E N S O M M E P A S
Se retrouver là plein chêne séculaire seul
L’écart entre l’infini mer et hauteur cimes
Un col qui n’en est pas
Monter dans l’effraction
Retrouver le plat
Dire la sécante d’espace
Prendre un chemin n’est vraiment pas donné
Une combe un signe
Pas vu
Un pas d’écart
Comme caché pas de sens
La paix stupide Défaite monumentale
Pas d’abri
l’Ouvert
L’oeuvre comme aveu du désastre
Pas d’oeuvre ou le désaveu
Là demeure colère
N’y rien pouvoir
« Paysages avec figures absentes »
N’être que désabrité
Nous n’y sommes pas
Pas là
Quelqu’un parle là en allemand
Unverborgenheit
Mystère
Demeure le socle
Disposé Constant
Découvert
Trop humain ou insupportable
Un failli
Des failles
Il ne s’agissait pourtant pas de se fâcher
Juste mettre nos pas dans un chemin
Un vrai vieux chemin inexorable
Qui croise ou bifurque
Pas de mule ou pas de berger courant
L’empierrement du chemin dit tout
On évoque les Mazzeri annonciateurs de mort
L’huile noire des baies de genévrier cade
La ponctuation des chênes céciles
Faire halte sous l’énorme chêne vert
Cercle sur l’aire à battre
S’arrondir dans l’étable
Voir douze trous passants les entraves au mufle des boeufs
Un verger de poires
Des encoches pour nourrir des ânes et des chevaux
L’épaule de terre était blonde de blés murs
Pas d’autre dessein
Que d’y porter nos pas
La passe dont on parle demeure dans l’absence
Le chemin lui demeure
C’est nos pas
Pas de paix
Comment se nomme cette figure de style
Qui dit ce qui est et ce qui n’est pas
?
Pascal Verrier
Lecture du paysage en descendant à pieds du col de la bataille
À Olmi-Cappella avec le Palazzu Verde accueilli par l’Aria ce 9 août 2025
Avec des gens venus de loin pour le commun, le partage et l’amitié
Avec Wouajdi Mouawad, Philippe Jacottet et Dorothy Carrington
TABULA GRATULATORIA
« Notre époque est si gourmande de fanatisme sectaire que le brouillard de la nuance est devenu une forme de résistance. Mais pour arriver au sang entre le philosophe et le poète, privilégions si vous le voulez bien le poète pour stalker et, ce faisant, essayons, le temps de cette leçon, de nous chasser nous-mêmes de la cité, de nous en extraire, de prendre les chemins de traverse, de chercher ces « paysages avec figures absentes » si chers à Philippe Jaccottet, de dévier de nos certitudes, de nous enfoncer dans les broussailles quitte à perdre le sentier pour nous donner au doute, de livrer notre pensée à l’incertitude, à la fragilité, d’en ouvrir les failles et les interstices, et d’éviter à tout prix les intransigeances péremptoires de nos convictions, la brutalité de nos entêtements. Non pas dire ce que l’on pense, mais raconter le chemin qui nous a amené aimer penser comme on pense. Il faut beaucoup de temps pour faire court. Se rencontrer soi-même relève toujours de la clandestinité. On tombe sur soi souvent par hasard. On se présente à soi-même sans se demander la permission. Entre ce que nous sommes et ce que nous croyons être, il y a un abysse dans lequel il faut oser se jeter; c’est pourquoi le véritable miroir est toujours une effraction, jamais un esclavage. »
Wajdi Mouawad
L’ombre en soi qui écrit
Leçon inaugurale prononcée au Collège de France le jeudi 6 février 2025.
À écouter et surtout à voir sur le site du Collège de France.
Philippe Jaccottet
Paysage avec figures absentes
Paris, Gallimard, Collection « Poésie », 1998.
Dorothy Carrington
Mazzeri, Finzioni, Signori
Aspects magico-religieux de la culture Corse.
Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2008.