Lettre écrite en mars 2024, adressée au Conseil de l'Ordre avec la cotisation 2024.
Aucune réponse du dit Conseil de l'Ordre, à l'exception d'un accusé de réception.
Que faire ?
Publier cette lettre, et ne pas régler ma cotisation 2025, est un premier pas.
Le 12 mars 2024
Chers confrères, chères consœurs
Le Conseil de l’Ordre des Médecins exige une cotisation annuelle, mais en quoi cet Ordre remplit-il sa mission?.
Comment admettre ce qui se passe aujourd’hui et ce qui s’est passé depuis - au moins- 2020?
La liste est longue et fastidieuse des compromissions incompatibles avec la santé des personnes et l’exercice d’une médecine non corrompue.
Les démonstrations et argumentations sont épuisantes face à des diktats qui ne souffrent pas la contradiction et puisent leurs arguments dans un art consommé du détournement de sens.
Je ne parlerai ici que de quelques points insuffisamment évoqués dans les médias les plus lus pour donner une idée de ce qui m’amène à prendre part à la dénonciation de la situation de la médecine en France, situation en partie tolérée si ce n’est approuvée par l’Ordre des Médecins.
1/J’ai exercé pendant près de 40 ans la pédopsychiatrie et j’ai vu cette discipline perdre non seulement son attractivité et ses moyens, mais tout simplement son sens, à partir du moment où l’emprise des neurosciences est amplifiée par les pouvoirs politiques.
Aujourd’hui les enfants qui présentent une difficulté d’ordre psychique ou d’apprentissage sont classés en catégories ou types de fonctionnement cérébral. Un nombre important d’entre eux se voit prescrire des psychotropes à un âge parfois précoce. Les parents se voient opposer des bilans coûteux et des orientations souvent inconsistantes, et n’ont d’autres choix que de se soumettre à l’étiquetage neurocérébral s’ils veulent que la scolarité de leur enfant reste un tant soit peu tenable. L’école inclusive est aujourd’hui très souvent un mensonge, dont les ficelles de bienveillance affichée peinent à masquer la misère.
Dire à un enfant que son cerveau est dysfonctionnel, c’est un acte éducatif qui n’est pas sans conséquence.
Donner des psychotropes à un enfant c’est lui proposer un mode particulier de résolution des difficultés de la vie; le bien qui en est attendu peut se retourner en un risque important, au moins sur un plan éducatif.
L’affirmation concernant les catégories neuro-psychologiques décrites dans le domaine de l’enfance, comme quoi elles correspondraient à une pathologie d’origine neuro-cérébrale, n’a pas de consistance scientifique ni clinique suffisante pour être appliquée à cette échelle.
Si les apports des neurosciences sont indéniables en général, le soin psychique est d’une autre nature; il ne saurait être identifié aux pratiques issues des neurosciences.
Or, les formations, les financements, les RBPP, les orientations vont toutes dans ce sens, sans distinction ni respect suffisant de la pluralité des approches nécessaires aux difficultés psychiques des enfants quelles qu’en soient les causes observables. .
Le CNOM a réagi avec lenteur et de façon absconse à la publication par l’ARS Nouvelle Aquitaine de son Cahier des Charges pour l’évolution de l’offre des CMPP en 2019 (Mise au pas radicale - au nom de normes neuroscientifiques - de structures de soins ambulatoires pédopsychiatriques et psychopédagogiques). Texte d’une violence inconcevable pour des professionnels du soin, et d’une ignorance majeure tant dans le domaine de la pédopsychiatrie que de la réalité du terrain des CMPP. Le dit Cahier des Charges s’applique aujourd’hui, même s’il a disparu des vitrines de l’ARS NA en tant que texte.
Ses attendus sont même en voie d’extension dans toute la France. Mutation dont plus personne ne s’émeut suffisamment pour y mettre un frein.
2/J’ai eu le temps de réfléchir à l’intérêt et aux limites de la démarche psychanalytique en médecine - je veux dire pas seulement en psychiatrie - et si je considère que la psychanalyse n’est pas une thérapie efficace dans bien des situations, je continue de penser qu’elle a une place irremplaçable dans le domaine du soin psychique et de la formation des médecins et soignants, ainsi que dans le domaine de la régulation des pratiques. Elle a un apport majeur à donner à toute réflexion éthique en médecine.
Or elle disparait de plus en plus des institutions du soin psychique, et n’est quasiment plus enseignée à l’université.
3/La fondation FondaMental a pignon sur rue et promeut ce qu’elle appelle une « psychiatrie de précision » ce qui est le comble de la désinformation sur la réalité de la souffrance psychique.
