Il faut toujours revenir à La Fontaine dans les tempétueux courants qui secouent l’air ambiant.
Du roseau et du chêne chacun connaît le destin. L’un rompt et l’autre plie. Mais le premier, chose insuffisamment remarquée, certes tient la place mais s’immobilise, tandis que le second roide et apparemment inflexible, s’en ira gésir dans la poussière, lui de qui -pourtant- la tête au ciel était voisine. Aussi la morale, favorable au roseau en première lecture, a pu trouver contradiction dans cette double inattendue et cynique formulation de Raymond Queneau* : une fois à terre, au moins le chêne peut-il servir encore en faisant, par exemple, un valable cercueil à quelque déshérité. Ce qui est loin d’être certain, même les enterrements deviennent hors de prix. Retirons donc les trois derniers mots, un valable cercueil suffira, si l’on peut dire.
Pendant ce temps, le roseau qui n’a pas bougé, devient contre toute attente le véritable inflexible. Il ondoie, ploie et s’incline, mais finalement ne bouge pas. Sa résistance à la tempête qui fait rage ne devient-elle pas, après coup, le signe même de sa force, contrairement aux apparences. Et les apparences ont la vie dure qui apprennent aux enfants que :
… nous autres, petites gens,
Si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents,
Dont la petite vie est le souci constant,
Résistons pourtant mieux aux tempêtes du monde
Que certains orgueilleux qui s'imaginent grands. **
Pour Esope, dont l’esprit souffla si fort sur la plume de notre plus célèbre et fabuleux fabuliste, l’homme est fait de bois d’olivier et non de chêne. Détail régional qui ne change rien à l’affaire ; il est même possible que celui-là survive plus longtemps que celui-ci dans les bourrasques, si profondément ses racines s’enfoncent dans le sol. Jusqu’à la rafale dernière, qui porte un coup fatal bien qu’il ne soit pas le plus puissant. La chute, d’autant plus inéluctable que l’arrogant feuillu faisant l’important, le poseur, l’infatué, n’entend ni le vent se lever ni le souffle profond* arriver du diable vauvert. Les auraient-ils même sentis s’approcher, ce que nul ne peut affirmer, il aurait argué que depuis si longtemps nul ne l’a fait bouger, qu’il lui en faudra bien d’autres, qu’il est même en puissance de protéger les plus faibles, que tel est son honneur, sa gloire, peut-être son destin,
Votre compassion, lui répondit l'Arbuste,
Part d'un bon naturel****
nous verrons bien qui de votre force ou de ma supposée faiblesse l’emportera. Parions un instant que la victoire du roseau puisse être amère* quand dans un dernier regard plein de morgue, le rouvre à terre lui dira : Je suis encore un chêne. **
*in Battre la campagne – Gallimard, 1968 (!) ; ** Jean Anouilh in Fables, 1962 – (Le Chêne et le Roseau) ; ***Pascal, Pensées ; ****La Fontaine