isolés communiquent sans fin.
Ce programme clôt définitivement le chapitre des jeux de la pensée seuls à même de combattre l’obscurantisme et le charabia du pouvoirs coercitif.
Il abat tout rapport vivant à soi même, à l’autre qui nous altère toujours et qui n’est jamais un moyen mais toujours part d’une humanité à venir et qui, comme la liberté est toujours à conquérir et reconquérir sans cesse.
Ce qui est affolant c’est qu’il n’y a tout bonnement plus rien, ni personne.
C’est tout d’un coup la folie de ce programme kafkaïen, post humaniste et pour tout dire transhumaniste. Tout est dans tout, rien n’est dans rien.
Ni culture, ni réflexion, ni pensée, pas d’héritage, pas de tradition, pas de méthode et surtout pas de solidarité, ni de projet ni de perspective collective, l’autre n’existe pas en tant qu’autre, il ne diffère pas, ne s’interroge pas, ne fait jamais retour sur lui même, ne s’oppose pas et ne lutte jamais contre quoi que ce soit, ni démons ni pouvoirs coercitifs et jamais contre le pouvoir des discours dogmatiques qui écrasent toutes controverses.
Ce que je lis dans ce programme va tellement loin dans la rupture des racines que je pense que ce n’est ni plus ni moins que la BARBARIE.
En somme, je pense que ce programme, s’il existe vraiment et s’il était retenu est un programme de fou, qu’il est fou et surtout qu’il est destiné à rendre fou. Il est d’ailleurs sa clôture même.
C’est en tous cas un crime contre la philosophie un assassinat de la pensée.
Allons nous laisser faire ?
Pascal Verrier
25 septembre 2018