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Billet de blog 26 septembre 2009

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Simulacre de justice à Nîmes pour les Afghans : toutes les requêtes sont rejetées. Suite samedi à partir de 8h.

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Simulacre de justice à Nîmes pour les Afghans : toutes les requêtes sont rejetées.

Suite samedi à partir de 8h au TA.

Le procureur ayant fait appel de la décision du juge des libertés et de la détention, 14 afghans sont donc passés vendredi a.m. devant le tribunal administratif (6 autres –chiffre à confirmer- étaient passées le matin). Les audiences avaient lieu dans 2 salles, avec 2 juges au comportement bien différent. Mais le résultat fut le même : toutes les requêtes ont été rejetées. Tous les afghans sont donc retournés au CRA. Avant d’être expulsés vers l’Afghanistan… ?!!!

Les audiences reprennent samedi à partir de 8h, au tribunal administratif.

Ce qui s’est passé vendredi 26/ 09 après-midi au TA de Nîmes fut HALLUCINANT ! Une parodie de justice, expéditive, scandaleuse, honteuse, révoltante !

Expéditive : 5 personnes convoquées par heure, soit 12 mn prévues pour chacune d’entre elles !

Scandaleuse : interprète incompétent, dossier égaré, avocats débordés, refusant de traiter des dossiers qu’ils n’avaient pas eu le temps d’examiner.

Honteuse : TOUTES les requêtes ont été rejetées, y compris les demandes de reconnaissance de minorité, y compris les demandes d’asile, par manque de preuve !

Révoltante : Nous devons dénoncer ce qui s’est passé !

Jusqu’en milieu d’après-midi, l’interprète présent ne maîtrisait pas le pashtou, langue parlée par la grande majorité des afghans présents à Nîmes aujourd'hui, mais seulement le dali (les 2 langues officielles de l’Afghanistan). Lorsque l’interprète a bien voulu reconnaître son incompétence, cela n’a pas empêché le juge de maintenir l’audience en cours. A l’objection d’un avocat, Mme la juge a répondu, agacée : « oui, on a bien compris qu’il y avait un problème de traduction ». Et l’audience s’est poursuivie !

Lorsqu’enfin un interprète est arrivé, un des juges a accordé le temps nécessaire aux avocats pour s’entretenir avec les 5 personnes qu’ils défendaient. Quant à Mme la juge, elle a généreusement accordé 30 mn pour les 5 personnes présentes : soit 6 mn par personne, 6 pauvres minutes pour raconter à leur avocat, via l’interprète, le parcours infernal qui avait été le leur, pourquoi ils avaient quitté leur pays, les menaces qui pesaient sur eux et sur leur famille, certains étant menacés de mort par les talibans, d’autres par le gouvernement actuel (leur père était taliban…), d’autres encore par les deux à la fois ; comment ils étaient passés par la Grèce, où leurs empreintes digitales avaient été enregistrées, souvent de force ; pourquoi ils n’avaient pas déposé une demande d’asile à leur arrivée en France où on leur a expliqué qu’ils ne devaient pas la déposer car ils seraient renvoyés en Grèce où les demandes d’asile sont rejetées ; pourquoi ils seraient en danger s’ils retournaient en Afghanistan. « Si vous me renvoyez en Afghanistan, je me suiciderai » a dit l’un d’eux. Certains ont dit avoir 16 ans, 17 ans : sans doute n’ont-ils pas pu le dire avant, faute d’interprète. Certains sanglotaient désespérément, effondrés sur le banc des accusés (c’est comme ça que ça s’appelle non ? Le banc des accusés. Voilà comment sont considérés ces demandeurs d’asile : des accusés.)

Pour chacun d’entre eux, l’avocat a plaidé l’incompétence du Préfet qui a rendu l’APRF (arrêté préfectoral de reconduite à la frontière). En effet, les afghans ont été arrêtés dans le département du Pas de Calais sous le motif d’occupation illégale d’un terrain privé. Mais le constat de l’irrégularité de leur séjour (absence de papiers) a été fait dans le département du Nord. Et c’est le Préfet du Pas de Calais qui a signé l’APRF. Or l’APRF doit être rendu dans le département où a été constaté l’irrégularité du séjour. Ce constat n’a pas été fait à Calais, mais à Lille. D’ailleurs plusieurs personnes ont été relâchées à Lille lorsqu’on a découvert qu’elles étaient en possession d'autorisations provisoires de séjour. Bien sûr ils ont aussi plaidé le fait que l’Afghanistan était un pays en guerre, etc etc.