Les neurosciences apportent un point de vue spécifique sur les mécanismes cérébraux, point de vue dont l’intérêt est indiscutable, mais il est notoire et documenté qu’elles n’ont fait le plus souvent que déplacer les problèmes des personnes psychiatrisées, et ce probablement parce qu’elles ne sont pas intégrées à une pensée du psychisme humain (et de ses travers) qui les dépasserait.
J’ai eu pour ma part à entendre suffisamment de personnes psychiatrisées pour avoir une idée du désespoir qu’elles fabriquent au long terme sous couvert de pratiques modernes et spécifiques.
4/Le CNOM n’est pas sans mesurer la gravité de la situation de la psychiatrie et de notre système de santé en général. Mais je ne vois pas qu’il ait suffisamment dénoncé les mécanismes en cause: fermeture de lits, rentabilisation, mode de tarification, protocolisation de toutes les pratiques, etc...
5/J’ai eu à subir la vaccination anticovid obligatoire en tant que soignante et ce, malgré mon opposition éclairée de nombreuses lectures et recherches (Je précise que je n’ai pas d’opposition de principe à la vaccination). Les médecins que j’ai rencontrés à l’occasion de cette vaccination ont signé un document comme quoi je donnais mon consentement éclairé à cet acte médical. Ce qui est absolument faux. Ces médecins m’ont de plus agressée verbalement lorsque je leur ai signifié qu’au contraire d’un consentement, je subissais cette vaccination de par les lois en vigueur. Le Conseil de l’Ordre recevrait-il ma plainte à ce sujet?
6/La crise Covid a été gérée au mépris du corps médical dans son ensemble, les voix qui se sont élevées ont été sanctionnées au moins médiatiquement, quand ce n’est pas par l’Ordre lui-même.
Je ne suis pas sans savoir que l’Ordre a aussi porté des débats et soutenu certains professionnels, mais cela me semble tout à fait insuffisant, au regard de la gravité des agissements des politiques, et de certains médecins.
7/Je me suis intéressée à différentes approches médicales, dont des médecines dites douces. Leur trop facile identification à des dérives sectaires ou leur mise au ban au non d’une inefficacité scientifique traduit trop souvent une restriction intellectuelle indigne de professionnels conscients de la gravité et de la complexité des enjeux de santé. Sans ignorer le risque de dérive inhérent à toute pratique thérapeutique non encadrée, le mépris manifeste et indistinct pour les approches alternatives est irrecevable. Leur apport à la santé de nos concitoyens est évident, pour qui prend le temps d’écouter les personnes.
8/J’ai toujours exercé dans le respect de ce qui fait la déontologie médicale et dans la recherche d’une adéquation entre ce que mon expérience m’apprenait, ce que les progrès scientifiques et mes lectures m’apprenaient, et ce que les patients et leur familles me demandaient.
Aujourd’hui, j’ai pu arrêter d’exercer car j’ai atteint l’âge de la retraite, mais une autre raison de cet arrêt est que cette adéquation n’est plus possible. Mon expérience m’indique que ce qui se passe aujourd’hui est contraire à la bonne santé des personnes, tant dans le domaine de compétence qui est le mien, que dans ce que j’observe dans la santé en général.
En tant que citoyenne avertie des questions de santé, je constate en effet la dégradation de l’évolution des conditions et des modalités de soins en général, ainsi que la pauvreté des discours tenus par les responsables en santé : outre l’obstination à ne pas considérer les moyens donnés à la santé comme condition d’une société soutenable, l’orientation des moyens financiers - toujours insuffisants voire dérisoires - se fait sous condition d’une référence à une science pseudo-unifiée, promue par divers lobbyings, en lieu et place d’un soutien affirmé à une médecine adossée à une science plurielle et fondée par la complexité.
9/En tant que patiente, j’ai eu à faire l’expérience de la logistique des corps à réparer que nous sommes, avec son cortège de maltraitance larvée ou actée, de faux semblants relationnels et d’incohérences banalisées. Mon expérience n’est pas isolée, elle est collective.Il est manifeste que les médecins sont pris dans des logiques qui certes les dépassent, mais sont incompatibles avec le métier de soignant.
Le Conseil de l’Ordre est de mon point de vue complice de cette situation, au moins sur les quelques points que j’ai ici énoncés rapidement : je ne peux donc continuer de lui donner ma caution, aussi insignifiante soit-elle. Régler ma cotisation ordinale comme d’habitude, c’est préserver ma place dans le corps médical, mais ce serait aussi donner mon accord implicite à ce qui me semble gravissime. C’est pourquoi je vous adresse ce courrier.
J’ose espérer pourtant que ma lettre, parmi d’autres réactions et réflexions concernant ce qui se passe dans notre société, participera d’une réflexion en vue des résistances et transformations indispensables.
Cordialement et confraternellement.
Dr Pascale Fauveau