Pour ceux qui avaient bénéficié de l’assistance d’un interprète maîtrisant leur langue, certains avocats ont pris le temps de raconter le parcours terrible de ces hommes : un jeune de 18 ans dont le père, commandant d’une organisation islamiste (considérée comme terroriste), avait disparu, et lui était menacé à la fois par les islamistes qui lui demandaient de « remplacer » son père comme le veut la tradition, mais aussi par les forces gouvernementales qui le considéraient comme un islamiste ; un jeune de 17 ans, arrivé il y a 7 mois en France, dont le père, officier de sécurité, avait été tué par les talibans : sa voiture avait explosé sous une bombe, et la famille n’avait récupéré que « des morceaux » du corps. Ces deux jeunes, héritiers des engagements politiques opposés de leur père, se serraient l’un contre l’autre, apeurés, penchés vers l’interprète qui traduisait en chuchotant les paroles de l’avocat. Et puis d’autres encore : un écrivain trop engagé, un autre jeune de 16 ans, deux autres dont les frères ont été tués… Tous disaient qu’ils avaient fui leur pays car ils y étaient en danger.

Maisà quoi bon finalement ? C’est vrai que la présence de l’interprète n’était pas indispensable puisque finalement TOUS LES RECOURS ONT ETE REJETES,Y COMPRIS LES DEMANDES d’ASILE ! Y compris les demandes de vérification del’âge pour les mineurs.

Mme la juge a simplement rejeté les requêtes, sans explication.

M. le juge a estimé que le constat de l’irrégularité du séjour avait bien eu lieu dans le Pas de Calais. De plus la demande d’asile n’était étayée par aucun élément dans le dossier, le récit oral ne suffisait pas. Il a rajouté : « désolé, je ne peux pas faire autrement. Ils peuvent faire appel, mais les délais sont trop longs : ils seront déjà en Afghanistan. Tout est trop tard."

Je sors du tribunal. La nuit est tombée. Je tremble, d’effroi plus que de froid. De révolte aussi. Non, tout n’est pas trop tard ! Nous ne pouvons pas accepter cette parodie de justice. Les expulsions collectives sont interdites, mais ce qui s’est passé, aujourd’hui au tribunal administratif de Nîmes, hier dans la jungle de Calais, rentre bien dans cette logique de traitement de masse : arrestations en masse à Calais, procédure d’urgence déclenchée à Nîmes où près de 40 personnes sont jugées de façon expéditive, sans que les moyens nécessaires à un traitement véritablement individuel soient permis : la parole de chacun ne peut être entendue faute de traducteurs et faute de temps. Bien sûr il y a Dublin II, il y a l’Europe Forteresse, et les Droits de l’Homme bafoués tous les jours. Mais aujourd’hui à Nîmes un pas de plus a été franchi : tout c’est passé comme si ces hommes avaient déjà été jugés avant même de passer devant le tribunal. Comme si tout était déjà trop tard… avant même qu’ils ne soient jugés !

Les audiences se poursuivent aujourd'hui : j’espère que nombreux seront les présents pour témoigner de ce simulacre de justice !

Ah, j’oubliais : les mineurs (déclarés mineurs avant leJLD) ont bien été hébergés dès leur arrivée dans des foyers. Sauf…. sauf ceux qui avaient la gale, qui ont été jetés à la rue, pieds nus, à 1h du matin. Ils ont été pris en charge par la Cimade.

Et puis quand même une bonne nouvelle : un afghan a été relâché hier. Il avait fait sa demande d’asile politique AVANT de passer devant le JLD.

Encore un détail oublié : le juge a rajouté que, de retour en Afghanistan, ils pourront envoyer les pièces prouvant qu'ils s'y trouvaient en danger. S'ils font appel. Véritablement hallucinant !

Voilà, c’est juste une réaction rédigée très rapidement, un compte-rendu plus détaillé, complété par les notes prises par d’autres témoins suivra.

Pascale

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